
Longtemps dépendante d’une main-d’œuvre frontalière venue de Belgique, d’Allemagne, mais surtout de France, la place financière luxembourgeoise connaît un tournant démographique majeur.
Pour la première fois, en 2024, la majorité des salariés du secteur résident désormais dans le pays. Selon les données publiées dans le rapport State of the Financial Sector 2025 de Luxembourg For Finance (LFF), les résidents représentent 53,8 % des effectifs, contre 49 % en 2014. Une évolution qui s’explique autant par des dynamiques économiques internes que par les limites structurelles du modèle transfrontalier.
Dans un contexte de forte croissance de l’emploi — près de 20 000 postes supplémentaires créés dans la finance en dix ans — le bassin frontalier ne suffit plus à répondre aux besoins du secteur. Les tensions sur le marché du travail qualifié, déjà bien identifiées dans les autres branches de l’économie, touchent désormais de plein fouet les métiers financiers, notamment dans la compliance, la gestion d’actifs ou les fonctions support à haute technicité.
Cette recomposition de la main-d’œuvre s’accompagne d’une internationalisation accélérée. Le rapport souligne que les ressortissants de pays tiers (hors Union européenne) représentent désormais 10,2 % des effectifs du secteur, contre seulement 3,2 % en 2014. Ce groupe, historiquement marginal, affiche la plus forte croissance sur la période, avec un taux annuel moyen de 15,7 %.
Tom Théobald, CEO de Luxembourg for Finance, y voit le signe d’un repositionnement structurel du secteur : non seulement en termes de taille, mais aussi de profil des compétences. Le pays, dit-il, démontre sa capacité à attirer et retenir des talents mobiles à l’échelle mondiale, une condition essentielle dans une industrie toujours plus compétitive.
L’arrivée croissante de professionnels extra-européens, souvent jeunes et très qualifiés, renforce cependant la pression sur les capacités d’accueil du pays. Le marché immobilier luxembourgeois, déjà tendu, voit la demande augmenter du fait de cette population à haut pouvoir d’achat. Les difficultés d’accès au logement pour les nouveaux arrivants deviennent un frein potentiel à l’attractivité de la place, d’autant que les projets de construction ne suffisent pas à suivre le rythme.
Face à ce défi, le gouvernement a annoncé en janvier 2025 un nouveau régime fiscal destiné à faciliter l’installation des expatriés. Le dispositif prévoit des allègements pour les salariés hautement qualifiés, ainsi que des incitations ciblées pour les jeunes talents.
M. Théobald considère ces mesures comme un élément déterminant pour l’avenir de la place : « Ce n’est pas un simple ajustement, c’est un levier stratégique pour maintenir notre compétitivité et répondre à l’évolution du marché de l’emploi. »
Un secteur en montée de gamme, porté par la diversification et la fiscalité
Au-delà des questions de main-d’œuvre, le rapport met aussi en lumière la diversification accélérée de la place financière. Si le secteur bancaire reste le premier employeur (35,9 % des effectifs), il perd du terrain face à la gestion d’actifs, aux prestataires de services spécialisés et aux cabinets de conseil et d’audit.
Le Luxembourg renforce son rôle dans les fonds alternatifs, les ETF spécialisés (y compris CLO et Active ETFs), et les services de support réglementaire, avec une montée en gamme continue des fonctions internes.
Cette transformation se traduit aussi dans les chiffres macroéconomiques. La valeur ajoutée générée par le secteur est passée de 13,1 à 17,3 milliards d’euros entre 2014 et 2024, soit un taux de croissance annuel de 2,8 %.
Dans le même temps, les recettes fiscales directes du secteur ont doublé pour atteindre 7,2 milliards d’euros. Le secteur contribue aujourd’hui à hauteur de 60 à 80 % à l’impôt sur les sociétés, selon les catégories d’entreprises.
Parallèlement, l’effet d’entraînement du secteur sur l’économie nationale se confirme. Chaque emploi direct soutient environ un emploi supplémentaire dans des activités induites ou connexes.
En 2024, les 73 272 emplois du secteur représentent ainsi un total de près de 147 000 emplois soutenus à l’échelle du pays. Cette dynamique, bien qu’encourageante, appelle aussi à une réflexion plus large sur les infrastructures, les services publics et la capacité du pays à absorber cette croissance qualitative.
Tom Théobald insiste sur la profondeur du changement en cours. Le secteur, selon lui, ne se contente pas de croître en volume : il monte en gamme, monte en complexité, et se positionne davantage en haut de la chaîne de valeur.
« Le Luxembourg reste fidèle à ses fondamentaux, mais développe aujourd’hui des segments de spécialisation qui redéfinissent sa place dans l’écosystème financier européen. »