La société néerlandaise Carbon Equity s’apprête à lever des fonds sur le marché belge également pour investir dans les technologies climatiques. Dans Le Miroir, Jacqueline van den Ende, CEO et fondatrice, nous parle de son parcours entrepreneurial, de son enfance au sein d’une ‘famille Shell’ et explique avoir vécu un choc culturel plus important aux Pays-Bas qu’en Syrie.
« C’est à mon grand-père que je ressemble le plus. Il était lui aussi un énorme bourreau de travail et avait des opinions bien tranchées sur les questions de société. » En tout cas, Jacqueline van den Ende sait d’où lui vient sa volonté d’améliorer le monde. Jacqueline Van den Ende est CEO et fondatrice de Carbon Equity, une plateforme numérique qui permet aux particuliers d’investir dans les technologies climatiques. « Nous voulons maintenant devenir plus actifs en Belgique également, car c’est un marché très intéressant pour nous, avec beaucoup de capitaux détenus par des investisseurs particuliers », explique van den Ende. Le mercredi 22 novembre, la plateforme organisera pour la première fois en Belgique un événement de connaissances Carbon Equity destiné aux entrepreneurs qui souhaitent en savoir plus sur l’investissement dans les technologies climatiques.
Via la plateforme, les investisseurs peuvent investir dans des domaines tels que les gigabatteries, l’acier plus écologique, le ciment sans CO2, la viande d’origine végétale ou les solutions à base d’hydrogène. « Il s’agit en fait de toute innovation nécessaire pour passer d’une économie fortement dépendante des énergies fossiles à une économie sans énergies fossiles. Avec Carbon Equity, vous n’investissez pas directement dans ces entreprises, mais avec des investisseurs professionnels par le biais de fonds de capital-risque et de capital-investissement qui ne sont normalement pas accessibles aux investisseurs privés », explique van den Ende.
160 millions d’euros
Ces deux dernières années, la plateforme a levé plus de 160 millions d’euros auprès d’investisseurs privés. « Parmi nos clients, nous comptons de nombreux entrepreneurs, dont des entrepreneurs technologiques qui ont vendu leur entreprise, mais aussi de nombreuses familles fortunées, dont les parents souhaitent initier leurs enfants au monde de l’investissement par le biais d’un thème qui enthousiasme la jeune génération. Ensuite, certains de nos investisseurs sont des professionnels fortunés, associés de fonds de capital-investissement, consultants ou avocats. Nous travaillons également beaucoup avec des family offices, des fondations ou de petits investisseurs institutionnels. » Quelle est la motivation de ces investisseurs ? « Certains d’entre eux considèrent tout simplement qu’investir dans le thème climatique est fantastique et veulent avoir un impact sur le monde. D’autres adoptent une perspective plus opportuniste et voient dans les technologies climatiques certains des segments de marché connaissant la croissance la plus rapide au monde. »
Entreprendre
Jacqueline Van den Ende a créé sa première entreprise, De Kleine Consultant, alors qu’elle était encore étudiante. Il s’agissait d’une société de conseil gérée par des étudiants, qui existe d’ailleurs toujours. Elle a ensuite travaillé chez HAL Investments, une société d’investissement néerlandaise cotée en bourse, avant de s’installer aux Philippines trois ans plus tard. C’est là qu’elle a fondé Lamodi, aujourd’hui le plus grand site web immobilier des Philippines. Trois ans plus tard, elle est devenue CEO de la fintech TrueMoney. Cette aventure a duré un peu plus d’un an, après quoi elle est retournée aux Pays-Bas pour devenir associée de la société d’investissement amstellodamoise Peak Capital.
