
Les droits de douane élevés sur les importations américaines devraient contribuer à réduire les déficits budgétaires des États-Unis. « Quels que soient les deux ou trois prochains présidents, ils auront exactement le même problème : le pays doit trouver un moyen de réduire ses déficits, parce qu’ils ne sont pas soutenables. »
Jim Caron, CIO de la division des solutions de portefeuille de Morgan Stanley Investment Management, était aux Pays-Bas la semaine dernière pour échanger avec des clients et, au milieu du chaos qui règne sur les marchés financiers, il a trouvé le temps de parler à Investment Officer des politiques commerciales du président américain Donald Trump. Il a tenu à préciser d’emblée qu’il ne lui appartient pas d’approuver ou de désapprouver ces politiques, mais plutôt de les comprendre – ou du moins, d’essayer de les comprendre. « Les choses sont ce qu’elles sont, il faut faire avec. Que vous soyez d’accord ou non avec cette politique est une autre question. Et ce n’est pas à moi d’y répondre. Afin de comprendre ce qu’il convient de faire en tant qu’investisseur, ma principale préoccupation est de comprendre le contexte de ces événements et de ces développements », a-t-il déclaré.
Doit-on comprendre que le cœur du problème, ce sont les finances publiques américaines ?
M. Caron : « Oui, il s’agit l’énorme dette nationale des États-Unis et des déficits budgétaires qui ne cessent d’augmenter. Si rien n’est fait, ils deviendront insoutenables. Le problème est lié à la structure de la population des États-Unis. D’énormes dépenses vont devoir être réalisées. À partir de 2028, la dernière cohorte de baby-boomers – ceux qui sont nés avant 1966 – aura également droit à la sécurité sociale et à l’assurance maladie, ce qui signifie des dépenses obligatoires pour le gouvernement. Par conséquent, dans toutes les projections, les dépenses publiques augmentent de manière exponentielle à partir de 2028. Ce n’est pas viable. Si cette situation devait perdurer, elle entraînerait une correction véritablemen massive des marchés financiers. C’est pourquoi il faut s’attaquer à ce problème dès maintenant. »
Mais il y a plusieurs façons de s’attaquer à ce problème.
« Bien sûr, mais il faut surtout comprendre que les choix dans ce contexte ne sont pas politiques au départ. C’est ce que j’ai dit l’année dernière, au moment des élections : qu’il s’agisse de Kamala Harris ou de Donald Trump, ce problème mathématique existe et persistera si nous ne trouvons pas une solution. Mais ce n’est pas un problème politique. Nous devons également comprendre clairement que ce problème ne disparaîtra pas lorsque M. Trump ne sera plus président. Quels que soient les deux ou trois prochains présidents, ils auront exactement le même problème. »
Mais un début d’approche a été initié ?
« Bien sûr. D’une part, je suis donc convaincu que la date du 2 avril 2025 entrera dans les livres d’histoire. C’est le jour où la réinitialisation de la mondialisation a commencé. D’autre part, on peut discuter de la manière dont cela se passe, de la mise en œuvre. Nous savions tous que les droits de douane à l’importation allaient être augmentés, mais les investisseurs ont été surpris par l’ampleur de la hausse. Selon moi, le président Trump a donc agi de manière trop agressive et trop rapide. »
L’augmentation des droits de douane à l’importation est-elle vraiment nécessaire pour réduire le déficit budgétaire des États-Unis ?
« La réduction de la dette et du déficit peut se faire de trois manières. Vous pouvez déclarer faillite et être en défaut. C’est évidemment une mauvaise chose. Deuxièmement, si vous alimentez l’inflation, les dettes diminuent également. Mais cela n’est pas souhaitable non plus. La troisième option consiste à sortir de l’endettement. C’est là le but visé. En effet, la croissance peut être taxée, ce qui génère des recettes supplémentaires. Comment stimuler la croissance ? Le PIB est la somme de quatre éléments : la consommation, les dépenses publiques, l’investissement et la balance commerciale. Avec les droits de douane à l’importation, Donald Trump veut améliorer la balance commerciale. »
Y parviendra-t-il ?
« C’est un autre point sur lequel on peut débattre. Les droits de douane auront-ils l’effet escompté ? Un déficit commercial important n’est pas forcément un problème, mais la balance des États-Unis est déficitaire d’environ 800 milliards de dollars. Il s’agit d’un montant énorme et d’un déséquilibre majeur dans le système commercial mondial. Si l’on ajoute à cela les données démographiques que je viens de mentionner, cet important déficit commercial n’est pas soutenable. Je comprends donc la tentative d’augmenter les recettes tirées de ce déséquilibre, et c’est ce que l’on fait avec les droits de douane. Mais cela va-t-il forcément conduire à la relocalisation de la production ? De nombreuses baskets sont aujourd’hui fabriquées au Vietnam pour le marché américain. La solution pour les États-Unis serait-elle de recommencer à fabriquer des baskets ? Probablement pas. »
La nouvelle politique commerciale des États-Unis va-t-elle mettre un terme à la mondialisation ?
« Si nous définissons la mondialisation comme la situation dans laquelle les pays ont des excédents commerciaux perpétuels avec les États-Unis : oui. Et si nous décrivons cela comme la situation où la Chine triche dans le commerce et déverse des marchandises partout : effectivement, la mondialisation régresse. Les États-Unis ont toujours fait un compromis au cours des années de délocalisation : nous avons été prêts à sacrifier nos usines et nos travailleurs pour pouvoir acheter des produits moins chers. Cette situation était viable jusqu’à ce que la Chine rejoigne l’OMC, puis les choses ont mal tourné. C’est pourquoi cette réinitialisation est nécessaire maintenant, une réinitialisation de la mondialisation, découlant de la nécessité pour les États-Unis de prendre des mesures pour remédier à leurs déficits. »
On pourrait aussi appeler ça du protectionnisme, non ? L’isolationnisme se profile-t-il à l’horizon ?
« Ce n’est pas comme ça que je qualifierais les choses. Il y a des débats politiques houleux à ce sujet, c’est un sujet très sensible. C’est pourquoi les gens sont prompts à s’émouvoir. Et vous êtes immédiatement placé dans un camp dont il est impossible de sortir. C’est en partie pour cette raison que je tiens à souligner qu’il s’agit essentiellement d’une question d’arithmétique, et pas nécessairement d’une question politique. Les États-Unis n’ont pas d’autre choix que de s’attaquer à leurs déficits, c’est aussi simple que cela. C’est la raison pour laquelle ce problème n’est pas résolu : il nous hantera encore pendant des décennies ».