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Pierre Verlé (Carmignac) reste convaincu qu’une sélection active des meilleurs émetteurs reste une solution pour traverser sans encombre le contexte actuel sur la dette d’entreprise. 

A l’occasion de son récent passage à Bruxelles, nous avons eu l’occasion de rencontrer Pierre Verlé. Après avoir passé une bonne partie de sa carrière dans la gestion de crédit « distressed » (des émissions sur lesquelles les valorisations sont très déprimées), il est devenu responsable des activités sur le crédit d’entreprise chez Carmignac. A ce titre, il gère le fonds Carmignac Portfolio Credit, un des rares produits notés cinq étoiles chez Morningstar sur le segment de la dette d’entreprise. 

Comment analysez-vous la performance depuis le début de l’année ? 

Pierre Verlé : « L’absence d’inflation avait permis la mise en place de politiques monétaires très expansionnistes depuis la crise de 2008, un climat qui avait largement bénéficié aux valorisations sur la dette d’entreprise. La situation a fortement changé ces derniers mois, avec les problèmes d’approvisionnement et l’invasion de l’Ukraine. L’inflation sur les produits énergétiques et alimentaires commence à se faire sentir, et vu du poids de ces deux postes dans les dépenses des ménages, il y aura un impact sur la croissance économique. Dans ce contexte, les marchés obligataires traversent des moments plus difficiles ».

La transition énergétique va également renforcer ces tensions inflationnistes… 

P.V. : « L’Europe va vouloir moins dépendre des matières premières d’origine russe (gaz rares, métaux, gaz naturel, pétrole, etc) dans le futur, même si le conflit trouvait une résolution assez rapidement. La mise en place d’une telle politique va être de nature à renforcer les tensions sur les prix, car il ne suffira plus d’ouvrir un robinet en Allemagne pour avoir le gaz russe à bon marché qui vient chauffer les maisons et faire tourner les industries. Si nous coupons du jour au lendemain l’arrivée du gaz russe en Europe, nous allons droit vers une économie de rationnement dans certains pays. L’Europe s’est rendu compte de sa vulnérabilité, et ce qui se passe actuellement va être un bon catalyseur pour accélérer notre transition énergétique. En l’absence de cette crise, je ne suis pas certain que cette urgence aurait été aussi perceptible ».

La position des banques centrales est aujourd’hui particulièrement compliquée… 

P.V. : « Dans le contexte inflationniste actuel, les banques centrales sont aujourd’hui prises entre deux feux, car elles ne peuvent plus répondre aux crises en ouvrant la vanne monétaire comme elles l’ont constamment fait depuis 2008. En outre, une grande partie des personnes actives sur les marchés financiers ne connaissent aujourd’hui pas l’inflation et ce qu’elle peut faire sur le prix des actifs. Les investisseurs ont été particulièrement complaisants ces dernières années, or le mandat d’une banque centrale n’est pas la stabilité des marchés financiers, c’est la lutte contre l’inflation ».   
Comment avez-vous adapté l’exposition de votre portefeuille ? 

P.V. : « Notre exposition nette sur le haut rendement est aujourd’hui dans le bas de sa fourchette historique, et concentrée sur les durations courtes afin de diminuer la sensibilité du portefeuille face à une remontée des taux. Nous avons aussi près de 20% sur des émissions à taux flottants, et nous avons relevé notre exposition sur des émetteurs susceptibles de bénéficier de la hausse de l’inflation ainsi que sur les groupes pétroliers ou de services pétroliers. Enfin, nous avions également remonté le niveau des couvertures et des liquidités dans le portefeuille lors du déclenchement de l’invasion de l’Ukraine. ». 

Et le secteur bancaire ?

P.V. : « Durant les quinze dernières années, les banques européennes ont très nettement assaini leur situation financière. Et elles présentent également l’avantage d’être plus facilement aidées par les banques centrales, qui ne pourront à l’inverse rien faire contre la rupture d’approvisionnement de certains composants électroniques. Nous avons donc essentiellement maintenu nos positions sur ces émetteurs ».

Les problèmes d’approvisionnement vont avoir des conséquences sur certains émetteurs ?

P.V. : « A l’heure actuelle, un grand nombre de groupe sont encore dans l’incertitude. Nous attendons à ce qu’ils commencent à communiquer sur ces problèmes lorsqu’ils auront bien identifié et quantifié les problèmes. Si vous faites une communication au marché sans avoir tous ces éléments, les marchés vont imaginer le pire. Et les investisseurs reprocheront ensuite aux directions d’avoir créé de la volatilité inutile si le pire ne se matérialise pas ». 

Est-il facile de gérer un fonds obligataire dans ces circonstances ?

P.V. : « Il faut bien se rendre compte que notre métier est d’investir même lorsque nous n’avons pas l’information complète à notre disposition. Même temps normal, il faut être raisonnablement pessimiste afin d’estimer la capacité à rembourser. C’est la base de l’investissement sur le marché du crédit, il y a toujours des mauvaises surprises qui peuvent intervenir.

Il faut également être conscient de l’asymétrie d’information qui peut exister sur les marchés financiers, et se rendre compte que la personne qui essaie de vendre peut avoir des informations beaucoup plus complètes que vous. Si je vois une entreprise qui se dépêche d’émettre de la dette alors qu’elle n’avait apparemment pas de problèmes, j’essaie de savoir pourquoi elle semble si pressée de s’endetter. Dans les circonstances actuelles, une question à se poser est par exemple de savoir si elle ne va être mise en difficulté en raison des disruptions sur les chaînes d’approvisionnement. Il faut toujours être un peu paranoïaque pour investir sur le marché du crédit ». 

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