Quel est le lien entre un sauna et le sauvetage de Dexia ? Quand son épouse a-t-elle tiré la sonnette d’alarme pour la première fois ? Et pourquoi a-t-il dû reprendre la comptabilité de l’entreprise familiale à 16 ans ? Dirk Vanderschrick (ex-Belfius, CKV Bank et Curalia Verzekeringen) répond à toutes ces questions dans De Spiegel, le podcast qui sonde les grands noms de la finance sur leur carrière, leur vie et leurs passions.
Dirk Vanderschrick est issu d’une famille de cinq enfants. Ses parents étaient horticulteurs et exploitaient un magasin de fruits et légumes. « Mon père était l’un des derniers agriculteurs dans l’enceinte du ring de Bruxelles. À la maison, on ne parlait pas d’argent. Mon père préférait passer son temps dans ses champs et dans son magasin, il ne s’occupait pas vraiment de son administration. Cela a bien évidemment fini par poser problème, et mes parents se sont retrouvés confrontés à des soucis financiers. J’avais à peine 16 ans lorsque j’ai repris sa comptabilité pour y mettre de l’ordre. Avec mon frère et ma sœur, nous avons pu stabiliser la situation financière de l’entreprise familiale, et quelques années plus tard, tout allait à nouveau bien. C’était une responsabilité de taille, mais c’est de là que vient mon intérêt pour l’économie et la gestion des entreprises. C’est à ce moment-là que j’ai appris l’importance d’une bonne comptabilité, du suivi administratif rigoureux et des calculs financiers corrects. Cette expérience a jeté les bases de ma future carrière. »
Licencié
Dirk Vanderschrick a occupé divers postes clés chez Belfius, l’une des plus grandes institutions financières du pays, pendant de nombreuses années. Il est resté fidèle tout au long de sa carrière, grimpant les échelons jusqu’au poste de CEO de Belfius Insurance – jusqu’à ce qu’il soit brusquement écarté en 2022.
« Mon mandat n’a pas été prolongé, et je ne m’y attendais pas du tout. Je n’ai jamais reçu d’explications claires quant aux raisons. Les premières semaines et les premiers mois qui ont suivi ont été difficiles, c’était un véritable processus de deuil. Le plus difficile, c’est d’avoir dû, du jour au lendemain, quitter des collègues que je considérais comme des amis. J’avais l’impression de perdre ma famille. C’était un coup dur. Il y a bien eu une cérémonie d’adieu à Durbuy, avec 200 collaborateurs de Belfius présents, qui m’ont chaleureusement applaudi. J’ai tout de même ressenti du respect et de l’appréciation pour ce que j’avais accompli. Cela m’a permis d’entamer un nouveau chapitre. »
Son conseil pour les gens dont la carrière prend une nouvelle tournure imprévue ? « Embrassez le changement dès que possible, et soyez ouvert aux nouvelles opportunités. Il y a tant de choses à faire si vous en avez envie. Si vous êtes passionné par quelque chose, les choses viennent à vous d’elles-mêmes. Regardez vers l’avenir et non vers le passé. Le passé est derrière, gardez-le en mémoire, mais concentrez-vous sur ce qui vient. »
Immobilier
Depuis son départ de Belfius Insurance, Dirk Vanderschrick occupe plusieurs fonctions de direction. Il est administrateur de CKV Bank et de Curalia Verzekeringen. Il siège également aux conseils d’administration d’entreprises immobilières telles qu’Intervest Offices & Warehouses, Retail Estates et Degroote. « Je challenge la direction de manière constructive, en posant des questions sur le modèle d’entreprise et les chiffres. Après une réunion de conseil d’administration, quand j’ai le sentiment d’avoir poussé une personne à réfléchir ou à agir, je suis satisfait. J’aime quand les gens me disent que grâce à mon apport, ils ont adapté des choses en vue d’un changement positif. »
Ce n’est pas un hasard si Dirk Vanderschrick occupe aujourd’hui plusieurs mandats dans des entreprises immobilières. « L’immobilier est l’un des fils conducteurs de ma carrière. Chez Belfius, j’entretenais des liens étroits avec nos gros clients, parmi lesquels figuraient des promoteurs immobiliers. Sur le plan privé également, l’immobilier m’a toujours passionné. À chaque fois que nous avions un peu d’argent de côté, mon épouse et moi, nous avons toujours investi dans de beaux projets immobiliers. Ce qui m’attire dans l’immobilier, c’est que vous pouvez investir sans trop de capital propre. Cela permet de réaliser des projets qui, sans cela, ne seraient pas faisables. J’aime par-dessus tout créer : construire quelque chose, c’est beau. Certains diront « encore du béton », mais pour moi, c’est une expression créative, peu importe qu’il s’agisse d’un immeuble d’appartements, d’une maison ou de la rénovation d’un bureau.
