Chaque mois, Investment Officer sonde Jan Longeval, expert en investissement, sur sa vision de l’actualité économique et financière. En ce mois d’octobre, ce dernier met en garde contre les risques liés aux Monnaies Numériques de Banque Centrale (MNBC).
« De nombreuses banques centrales à travers le monde sont aujourd’hui en phase pilote pour lancer des MNBC », explique Jan Longeval. « Dans le système monétaire actuel, ni les particuliers ni les entreprises ne possèdent de compte auprès d’une banque centrale. Les acteurs privés détiennent un compte auprès d’une banque commerciale, qui elle-même détient un compte auprès de la banque centrale. Ce système présente des avantages et des inconvénients. »
To make a loan
« L’un des inconvénients est que lorsque vous effectuez vous-même un dépôt auprès d’une banque commerciale, c’est exactement comme si vous lui accordiez un prêt. Les dépôts des clients ne figurent pas à l’actif de la banque, mais à son passif. Vous fournissez une forme de capital à cette banque commerciale. Cela signifie également qu’un dépôt peut disparaître en cas de faillite de la banque commerciale. »
« Les banques commerciales sont à l’origine de 95 % de la création monétaire », poursuit Jan Longeval. « Elles créent de l’argent en octroyant des crédits, sans avoir recours aux dépôts. Si vous contractez un prêt hypothécaire de 300 000 euros, votre banque commerciale crée ces 300 000 euros. En anglais, l’expression to make a loan est très pertinente. Lorsque vous empruntez 300 000 euros, la banque « fabrique » ce prêt de 300 000 euros, qu’elle inscrit à l’actif de son bilan. En même temps, elle crée un dépôt de 300 000 euros, qu’elle crédite sur le compte l’emprunteur. »
Oxygène
« Le modèle des banques commerciales repose sur un effet de levier structurellement élevé, explique Jan Longeval. Typiquement, le total du bilan d’une banque commerciale représente un multiple de ses fonds propres, ce qui rend ce modèle intrinsèquement fragile. Cependant, il est indispensable, car il permet aux banques commerciales de créer suffisamment d’argent sous forme de crédits, qui constituent, avec l’innovation, l’oxygène de la croissance économique. »
« C’est précisément pour renforcer ce modèle fragile des banques commerciales que les banques centrales ont été créées. Leur mission est de prévenir la dévaluation monétaire et d’éviter le chaos dans le système monétaire, synonyme de système bancaire. »
« Lorsqu’une banque commerciale est au bord de la faillite, la banque centrale est prête à intervenir pour la sauver. Pour offrir encore plus de sécurité au déposant, le système de garantie des dépôts a également été mis en place. Certes, ce système n’est pas exempt de défauts et ne peut éliminer totalement les crises financières, mais dans l’ensemble, si l’on examine la croissance économique et la création de richesse au cours des cent dernières années, il est indéniable qu’il a contribué à réaliser des avancées considérables. »
Encore plus sûr (?)
« Dans certains milieux politiques et technocratiques, l’idée de renforcer encore davantage la sécurité du système en permettant au secteur privé non financier de détenir un compte bancaire directement auprès de la banque centrale gagne du terrain », déclare Jan Longeval en fronçant les sourcils.
« Selon eux, c’est la solution miracle. En effet, la banque centrale d’un pays ou d’une région souveraine sur le plan monétaire ne peut pas faire faillite car elle peut créer indéfiniment de sa propre monnaie, ce qu’on appelle le power of the purse (pouvoir du porte-monnaie). De plus, toutes les personnes dans le monde qui possèdent un smartphone mais pas de compte bancaire pourraient ainsi en détenir un, directement auprès de la banque centrale. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jan Longeval n’est guère enthousiaste à l’égard de ces projets. « Premièrement, le N dans MNBC est trompeur. Nos comptes bancaires actuels auprès des banques commerciales sont déjà numériques, donc une MNBC n’apporte rien de nouveau sur ce point. De plus, je considère les MNBC comme une très mauvaise idée pour plusieurs raisons. On dit souvent : If it’s not broken, don’t fix it – nul besoin de réparer ce qui n’est pas cassé. Comme je l’ai déjà dit, ce système a très bien fonctionné au cours des siècles passés, malgré certaines imperfections et crises récurrentes. »
« On observe, au niveau des gouvernements européens, une tendance au centralisme. En Europe, la BCE s’active autour de la question des MNBC, tandis que la réglementation de la Commission européenne devient de plus en plus contraignante. Les MNBC constituent en réalité la prochaine étape vers une économie planifiée, avec un contrôle étendu sur la vie des citoyens. Il n’est pas surprenant que le gouvernement chinois soit un fervent partisan des MNBC. »
Pleins pouvoirs au gouvernement
« Il est néanmoins question de certaines formes hybrides, où l’on continuerait à passer par les banques commerciales. Cependant, même dans ce cas, toute l’architecture est actuellement mise en place pour qu’un jour, votre compte figure directement au bilan de la banque centrale. »
Jan Longeval estime qu’un débat public sur les MNBC devrait se tenir en Europe. « Si l’on s’engage dans cette voie, je devrai peut-être reconsidérer mon avis sur les cryptomonnaies. »