Mais alors que de nombreuses personnes travaillant dans le secteur financier auraient pu considérer qu’elles avaient réalisé leur plus grande ambition, Jacqueline a décidé au bout d’un an et demi de tout remettre en question pour choisir la voie incertaine de l’entrepreneuriat avec la fondation de Carbon Equity. « J’ai toujours ressenti le besoin et la volonté très forts de construire, ce qui fait de vous un entrepreneur, bien sûr. Pourtant, je ne suis pas du tout issue d’une famille d’entrepreneurs, c’est pourquoi j’ai grandi avec la mentalité selon laquelle il faut d’abord faire ses armes au sein d’une grande entreprise, ce que j’ai fait activement. Forte de cet important bagage, je suis devenue une bien meilleure entrepreneuse. Bien sûr, j’aurais pu me lancer plus tôt dans l’entrepreneuriat, mais il m’a fallu pas mal de temps pour développer ma confiance en moi et fonder Carbon Equity. »
Choc culturel
Jacqueline Van den Ende a grandi dans une famille néerlandaise de la classe moyenne. Son père était un ‘Shell man’ et travaillait en tant qu’ingénieur pour la compagnie pétrolière, tandis que sa mère était avocate. La famille s’est installée en Australie lorsque Jacqueline Van den Ende avait un an. Après un séjour de cinq ans à Melbourne, la famille a déménagé en Syrie. « Nous avons passé de très bons moments là-bas aussi. Je ne suis revenue vivre aux Pays-Bas qu’à l’âge de 11 ans et depuis lors, je suis toujours restée une citoyenne du monde. Curieusement, le plus difficile a été de me réintégrer aux Pays-Bas. J’ai ressenti un choc culturel plus important aux Pays-Bas qu’en Australie ou en Syrie. J’étais habituée à une culture très internationale et diversifiée, alors que les Pays-Bas me paraissaient beaucoup plus monoculturels, avec des enfants de la même classe économique, qui allaient tous à la même école et étaient membres du même club de tennis ou de hockey. Il m’était difficile de m’y sentir chez moi. »
Shell
« Mon père a vécu une époque très différente. Dans les années 80 et 90, on allait travailler chez Shell comme on serait allé travailler chez Nestlé. À l’époque, le changement climatique n’était pas un sujet de préoccupation majeure pour l’employé chez Shell moyen. Le pétrole et le gaz étaient alors considérés comme de simples matières premières bon marché, nécessaires à la croissance économique dans de nombreux pays. Au final, les choses ont évolué différemment. Cependant, je ne blâme pas mon père pour autant. En fait, c’est même beau de voir comment, à l’âge de 76 ans, il s’engage tout de même dans la lutte contre le réchauffement climatique. En revanche, je reproche aux dirigeants actuels de Shell de ne pas investir de manière suffisamment proactive dans la transition vers une société sans énergies fossiles. »
Extinction
L’idée de Carbon Equity est née en 2019. « À ce moment-là, je lisais ‘The Sixth Extinction’, un livre concernant les extinctions de masse passées et le rôle du changement climatique à cet égard. Cela m’a fait prendre conscience du fait que je voulais consacrer ma carrière à contribuer à résoudre le problème du changement climatique. De plus, je suis convaincue que les capitaux jouent un rôle très important dans la lutte contre le changement climatique. En tant qu’associée d’un fonds fintech, j’ai appris que l’argent constitue le moteur de l’économie et de la société. Avec des capitaux, on peut construire un monde pérenne. Pour passer d’une économie basée sur les énergies fossiles à une économie sans énergies fossiles, il faut investir massivement dans la technologie. Cela nécessite des fonds, et c’est ce que nous nous efforçons de mobiliser. »
Mode de vie durable
Dans sa vie personnelle également, Jacqueline Van den Ende accorde une grande importance à la durabilité. « Je suis pragmatique. Je prends toujours l’avion, mais le moins possible. Partir pour un week-end à Barcelone avec easyJet, c’est terminé. Je ne vais pas non plus à des conférences pour lesquelles je devrais prendre l’avion pour une journée à peine, mais cet été, je l’ai pris pour aller en Australie, où vit un des meilleurs amis de ma femme. Si nous faisions tous des choix un peu plus conscients sur notre manière de consommer et de voyager, nous ferions déjà un grand pas en avant. »
Jacqueline Van den Ende se décrit comme une idéaliste réaliste. « J’ai en tête une vision de ce à quoi le monde pourrait ressembler, mais il faut convaincre les gens de prendre cette orientation. Si vous êtes trop idéaliste, vous risquez de les perdre en cours de route. »