La Chine est indéniablement une force dominante aujourd’hui. Elle est la deuxième plus grande économie du monde et continue à croître rapidement. Avec une croissance plus rapide de quelques points, le PIB chinois dépassera celui des États-Unis dans les deux prochaines décennies. Par Jasmeet Chadha, analyste sur les technologies mondiales au sein de l’équipe Actions de M&G.
Lorsque deux grands empires sont proches à ce point, la transition est délicate. Si les guerres précédentes ont été menées sur la base de prouesses militaires et l’indépendance des ressources, la guerre à venir impliquera probablement l’indépendance technologique.
Le monde devenant de plus en plus numérique, une part croissante de la création de propriété intellectuelle se trouve dans ce domaine. Les données, les réseaux et l’intelligence artificielle seront les piliers de cette révolution de l’information. Tous ces éléments sont sous-tendus par les semi-conducteurs. Des capteurs analogiques seront nécessaires pour collecter des données en temps réel, ainsi qu’une infrastructure de réseau (y compris la future norme 5G) pour diffuser efficacement les données ou encore diverses puces pour transformer ces informations en connaissances.
En 2015, la Chine a réalisé l’importance d’acquérir des compétences technologiques lorsque le Conseil d’État a lancé son plan «Made in China 2025», avec une stratégie visant à investir 1 000 milliards de RMB (160 milliards de dollars US) sur 10 ans pour construire une production nationale de puces. L’objectif de cette politique était de porter l’autosuffisance en matière de puces à circuits intégrés (CI) à 40 % d’ici 2020 et à 70 % d’ici 2025.
En 2020, sur la base de discussions avec divers fabricants d’équipements, nous estimons que les dépenses nationales chinoises en matière d’équipements de semi-conducteurs ne représentent encore que 15 à 20 % des dépenses mondiales. La production est probablement encore plus en retard. En outre, elle produit des technologies de vieille génération, qui ont une valeur bien moindre.
Visiblement, et au grand dam du monde occidental, la Chine a rapidement accéléré le rythme d’acquisition d’entreprises en Occident, dans toute une série de secteurs - des technologies de l’information aux robots, à l’espace, aux véhicules à énergie nouvelle, aux matériaux et aux appareils médicaux de haute technologie. Divers semi-conducteurs sont utilisés dans toutes ces activités.
Pas juste une guerre de mots, mais un débat changeant
Le climat entre les États-Unis et la Chine s’est détérioré après l’émergence de COVID-19, l’administration américaine se montrant particulièrement critique à l’égard de ce qu’elle considère comme une «mauvaise gestion» de la crise par la Chine. La rhétorique antichinoise du président Trump a rapidement conduit à de nouvelles actions punitives ce mois-ci, visant à réduire la portée technologique de la Chine dans l’intérêt de la sécurité nationale américaine.
À court terme, les États-Unis et la Chine ont un pouvoir de négociation suffisant pour se nuire mutuellement. Si les États-Unis peuvent bloquer les exportations de puces et d’équipements à semi-conducteurs (ce qui n’est pas une mince initiative puisque la Chine représente près d’un tiers de la consommation américaine de semi-conducteurs), la Chine détient suffisamment de cartes pour riposter - tant à court terme qu’à plus long terme.
La Chine est la source d’environ 80 % des «métaux de terres rares» importés par les États-Unis pour la fabrication de produits critiques (notamment pour la défense et l’électronique grand public), et elle abrite 85 % de la capacité mondiale. Le pays est également le lieu de fabrication de la plupart des produits de haute technologie, y compris l’iPhone d’Apple. Les sites de fabrication et les chaînes d’approvisionnement sont généralement solides en raison de l’infrastructure physique et d’un écosystème de fournisseurs et de main-d’œuvre qualifiée. Il pourrait donc falloir plus d’une décennie pour redéfinir les chaînes d’approvisionnement existantes.
Dans un monde globalisé, les chaînes d’approvisionnement sont des constructions complexes, étroitement liées et transfrontalières. Tout problème en Chine aura également des répercussions sur d’autres pays de la chaîne d’approvisionnement manufacturière. Cette «guerre froide» aura des répercussions au-delà des frontières des deux pays concernés.
Le marchand d’armes est le vainqueur d’une guerre
À court terme, les conditions sont réunies pour une période d’incertitude, ce qui a des implications négatives pour toutes les parties concernées. Ce « port d’armes » en coulisses risque de devenir très néfaste si le conflit s’intensifie. Suivre cette voie de manière linéaire conduira, en fin de compte, à une destruction mutuelle, mais s’en éloigner nécessite une acceptation mutuelle du dénouement.
Il est probable que les chocs à court terme se résorberont à moyen terme. Toutefois, les progrès vers un environnement plus durable se feront nécessairement par étapes. Au fur et à mesure que nous avancerons, les entreprises technologiques de pays comme la Corée et le Japon bénéficieront de sources alternatives à la marge.
À plus long terme, les tensions risquent d’entraîner une période de délocalisation ou de «redomiciliation» des compétences, ainsi qu’une certaine quantité de moyens de production, ce qui sera positif pour les fournisseurs de biens d’équipement en semi-conducteurs in situ. Enfin, à l’approche des élections américaines de novembre, la fin de l’année 2020 devrait être marqué par la fragilité de l’économie du fait du confinement. Par ailleurs, la diffamation de la Chine et la lutte contre la pandémie de coronavirus constituent une parfaite diversion par rapport aux politiques intérieures.