« Le changement climatique n’est pas un scénario lointain : il affecte déjà toutes les classes d’actifs », a déclaré Lisa Backes, Deputy CEO de Hauck & Aufhäuser Fund Services, lors de la LuxFlag Sustainable Investment Week à Luxembourg. Pour les banques, la durabilité est désormais un enjeu stratégique et réglementaire, au cœur de la gestion des risques et de la relation client.
Face à l’accumulation de catastrophes naturelles et à la pression réglementaire européenne, les acteurs financiers ne peuvent plus se contenter d’une approche déclarative. Les risques climatiques, environnementaux ou de gouvernance sont désormais mesurables et directement intégrés dans la gestion de portefeuille.
Selon Lisa Backes, la durabilité s’impose comme une extension naturelle du risk management : elle sert à anticiper les chocs, à identifier les vulnérabilités et à renforcer la résilience des portefeuilles.
Certaines zones deviennent d’ailleurs difficiles à assurer, un signal fort de la matérialité du risque climatique sur les marchés. Pour cette responsable, la clé réside dans la capacité à transformer l’ESG en un outil d’analyse prédictive : non pas un supplément d’âme, mais un indicateur de confiance et de performance. « Les gérants d’actifs doivent détecter les signaux faibles avant qu’ils ne deviennent des crises », explique-t-elle. La durabilité devient ainsi un instrument de pilotage aussi essentiel que les ratios financiers.
Chez Société Générale Private Banking, Petra Besson Fencikova observe également une mutation profonde de la demande. « Il y a dix ans, l’ESG était perçu comme un “nice to have”. Aujourd’hui, c’est une exigence structurelle », souligne-t-elle. Pour autant, la dirigeante constate une phase de consolidation après l’euphorie initiale. Les clients, plus informés, demandent des explications précises sur les méthodologies, les critères et les limites des approches durables. La transparence devient un impératif commercial.
Cette maturité s’accompagne d’une professionnalisation interne. Les équipes de gestion doivent maîtriser les référentiels réglementaires (taxonomie, SFDR) et disposer de données robustes pour appuyer leurs recommandations. Or la disponibilité et la qualité de ces données demeurent un défi quotidien. Un bon gérant ESG, selon Petra Besson Fencikova, est avant tout un analyste capable d’articuler doute et rigueur : disposer d’assez de données pour agir, tout en restant conscient de leurs biais.
La dirigeante note également l’effet de retour de bâton du « greenwashing » : la vague de défiance observée aux États-Unis a eu pour effet indirect de renforcer les exigences de cohérence en Europe. Les investisseurs privés comme institutionnels sont plus attentifs à la crédibilité des démarches, obligeant les banques à un surcroît de transparence. « Ce durcissement des standards n’est pas un frein, estime-t-elle, c’est une étape nécessaire vers une finance durable plus solide. »
Chez ING Luxembourg, Jan De Jaeck insiste sur le besoin d’aligner ambition et réalisme. « Nous voulons contribuer à financer la transition, mais sans perdre de vue la matérialité économique », explique-t-il. La banque, très active sur la finance durable au niveau de son groupe, dispose d’une équipe dédiée à Bruxelles, tandis qu’au Luxembourg, l’accent est mis sur l’accompagnement des clients corporates et institutionnels.
L’enjeu principal : transformer les intentions ESG en actions concrètes, en tenant compte des contraintes de marché, notamment la hausse des taux et la pression sur le crédit. La demande évolue également du côté des particuliers fortunés, qui souhaitent comprendre la substance des fonds durables. Beaucoup posent aujourd’hui des questions techniques sur les critères d’exclusion, les méthodologies de notation ou les impacts mesurables. Les conseillers doivent donc adapter leur discours et être capables d’expliquer pourquoi certains produits ne répondent plus aux définitions officielles de l’ESG à la suite des révisions réglementaires.
Pour Jan De Jaeck, la complexité croissante du cadre européen (SFDR, taxonomie, CSRD) n’est pas qu’une contrainte : elle pousse les banques à élever leur niveau d’exigence et à intégrer la durabilité dans les processus quotidiens plutôt qu’à la traiter comme une ligne distincte. Mais il reconnaît que cette ambition a un coût : « Les équipes doivent constamment se former et s’adapter, car la réglementation évolue plus vite que les outils pour la mettre en œuvre. »
Dans ce contexte, les trois intervenants s’accordent sur un constat : la durabilité est entrée dans une phase de maturité. Après les discours d’intention, l’heure est à la preuve par la donnée et à la crédibilité des stratégies. Les établissements bancaires les plus avancés sont ceux qui intègrent l’ESG au cœur de leurs systèmes de gestion des risques, en cohérence avec leurs objectifs financiers.
La régulation, loin d’être un frein, agit comme un filtre naturel, obligeant le marché à distinguer l’engagement réel de la communication opportuniste. Pour les banques luxembourgeoises, l’enjeu est désormais d’allier rigueur et pédagogie : rassurer les clients sur la solidité de leurs produits tout en leur expliquant la réalité d’un cadre normatif en mouvement.
Comme le résume Lisa Backes, la finance durable n’est plus un segment, mais une condition d’existence. Petra Besson Fencikova y voit une « preuve de sérieux et de professionnalisme », tandis que Jan De Jaeck insiste sur son rôle économique : « Financer la transition réelle, pas seulement la déclarer. »