
L’ancien premier ministre belge Yves Leterme qualifie « d’irrationnelle » la prise de décision européenne concernant l’augmentation de l’objectif de dépenses de l’Otan. Il est très surpris de la manière dont la proposition de Donald Trump est acceptée « sans réserve », a-t-il affirmé mercredi lors du Portfolio Day d’Investment Officer à Bruxelles.
Pour le keynote du Portfolio Day organisé par Investment Officer mercredi, l’ancien Premier ministre, qui travaille aujourd’hui principalement comme conseiller auprès d’entreprises chinoises, a donné son avis sur le rôle de l’Europe dans le monde. Selon lui, l’un des dangers qui guettent le Vieux Continent est la prise croissante de décisions hâtives et irrationnelles qui négligent les chiffres concrets et les checks & balances de la prise de décision parlementaire.
Selon lui, l’exemple le plus récent est la forte augmentation des budgets de défense. « Je n’ai plus de responsabilité politique, je peux donc dire ce que je pense », a déclaré M. Leterme à Bruxelles. « Nous avons vu ces dernières semaines un exemple d’irrationalité collective impulsée par l’administration Trump. Cette irrationalité va nous attirer de gros ennuis. J’admets que cela comporte des opportunités économiques. Mais la façon dont on accepte sans réserve que nous allons dépenser 5 % de notre richesse pour la défense… Et pas une seule fois, mais année après année. »
Mark Rutte suit Donald Trump
Le président américain Donald Trump estime que les pays de l’Otan devraient consacrer non pas 2 %, mais 5 % de leur produit intérieur brut (PIB) à la défense. Mark Rutte, secrétaire général de l’Otan, est largement d’accord et propose un objectif de défense en deux volets : 3,5 % pour les moyens militaires et 1,5 % pour les investissements de support, tels que la cybersécurité et les infrastructures.
« La Russie pourrait être prête à utiliser la force militaire contre l’Otan d’ici cinq ans », prévient M. Rutte. L’ancien premier ministre néerlandais préconise notamment d’augmenter de 400 % les défenses aériennes et antimissiles. Un sommet de l’Otan courant juin devrait finaliser le nouvel objectif d’investissement.

« Trop peu de débats »
M. Leterme comprend la nécessité pour l’Europe de mieux s’armer compte tenu des tensions avec la Russie, mais il estime que l’augmentation proposée est disproportionnée et remet en question l’importance des avions de combat dans les plans de l’Otan.
Mais ce qui inquiète particulièrement le démocrate-chrétien, c’est l’absence de débat politique sur cette question. « Il a fallu attendre six à huit semaines avant que quelqu’un se pose la question : Qu’est-ce que cela signifie de consacrer chaque année 5 % de votre richesse à la défense ? À quoi cela sert-il ? Y a-t-il des raisons à cela ? »
« Je ne suis pas un expert en matière de défense. Je dis simplement que le processus décisionnel, avec la coopération de mon bon ami et ancien collègue, l’ancien Premier ministre néerlandais Mark Rutte, semble être un exemple de la manière dont une société occidentale (issue des Lumières) décide actuellement de son avenir d’une manière très irrationnelle. C’est l’illustration d’une certaine impuissance de l’Europe dans le domaine de la défense et de la géopolitique. »
Belgique
M. Leterme ne voit pas comment l’État belge pourrait financer l’objectif de défense de 5 %. Le PIB de la Belgique s’élève à plus de 600 milliards d’euros. Le gouvernement fédéral a récemment décidé de porter le budget annuel de la défense à 2 % du PIB, soit 12 milliards d’euros. Une augmentation progressive jusqu’à 5 % signifie 18 milliards d’euros supplémentaires dans quelques années, pour arriver à un total de 30 milliards d’euros par an.
« Je ne suis pas un génie, mais il me semble que cela sera pratiquement impossible à mettre en œuvre d’un point de vue budgétaire », conclut Yves Leterme.