Les investisseurs sont souvent des hommes, et ils investissent généralement dans des entreprises dirigées par des hommes. Un cercle vicieux que le fonds d’investissement We Are Jane entend briser. Fondé par l’entrepreneuse en série Conny Vandendriessche et les vétéranes de Gimv Muriel Uytterhaegen et Eline Talboom, il investit uniquement dans des entreprises dirigées par des femmes, ou dont l’actionnariat ou la direction sont majoritairement féminins.
Un choix qui est tout sauf philanthropique, car We Are Jane vise en effet un beau rendement. Grâce à leur focalisation, elles trouvent même des deals que d’autres ne voient pas, et se distinguent dans l’univers chargé de l’investissement.
Pourquoi cette focalisation sur les femmes ?
Uytterhaegen : « Nous voulons amener la diversité dans les salles de conseil d’administration, c’est pourquoi nous investissons dans des entreprises qui y prêtent attention. La diversité fait en effet cruellement défaut au sein des entreprises. Une étude révèle que la plupart des investisseurs sont des hommes et que très peu de financement est alloué aux femmes entrepreneurs. En tant que fonds, nous voulons y remédier. »
Vous vous concentrez sur les entreprises plus matures. Pourquoi ne pas commencer à la source, les start-up ?
Uytterhaegen : « On nous pose régulièrement la question, mais au final, il existe déjà de très nombreuses initiatives axées sur les start-up. Nous nous intéressons donc aux entreprises qui affichent déjà un chiffre d’affaires moyen de cinq millions d’euros et ont le potentiel de poursuivre leur développement. Mais nous voulons aussi procéder à des rachats. Dans le monde des start-up, les femmes chefs d’entreprise ne bénéficient pas non plus d’une attention suffisante. Si ce fonds est un succès, nous pourrons alors agir à des stades plus précoces, mais pour le moment, nous nous concentrons sur les phases plus avancées. »
Quelles conditions une entreprise doit-elle remplir pour bénéficier d’un financement ?
Uytterhaegen : « L’équipe est cruciale. Une équipe forte doit être prête pour la phase de croissance suivante, durant laquelle nous la coachons, bien sûr. Nous recherchons également des entreprises ayant une Unique Selling Proposition forte. Chez Pit & Pit, par exemple, c’est la qualité : ils n’investissent pas encore beaucoup dans le marketing, mais ils ont de très bons produits. Nous travaillons de manière agnostique sur le plan sectoriel, et notre intérêt va de tout ce qui est humain – Conny Vandendriessche vient en effet des RH – à la santé et la high-tech. Il doit également y avoir une ouverture à la croissance. En effet, tous les entrepreneurs ne souhaitent pas créer une grande entreprise. »
Comment aidez-vous les entreprises après l’investissement ?
Uytterhaegen : « Le conseil d’administration est un premier aspect important. Nous veillons à ce qu’il y ait un conseil d’administration professionnel. Nous y siégeons nous-mêmes, et cherchons également une expertise externe. De cette manière, nous participons à la réflexion stratégique et réalisons la croissance à long terme. Avant d’investir, nous analysons bien sûr les forces et les faiblesses de l’entreprise, et essayons de remédier à ces faiblesses. Nous ne faisons pas de management direct, mais nous les aidons. Nous nous appuyons également sur notre réseau d’investisseurs, qui est très diversifié. Lorsque nous rencontrons un problème, nous avons toujours dans notre réseau quelqu’un qui a de l’expérience dans le domaine en question. »
Comment conciliez-vous le rendement avec votre objectif social d’améliorer l’équilibre entre les sexes ?
Talboom : « De nombreuses études montrent que plus une équipe est équilibrée, plus l’entreprise est performante. Nous sommes prêtes à le croire, cependant, nous n’investirons jamais dans une entreprise dirigée par une femme mais dont les chiffres ne sont pas bons. Il faut aussi une bonne rentabilité et une croissance positive pour l’avenir. »
Uytterhaegen : « Tout d’abord, nous avons l’obligation envers nos investisseurs de gérer le fonds correctement, et de rechercher un rendement. C’est un élément important. Mais si le fonds est un succès, nous voulons, en tant que gestionnaires, réinvestir une partie de notre rendement personnel dans des initiatives braquant les projecteurs sur ces femmes entrepreneurs. C’est ce qui nous distingue des autres fonds. Il ne s’agit pas du rendement des investisseurs, mais uniquement de notre propre rendement. »
Votre focalisation sur les femmes entrepreneurs présente-t-elle des avantages ?
