Le real brésilien a été fortement impacté par la récente épidémie du Covid-19, à laquelle s’ajoutent une crise économique et les actions de son controversé président Bolsonaro. Même si le taux de change du real s’est relevé, une deuxième vague de vente boursière pourrait rapidement suivre. Godard Strengers (photo), expert en devises chez Ebury, voit des opportunités commerciales pour le Benelux, mais voit également une reprise du real à plus long terme.
Strengers: «En début d’année, il fallait compter un peu plus de 4 real brésilien pour 1 dollar US. Mi-mai, il fallait plus de 5,85 real pour 1 dollar US. Il s’agit là du plus bas taux de change jamais enregistré par la monnaie brésilienne. Depuis, la monnaie tend à revenir vers son niveau de début d’année. Les nouvelles économiques positives ont conduit à une tendance ‘risk-on’ de la part des investisseurs, qui a permis d’amener le cours à 4,81 real pour 1 dollar US. Malheureusement, cette réaction fut de courte durée, car le Covid-19 est venu toucher de plein fouet l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Avec pour effet d’affaiblir à nouveau la monnaie et de voir le taux de change passer à un USD/BRL de 5,31.»
«Cette régression a immédiatement positionné le real comme monnaie la moins performante par rapport à l’ensemble des monnaies des pays émergents (et développés). Plusieurs causes expliquent cette situation.»
Le Brésil a été gravement touché par le coronavirus
Le Brésil a été gravement touché par le coronavirus, tant en nombre de cas détectés que de décès. Un des effets de cette crise sanitaire a été la chute spectaculaire des investissements étrangers directs ; ils étaient de près de 8 milliards de dollars en mars dernier, et d’à peine 230 millions de dollars en avril. Et en ce qui concerne l’avenir, le FMI vient d’annoncer qu’il fallait s’attendre cette année à une fonte de l’économie brésilienne de l’ordre de 5,3 %.
Reste l’attitude du président brésilien face à la crise, qui rencontre l’incompréhension (même dans son propre pays) et nombre de critiques. Avec près de 60.000 décès et plus de 1,4 million de personnes infectées, le Brésil souffre particulièrement. Mais toujours selon le président Bolsonaro, le confinement aura finalement raison du Covid-19, et cette « petite grippe » - comme il qualifie le coronavirus - cessera de faire du mal au pays et finira bien par passer son chemin. Entretemps, le président a déjà été contrôlé quatre fois pour le coronavirus …
De récents sondages laissent apparaître que la population brésilienne n’est pas impressionnée par la façon d’agir de Bolsonaro : 58 % la qualifient de ‘mauvaise ou effrayante’, et à peine 21 % de ‘bonne ou excellente’.
Le real brésilien se redresse
Dans le passé (récent), les investisseurs ont vu les turbulences politiques être compensées par un taux d’intérêt national relativement élevé.
Cependant, alors que le Brésil avait un taux plancher de 6 % au début 2019, ce taux a diminué cette année de moitié, suite à trois réductions successives. En conséquence, en plus des effets de la crise sanitaire et de l’instabilité politique, le real brésilien a encore perdu de son attrait à cause de la dévaluation des taux d’intérêt.
Néanmoins, la monnaie brésilienne est repartie à la hausse au cours des dernières semaines, en gagnant environ 13,5 % entre mi-mai et mi-juin. Ceci est en partie dû à l’amélioration de la situation au niveau mondial. Les mesures de confinement se sont progressivement allégées à travers le monde, et on garde l’espoir qu’un vaccin contre le Covid-19 sera un jour disponible. Mais après l’annonce mi-juin disant que Bolsonaro ‘manipulait les chiffres du nombre de décès du coronavirus’, et sa menace de quitter l’OMS, le real s’est à nouveau mis à perdre du terrain.
Au cours des dernières semaines, des devises refuges comme le dollar US et le yen japonais ont été échangées massivement contre des devises de marchés émergents, dont le real brésilien.
De là, le coût des produits exportés par le Brésil, telles que le café, le soja et le sucre, a tellement chuté avec l’affaiblissement du real, que la recrudescence de la demande étrangère (33 % en mai) permet d’à nouveau soutenir la monnaie brésilienne.
Nouvel affaiblissement
Le real brésilien connaît un nouvel affaiblissement. Depuis que le président Bolsonaro a décidé de ‘censurer’ la publication des données du Covid-19, le real a fait un nouveau bond en arrière. Les tensions politiques et la pression internationale qui pèsent sur le pays, les conditions économiques mondiales encore incertaines, le fait que l’épicentre de l’épidémie du coronavirus est actuellement situé en Amérique du Sud, et la crainte de nouvelles réductions des taux d’intérêt brésiliens, sont autant de facteurs qui contribuent, pour un temps certain, à empêcher le real brésilien de retrouver son niveau de début 2020.
Ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour ceux qui commercent avec le Brésil. À environ 5,5 real pour 1 dollar, la monnaie atteint un niveau d’attractivité qui risque de durer. Du point de vue des commerçants, la faiblesse de la monnaie offre de belles opportunités d’achat des produits d’exportation brésiliens, et la possibilité de coopérer plus intensément avec le marché local. Un importateur de café qui s’approvisionne généralement en Indonésie par exemple, sera plus enclin à choisir des grains de café brésiliens. La monnaie indonésienne étant (pour l’instant) assez stable, le choix du real devient donc évident.
Et si l’économie mondiale devait bientôt reprendre, si le prix des matières premières devait monter en flèche, et si les taux d’intérêt brésiliens passaient à la hausse en raison de pressions inflationnistes, alors un retour à un taux de change inférieur à 4,50 real par dollar US serait parfaitement envisageable.