L’explosion de l’inflation constatée cette dernière année n’est pas un problème récent. Nous avons vécu une forte inflation des actifs ces quinze dernières années, et les prix à la consommation et à la production suivent désormais le mouvement. Attribuer exclusivement ce phénomène au COVID et à l’Ukraine relèverait de la malhonnêteté intellectuelle ; les banques centrales ne sont pas irréprochables non plus.
Voilà ce qu’affirme Johan Van Overtveldt (photo), docteur en économie, ancien ministre belge des Finances et actuel eurodéputé, dans le contexte des défis macroéconomiques auxquels nous sommes confrontés.
Le multiplicateur monétaire connaît une forte croissance. La base monétaire créée par les banques centrales et ayant entraîné M3, la masse monétaire au sens large, remontait déjà pendant la crise sanitaire. En outre, on notait déjà une inversion du ralentissement de la vitesse de circulation monétaire. « Ces deux effets se renforcent mutuellement. Si cette masse monétaire accrue commence à circuler plus rapidement au sein de l’économie, cela produit immanquablement des tendances inflationnistes », souligne Van Overtveldt.
Il déplore l’attitude de la BCE, qui « affirme assez fanatiquement qu’il s’agit d’une inflation à laquelle on ne peut rien faire, car elle est due à l’augmentation des prix énergétiques et alimentaires.
Cela n’est absolument pas correct pour les raisons susdites, mais nous nous trouvons également dans une période où les entrepreneurs augmentent toujours plus leurs prix car tout le monde fait de même. Les anticipations s’en trouvent ainsi totalement déséquilibrées ou désancrées. Cela relève donc bien de la responsabilité des banques centrales. Si elles font bien leur travail et interviennent à temps, on peut tout à fait tuer dans l’œuf de telles tendances. La BCE doit donc rapidement se ressaisir, car elle est dépassée par les événements. »
Prisonnières
Selon Van Overtveldt, les banques centrales sont devenues d’une part les prisonnières des marchés financiers et, d’autre part, des autorités fiscales. « Les banques centrales ont créé certaines attentes vis-à-vis des marchés financiers du fait de leurs interventions et de leur politique monétaire asymétrique. Cela dure depuis extrêmement longtemps et a ainsi entraîné un effet de levier et un endettement colossaux, bref, un risque moral. »
La BCE, bien sûr, mais aussi la Réserve fédérale, hésitent à intervenir et augmenter le taux d’intérêt ; cette hésitation est néanmoins en train de disparaître du côté de la Fed. « Les déclarations de madame Brainard, qui est très ‘Dovish’ au sein de la Fed, en disent très long de ce point de vue. La BCE, quant à elle, tarde beaucoup trop à agir, car pour ce qui concerne les prix à la production et la consommation, nous sommes partis pour une longue période d’inflation à deux chiffres. »
L’économiste souligne que ce phénomène va engendrer de graves problèmes sociaux et une forte inquiétude dans toute l’Europe ; on peut citer l’exemple des grèves et révoltes qui ont actuellement lieu en Grèce. Selon lui également, l’essor spectaculaire, ces dernières semaines, de Marine Le Pen, qui s’est presque hissée au niveau de Macron, est révélateur de ce point de vue et montre que le citoyen français demande une approche vigoureuse pour étouffer l’inflation dans l’œuf.
Le retour des années 70 ?
Pour Van Overtveldt, l’histoire se répète, mais jamais de la même façon. Lui‑même a été l’un des architectes du saut d’index du précédent gouvernement, mais se montre aujourd’hui réticent face à un nouveau saut d’index. « L’impact social en serait trop important. La population ne pourra vraiment pas supporter un saut d’index maintenant, et deux encore moins. » Une indexation pèsera cependant sur la compétitivité.
Van Overtveldt ne voit qu’une seule manière d’éviter un scénario façon ‘années 70’ : une forte diminution des cotisations patronales sur les salaires. En dépit des conséquences budgétaires qu’une telle démarche aurait, elle permettrait de contrer la diminution de l’emploi et pourrait être récupérée largement dans le budget lors de la reprise. « Si j’étais ministre des Finances aujourd’hui, c’est cette démarche que je défendrais au sein du gouvernement. C’est toujours une meilleure option que de triturer l’index. »
Taux d’intérêt
D’après Van Overtveldt, le taux nominal aux États-Unis va finir autour des 2,5 à 3 pour cent. La pression exercée sur la BCE en faveur d’une nouvelle augmentation ne va faire que se renforcer selon lui. « Ceci aura un impact sur le taux de change dollar-euro et affaiblira l’euro, ce qui alimentera à son tour l’inflation, mais bénéficiera à la force exportatrice de la zone euro. »
L’axe Lagarde-Lane constitue, pour l’économiste, la base de la politique de la BCE. « Lane est un vrai ‘Dove’. Son attitude actuelle frôle l’irresponsabilité. Heureusement, certaines personnes, comme Pierre Wunsch en Belgique, s’écartent de cette voie et adoptent une attitude plus ferme. Je ne peux pas imaginer que la BCE n’intervienne pas au cours des prochaines semaines. Cela serait pour moi une totale aberration, mais je crains qu’elle en fasse trop peu, et trop tard.
Mon dernier livre, The Mystic Hand, est dédié à la mémoire de Volcker, l’ancien président de la Fed. La leçon qu’il nous a apprise est que plus on attend pour endiguer une inflation, plus ce sera compliqué. Il avait alors augmenté le taux d’intérêt de 30 à 40 pour cent pour endiguer l’inflation. Espérons que nous n’en arriverons pas là et que nous agirons à temps. Il n’y a pas à faire de folies, mais je trouve la politique actuelle de la Fed bien plus raisonnable que celle de la BCE », conclut Van Overtveldt.
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