Sauna
Les fonctions opérationnelles, c’est du passé. « J’ai reçu quelques belles propositions, et j’ai participé à de rares entretiens, mais je n’ai plus l’énergie ni l’envie d’exercer une fonction exécutive. Parfois, cela me manque de ne pas avoir beaucoup de gens autour de moi. Mais mon niveau de stress, par contre, est beaucoup moins élevé qu’auparavant. »
« La vie de dirigeant d’entreprise est épuisante. Il y a eu des moments où c’en était trop, où j’ai pris quelques jours de congé. Chez moi, j’avais besoin de rituels pour retrouver le calme et me détendre. Très souvent, quand je rentrais à la maison, je fonçais dans le sauna évacuer le stress de la journée. En pleine crise bancaire, c’était très fréquent. Depuis mon licenciement par Belfius, je m’y rends beaucoup moins. Je suis beaucoup plus serein. Auparavant, j’étais également très irritable, et je haussais vite le ton. Cela n’est plus le cas aujourd’hui. Je suis bien plus agréable à vivre pour mes proches. »
La période Dexia
Dirk Vanderschrick a commencé sa carrière comme auditeur chez Arthur Andersen. Après un court passage chez Chase Bank, il s’est retrouvé chez BACOB, un groupe qu’il n’allait plus jamais quitter. Au fil des fusions et des reprises, il a toujours retrouvé une place dans la nouvelle structure du groupe. Même en 2001, lors de la reprise par Dexia. En 2008, en pleine crise des crédits, il était COO de Dexia Banque. « Il y avait déjà beaucoup de problèmes à l’époque, et j’avais tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises, car trop d’argent partait pour la France. J’ai donc été remplacé par un Français, qui a encore aggravé les choses. C’était très frustrant, car je n’étais pas soutenu. Et puis les choses s’arrêtent, à un moment, évidemment. »
Dirk Vanderschrick a été mis à l’écart par une promotion, devenant CFO de Dexia Insurance. En 2011, il était aux premières loges quand Dexia Banque a dû être sauvée par les autorités belges et françaises. « Il était très difficile d’expliquer aux clients et aux collaborateurs ce qu’il se passait. Dexia Banque Belgique était pourtant une composante saine du groupe Dexia, mais cela n’était pas vraiment mis en avant. Cela m’a vraiment empêché de dormir, à l’époque. Je me souviens encore du Head of Treasury, venu me trouver un jour pour me dire que nous n’avions plus assez d’argent pour tenir jusqu’au lendemain. À un tel moment, en tant que membre de la direction, vous devez avant toute chose garder votre calme, même si vous êtes catastrophé par ce que vous entendez. Nous avons alors envisagé toutes les options, pour en fin de compte parvenir à survivre grâce au financement d’urgence des autorités. »
Deux casquettes
Après cette opération de sauvetage, Dirk Vanderschrick est revenu dans la banque, pour occuper le poste de directeur commercial. Dexia Banque est devenue Belfius. En 2017, il est également promu CEO de Belfius Insurance, une fonction qu’il combinera pendant près de deux ans avec celle de directeur commercial de Belfius Banque.
« Cela n’avait rien de simple, et je savais que je devais faire un choix. Le législateur ne m’autorisait pas à combiner ces deux fonctions pendant plus de deux ans, de toute façon. J’ai surtout remarqué que j’étais moins disponible pour mes collaborateurs, ce qui ne leur facilitait pas la tâche. Ce fut toutefois mon épouse le facteur décisif. Elle m’a toujours soutenu, et elle avait l’habitude de me voir partir le matin sans savoir si je rentrerais le soir. Elle ne s’en est jamais plainte. Mais durant cette période, c’était la folie, et on ne se voyait plus du tout. C’est la première fois qu’elle a tiré la sonnette d’alarme. C’est là que j’ai tranché, et choisi Belfius Insurance. C’est un choix que je n’ai jamais regretté, » conclut Dirk Vanderschrick.