Les gestionnaires de fonds de dividendes s’attendent à ce que, dans le sillage des banques, davantage d’entreprises versent moins ou pas de dividendes. « Mais il y a encore beaucoup d’entreprises parfaitement capables de maintenir leurs paiements de dividendes », déclare Laurent van Tuyckom (foto) du fonds DPAM Equities Europe Dividend.
« Les entreprises de secteurs défensifs tels que la santé, les services publics et les télécommunications sont actuellement peu touchées par la crise du coronavirus. Il serait inapproprié d’exiger de ces entreprises qu’elles réduisent leurs dividendes, car elles sont encore parfaitement capables de les distribuer », déclare van Tuyckom lors d’un entretien avec Investment Officer.
« L’entreprise de services publics italienne Enel a par exemple annoncé la semaine dernière qu’elle augmenterait son dividende de 20 % et le verserait tout à fait normalement », ajoute Jorik van den Bos du Kempen Global High Dividend Fund. « Vendredi, la société française de leasing automobile ALD a également confirmé explicitement qu’elle versera un dividende de 9 % supérieur pour l’année 2019. »
Et il y a même des banques qui pourraient encore tout à fait se permettre de verser des dividendes, affirme Van Tuyckom. « Comme Van Lanschot et KBC. En principe, elles sont capables de maintenir leurs paiements de dividendes même en cas de cycle baissier, et n’ont même pas eu besoin de la réduction préalable des réserves de capital, par exemple. »
Cependant, la BCE a probablement vu qu’en versant des dividendes, certaines banques mal capitalisées pourraient se retrouver dans une situation problématique et ne plus être capables de garantir l’octroi de crédit, ce qu’elle a voulu empêcher avec l’annonce de l’interdiction temporaire, estime Van Tuyckom. « À mon avis, la BCE voulait ainsi maintenir des conditions de concurrence équitables, c’est pourquoi elle a annoncé une interdiction totale. D’une certaine manière, les banques les plus fortes sont sacrifiées au profit des plus faibles. »
Van Tuyckom a abordé la crise du coronavirus avec une surpondération des actions de valeur cycliques. En conséquence, son fonds a été durement touché ces dernières semaines. « Les fonds de dividendes DPAM investissent dans des entreprises versant un dividende supérieur à la moyenne. Les entreprises de qualité ne versent plus de gros dividendes, c’est pourquoi nous avons dû au fil des ans adopter de plus en plus une surpondération des entreprises cycliques », explique-t-il. Or beaucoup de ces entreprises sont sous pression pour réduire leurs paiements de dividendes, ou même les éliminer complètement pour le moment.
Dans l’œil de la tempête
« Ces dernières semaines, nous avons en effet déjà vu des entreprises reconsidérer leurs dividendes », déclare Van Tuyckom.
« À cet égard il faut faire la distinction entre trois groupes. Outre les banques, qui ont été contraintes de suspendre le versement de leurs dividendes, il y a les entreprises cycliques, qui ont vu leurs perspectives se détériorer en raison de la crise. Un exemple en est BASF, qui a annoncé qu’elle réviserait son paiement de dividendes pour 2019. Et enfin, il y a un groupe d’entreprises dans l’œil de la tempête, qui recourent souvent au financement public également. Pour ces entreprises, comme IAG, Easyjet ou TUI, il serait en effet logique qu’elles cessent provisoirement de verser des dividendes. »
Cette dernière catégorie d’entreprises connaît une croissance rapide. Lundi, le gouvernement allemand a par exemple annoncé que les entreprises souhaitant bénéficier d’aides d’État, comme le chômage partiel ou les prêts-relais, devaient suspendre le versement de leurs dividendes.
« Même les entreprises dont les modèles d’entreprise sont normalement capables de faire face à une récession devront faire très attention à leur situation de trésorerie dans les semaines à venir. C’est pourquoi nous nous attendons à ce que davantage d’entreprises de notre portefeuille réduisent leurs dividendes », déclare par e-mail Thomas Schüssler, gestionnaire du fonds DWS Top Dividende. Schüssler indique également avoir vendu sa position dans ‘une banque de la zone euro’ et a encore réduit son exposition déjà faible aux entreprises industrielles (4,5 % à la fin février).
Compagnies pétrolières sous pression
Van Tuyckom n’est pas resté inactif lui non plus. Il a notamment réduit son allocation au secteur lourdement touché du pétrole et du gaz. « Dans ce secteur, la plupart des entreprises versent leurs dividendes directement à partir de leur flux de trésorerie. En particulier les sociétés d’exploration et les fournisseurs sont aujourd’hui durement touchés, et certaines de ces entreprises prévoient déjà de distribuer moins d’argent aux actionnaires. »
Les grandes compagnies pétrolières telles que BP, Shell et Total se retrouvent désormais elles aussi dans la zone de danger. Lundi, Shell a conclu une nouvelle facilité de crédit de 12 milliards de dollars. Les investisseurs le perçoivent comme un signal indiquant que l’entreprise veut s’en tenir à son paiement de dividendes et poussent l’action en hausse de 6 % mardi. « En fin de compte, cela dépendra de la rapidité avec laquelle le prix du pétrole se redressera ou de la capacité des compagnies pétrolières et gazières à maintenir leur dividende. S’il reste très bas pendant une période prolongée, ce sera de plus en plus difficile. Mais la situation diffère vraiment d’une entreprise à l’autre. »
La grande question est bien sûr de savoir si les entreprises qui ‘reportent’ maintenant les paiements de dividendes verseront plus tard les dividendes retenus. « Si la situation des banques ne s’est pas aggravée dans le courant de l’année, je ne vois aucune raison de ne pas verser ces dividendes », déclare Van Tuyckom. « Mais si leurs ratios de capital se sont affaiblis et que le nombre de prêts non performants a fortement augmenté, ce sera une autre histoire. »
Schüssler, de DWS, se rallie à cette affirmation dans son e-mail : « Selon le degré d’amélioration de la situation relative au Covid-19, les entreprises peuvent décider de ne pas verser de dividende au cours du premier semestre de cette année, et de le faire au cours du second semestre si la situation le permet. »