Après l’annus horribilis de 2022, les fonds d’investissement se sont légèrement redressés en 2023. L’année n’a toutefois pas été un long fleuve tranquille, face à la multiplication des défis. Une lueur d’espoir toutefois : le marché belge des fonds se défend plutôt bien.
C’est à Koen Van de Maele, président de l’association belge des gérants d’actifs (BEAMA) que revenait l’honneur de donner le coup d’envoi du Trends Investment Summit 2024, mercredi 13 mars. Il a dressé un état des lieux du secteur belge (et international) des fonds, et mis en lumière plusieurs tendances majeures.
La croissance ne provient pas des afflux nets
Au niveau international, l’actif géré par les fonds est reparti à la hausse en 2023. « Avec 123 000 milliards de dollars sous gestion à la fin de l’année 2023, le niveau de fin 2021 est de nouveau en vue et les pertes de 2022 ont presque totalement été compensées. Mais pour trouver de la croissance, il est de plus en plus nécessaire de se tourner vers l’Asie. Pour la période 2023-2027, une croissance annuelle de 13 % est attendue dans cette région, alors que les prévisions pour la même période en Europe et en Amérique du Nord sont respectivement de 5 % et 4 % », indique Koen Van de Maele.
Parallèlement, il souligne que l’augmentation des actifs sous gestion dans les fonds d’investissement en 2023 est presque exclusivement due à la meilleure performance du marché, et non à une collecte nette. « En Europe, il n’y a pratiquement pas eu de croissance en 2023. L’augmentation de 82 milliards de dollars est presque entièrement imputable aux fonds du marché monétaire, tandis que les fonds d’actions ont enregistré une décollecte de 34 milliards de dollars. Les investisseurs sont ainsi un peu échaudés par l’inflation élevée et les incertitudes géopolitiques.
Koen Van de Maele souligne subtilement que les fonds du marché monétaire sont moins lucratifs pour les sociétés de fonds, si bien que leur popularité grandissante n’est pas réellement une bonne nouvelle pour le secteur.
La Belgique, cependant, a légèrement mieux performé que l’Europe et vu ses actifs sous gestion augmenter de 1 % en 2023. Les fonds d’actions ont connu une légère entrée nette ; c’est mieux que la moyenne européenne, qui a enregistré une sortie nette de 1 % (voir le tableau ci-dessous).
Les fonds obligataires (+9 %) ont été redécouverts, en particulier ceux axés sur les obligations en euros, qui ont gagné en popularité, comme dans le reste de l’Europe. Les fonds mixtes ont, pour leur part, enregistré une légère décollecte de 2 %. « Pour le marché belge, ce dernier segment est le plus important du marché : ce léger recul est donc loin d’être négligeable. »
Croissance des catégories d’investissement en Belgique en 2023
Source : BEAMA
En somme, Koen Van de Maele observe que le marché belge des fonds - qui surpasse en taille celui des Pays-Bas - continue à bien se porter. « Au troisième trimestre 2023, 17,14 % des actifs des ménages belges étaient placés dans des fonds d’investissement, contre 9,47 % pour les ménages européens. En 2013, ces pourcentages étaient respectivement de 10,79 % et 6,54 %. Les fonds de pension belges font toujours belle figure, malgré un environnement macroéconomique difficile. Pas moins de 1,8 million de Belges y investissent, contre 676 250 en 1996, ce qui représente une croissance annuelle de 3,7 %.
Lassitude à l’égard de l’ESG
L’année dernière, Koen Van de Maele a identifié une tendance notable : la lassitude des investisseurs à l’égard de l’ESG. « Ces dernières années, l’ESG a dominé le débat sectoriel, à tel point que 53 % des fonds européens se qualifient aujourd’hui de durables, contre 11 % en 2020. Au cours du premier semestre de l’année, l’ESG a continué à attirer des capitaux, mais à partir de juin, l’intérêt s’est soudain tari : une sorte de lassitude vis-à-vis de l’ESG s’est clairement installée parmi les investisseurs. La performance moyenne inférieure n’y est pas étrangère. »
Il est frappant de constater qu’en Europe, d’importantes disparités entre les pays sont observables concernant la proportion des investissements durables. « En Belgique, aux Pays-Bas, en France et dans les pays scandinaves, la majeure partie des actifs gérés sont investis dans des fonds durables. En Europe du Sud, en Suisse et au Royaume-Uni, c’est l’inverse. » Le président de la BEAMA attire aussi l’attention sur les États-Unis, où l’intérêt pour l’ESG s’est totalement évanoui, avec même une fuite de capitaux des fonds durables.
Volume des investissements durables en Europe en 2023
Source : BEAMA
Percée des marchés privés
Koen Van de Maele observe en outre l’émergence de deux autres tendances : la percée des marchés privés et la progression continue des ETF et des investissements passifs. « L’accès aux marchés privés s’est démocratisé. Les investisseurs de détail n’ont investi que 1 % de leurs actifs sur les marchés privés, alors que cette proportion est beaucoup plus élevée chez les investisseurs institutionnels. La législation ELTIF a servi de passerelle et ELTIF 2.0, entré en vigueur en janvier 2024, va encore renforcer l’intérêt des investisseurs de détail. »
Il n’est pas surprenant que les trackers continuent d’augmenter leur part de marché, mais restent à la traîne en Europe par rapport aux États-Unis. « En 2023, les ETF et les fonds passifs représentaient 22 % du marché en Europe, contre 36 % aux États-Unis. Aux États-Unis, nous observons également une percée significative des ETF actifs, qui gèrent déjà 596 milliards de dollars, contre 31 milliards en Europe. Étant donné que les États-Unis sont souvent précurseurs, il y a fort à parier que ces produits connaîtront une expansion similaire chez nous également dans les années à venir. »
Défis non négligeables
Koen Van de Maele répertorie cinq tendances majeures pour l’industrie des fonds. Sa première observation est que la croissance n’est désormais plus systématiquement garantie et que 90 % de la croissance des revenus de l’industrie des fonds entre 2006 et 2022 peuvent être attribués à la performance du marché.
Les fonds passifs continuent de gagner en popularité. « Entre 2010 et 2022, les ETF et les fonds passifs ont représenté 90 % des entrées nettes aux États-Unis, une tendance qui ne montre aucun signe de revirement à court terme », souligne Koen Van de Maele.
Les commissions sont sous pression en raison d’une concurrence accrue, tandis que les coûts continuent d’augmenter du fait d’une législation plus stricte, d’exigences ESG plus strictes, d’une charge administrative toujours plus lourde et de la mise en œuvre de toutes sortes de technologies.
Enfin, le président de la BEAMA observe que de moins en moins de nouveaux produits parviennent à se maintenir sur le marché. « Seuls 35 % des nouveaux fonds réussissent à survivre plus de 10 ans, contre 60 % en 2010. »