En raison de la crise du coronavirus, les investisseurs portent soudain un tout autre regard sur les entreprises pharmaceutiques. « La pandémie a changé la perception du secteur par le public », déclare Lydia Haueter, responsable du fonds Pictet Biotech.
Depuis 2015, après qu’Hillary Clinton (alors candidate à la présidence) avait publié un tweet qualifiant d’outranciers les prix pratiqués par les fabricants pour leurs médicaments, le secteur se trouvait dans une impasse. Jusqu’à la fin de l’année dernière, les cours des entreprises pharmaceutiques étaient inférieurs à la moyenne du marché. Les gouvernements ont exercé une pression de plus en plus forte sur les fabricants pour qu’ils baissent leurs prix, ce qui n’a certainement pas profité à l’image des entreprises pharmaceutiques.
L’épidémie de coronavirus a radicalement changé la donne : les entreprises pharmaceutiques sont désormais en tête des listes d’achat des investisseurs. « Les entreprises qui ont d’abord été blâmées sont maintenant soudainement populaires », souligne également Haueter. « Mais pour conserver cette popularité, elles doivent continuer à bien se comporter. Les entreprises pharmaceutiques ne peuvent pas se permettre de faire des bénéfices démesurés sur la vente des vaccins. En effet, elles sont sous la loupe de la société. »
Le caractère abordable d’un médicament est également l’un des quatre critères utilisés par Haueter et ses collègues pour évaluer son attractivité. « Nous examinons en outre la nécessité médicale d’un médicament, son efficacité et sa position concurrentielle. La question est de savoir s’il s’agit d’un médicament unique ou s’il y a beaucoup de concurrence. Nous additionnons ensuite tous les scores des différents médicaments qu’une entreprise met sur le marché. Nous voulons dans notre portefeuille les entreprises ayant les scores moyens pondérés les plus élevés », explique Haueter.
Hype du vaccin
Un vaccin ou un médicament contre le Covid-19 ne donne pas nécessairement un score élevé. Par exemple, il existe actuellement plus de quatre-vingts trajets de développement pour un vaccin contre le Covid-19, ce qui génère énormément de concurrence. « Sur ces quatre-vingts, tout au plus quelques-uns connaîtront un réel succès et seront développés plus avant », déclare Haueter.
Néanmoins, les investisseurs s’agglutinent comme des mouches sur les entreprises qui travaillent sur des médicaments ou vaccins contre le coronavirus. « Toute entreprise qui annonce qu’elle travaille sur quelque chose en rapport avec le Covid-19 reçoit directement quelques milliards de dollars en capitalisation boursière ! », plaisante Haueter. « Certaines entreprises de biotechnologie ont des valorisations extrêmement élevées, souvent basées uniquement sur des titres de journaux liés au Covid-19. »
Remdesivir
L’entreprise américaine Gilead Sciences en est un exemple. Ces dernières semaines, son cours a bondi à plusieurs reprises après que le président Trump ait de nouveau recommandé le Remdesivir comme traitement efficace contre le coronavirus. Haueter : « Mais le Remdesivir ne guérit pas la maladie. Il réduit la durée du traitement de 30 % au maximum. C’est pourquoi, après une hausse aussi soudaine du cours de l’action, nous avons procédé à plusieurs reprises à une prise de bénéfice sur l’action. »
Cependant, il y a aussi des entreprises qui profitent déjà réellement du coronavirus. Comme la société suisse Roche, le plus grand producteur de tests de dépistage du coronavirus. Le cours de l’action Roche a augmenté de près d’un tiers en deux mois, et se situe aujourd’hui à un niveau record. « Nous n’avons pas pris de bénéfice sur cette action. Nous nous attendons à ce que le cours de Roche augmente encore davantage », explique Haueter. En effet, la demande de tests de dépistage du coronavirus devrait rester élevée dans les années à venir.
Roche est la plus grande position du fonds Pictet Health, l’autre fonds thématique de Pictet axé sur la santé, à côté du fonds Biotech. Selon Haueter, les deux fonds présentent un ‘léger chevauchement’, car le Fonds Health investit beaucoup plus largement dans le domaine de la santé. Par exemple, il se concentre également sur la prévention et les fournisseurs de dispositifs médicaux. Pictet Health a donc par exemple également une position dans Unilever qui, outre des glaces Magnum, vend également des aliments sains. Le fonds Biotech investit uniquement dans des entreprises qui développent des médicaments. La limite entre les entreprises de biotechnologie et les entreprises pharmaceutiques (dans lesquelles investit Pictet Health) est d’ailleurs ténue. « Les entreprises de biotechnologie, qui sont principalement cotées aux États-Unis, sont davantage des entreprises de niche spécialisées dans un seul domaine particulier. Les entreprises pharmaceutiques classiques (telles que Roche, Pfizer, Novo Nordisk, Glaxo Smith Kline et Sanofi) ont généralement une orientation beaucoup plus large, bien qu’on assiste également à un mouvement vers une plus grande spécialisation. On ne peut donc pas vraiment définir de limite claire entre biotech et pharma. » C’est donc là que se situe le chevauchement de ‘10 à 15%’ entre les deux fonds.
Bien que Pictet Biotech comme Pictet Health aient tous deux surperformé le marché cette année, la différence de performance des deux fonds est néanmoins significative (voir le graphique). Le fonds Biotech est l’un des rares fonds d’investissement à avoir obtenu un rendement positif jusqu’à présent cette année, grâce à l’effet positif du coronavirus. Mais en réalité, le rallye actuel du secteur de la biotechnologie a déjà commencé à la fin de l’année dernière, avec une courte interruption due à la crise du coronavirus en février et mars.
Rallye sain
Un rallye qui, selon Haueter, est en grande partie motivé par les mêmes facteurs que celui qui s’est produit entre 2013 et 2015, auquel le fameux tweet d’Hillary a brutalement mis fin. « Le rallye précédent avait été motivé par le lancement réussi d’un petit nombre de médicaments. Je vois maintenant quelque chose de similaire se produire avec le lancement de potentiels médicaments à succès, par exemple dans le domaine de la thérapie génique et de la drépanocytose », affirme-t-elle. « Le secteur de la biotechnologie évolue en fonction des progrès scientifiques, et ce que je vois se produire maintenant dans le domaine de la thérapie génique, par exemple, pourrait conduire à une reprise durable du secteur de la biotechnologie, similaire à celle que nous avons connue entre 2013 et 2015. Les entrées dans nos fonds ces derniers mois sont également comparables à celles du précédent rallye. »
Le fonds Health n’investit qu’un quart de son portefeuille dans les entreprises pharmaceutiques. D’autres investissements du fonds ont en fait été affectés négativement par la crise du coronavirus, ce qui a entraîné cette année une baisse d’environ 7 % du fonds. Haueter explique que c’est par exemple le cas des entreprises qui fabriquent des dispositifs médicaux utilisés pour des opérations non essentielles. « Elles ont vu leur chiffre d’affaires diminuer fortement. La question est de savoir combien de temps il faudra pour que le fonctionnement des hôpitaux revienne à la normale, par exemple. Le marché s’attend actuellement à ce que ce soit de nouveau le cas d’ici la fin de l’année. »