Talboom : « Nous le pensons. Dans le domaine du capital-investissement, les entreprises sont souvent proposées par des conseillers. Vous devez réagir avant une date limite et d’autres investisseurs sont également en lice. Dans le même temps, vous effectuez une recherche proactive de candidats potentiels, dans le cadre de laquelle l’entreprise engage un dialogue presque exclusif avec vous, ce qui améliore votre position. Nous sommes mieux à même d’aborder cette deuxième catégorie, car beaucoup de femmes entrepreneurs opèrent sous le radar. Elles ne sont pas sous les projecteurs, et pourtant, elles dirigent de belles entreprises. Il y a beaucoup de pépites de ce genre, et nous essayons de les dénicher. »
Uytterhaegen : « Il y a aussi un seuil. Nous venons toutes deux de Gimv, où nos collègues déclaraient toujours qu’ils ne rencontraient jamais de femmes entrepreneurs. Nous y avons vu que les femmes se consacrent moins au financement externe. Nous essayons donc de créer une sensibilisation et de montrer qu’en investissant, on bénéficie d’une expertise supplémentaire et d’une caisse de résonance. Il ne s’agit pas seulement d’argent. »
Talboom : « Il y a beaucoup d’excellentes entreprises ayant un CEO féminin ou une équipe de management équilibrée qui ne sont pas encore ouvertes aux capitaux externes. Il existe une idée tenace selon laquelle certains entrepreneurs ne veulent pas d’investisseur externe afin de garder le contrôle. Et ce, alors qu’un investissement externe permet souvent d’avoir une caisse de résonance et de ne pas être seul. »
Comment vivez-vous la concurrence croissante sur les marchés privés ?
Talboom : « Elle pousse les prix vers le haut ! » (rires)
Uytterhaegen : « Pour les entreprises qui se trouvent dans un processus, c’est effectivement très concurrentiel, et les intermédiaires savent comment faire monter les prix. C’est là que vous devez faire la différence grâce à la valeur ajoutée que vous offrez. Nous nous distinguons par la présence à bord de Conny Vandendriessche. Elle est passée par toutes les phases, de la start-up à une entreprise qui réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros. Son exemple est très important pour les femmes entrepreneurs. »
Talboom : « Le fonds est aussi tout simplement géré par trois femmes. Cela signifie que lorsque nous arrivons quelque part, nous posons des questions différentes et rions de choses différentes. C’est un petit détail, mais cela crée une atmosphère différente qui fait que certaines entreprises nous choisissent. »
Comment se présente l’avenir ?
Uytterhaegen : « Nous avons déjà deux participations et nous espérons en annoncer une autre et peut-être une deuxième cette année. L’accent est désormais mis sur les bons investissements, mais il y a la suite. Nous réfléchissons déjà à un prochain fonds. Collecter des capitaux était une chose, mais nous nous employons maintenant activement à faire les bons investissements. D’ici quelques années, nous espérons récolter les premiers fruits afin de lancer le fonds suivant. »
Éléments clés We Are Jane
- We Are Jane a été lancé en 2019.
- Jusqu’à présent, elles ont annoncé deux participations, la boutique en ligne Pit & Pit et la société de RH Medipartner.
- We Are Jane gère 54 millions d’euros d’actifs.
- Elles ont levé cet argent auprès du Fonds européen d’investissement, d’un certain nombre d’acteurs institutionnels et de toute une série de petits investisseurs individuels, principalement des femmes entrepreneurs.
- La durée du fonds est de 10 ans.
- Pendant cette période, elles veulent acquérir 10 participations.
- We Are Jane a été fondé par Conny Vandendriessche, fondatrice d’Accent Jobs, House of HR et Stella P, ainsi que par Muriel Uytterhaegen et Eline Talboom, toutes deux vétéranes de Gimv.