
Les investisseurs se retirent massivement des ETF d’actions américaines, tandis que les trackers européens enregistrent au contraire des flux entrants record.
Morningstar constate que, depuis le 2 avril, date à laquelle les États-Unis ont décidé d’imposer des droits de douane élevés à la plupart de leurs partenaires commerciaux, les flux sortants en ETF d’actions américaines sont plus élevés (4,8 milliards d’euros) qu’au premier trimestre de l’année 2020. 4,3 milliards d’euros avaient alors quitté les États-Unis, après le krach des marchés boursiers du monde entier, du fait de la crise du coronavirus. Les données de Morningstar ont trait aux ETF cotés en Europe.
Le mouvement s’est certes accéléré depuis le « Liberation Day », mais la fuite des investisseurs des États-Unis a débuté en janvier de cette année, lorsque Donald Trump est entré à la Maison Blanche. Kenneth Lamont, analyste senior chez Morningstar, estime que ce mouvement s’explique par une incertitude géopolitique accrue, induite par les politiques de démondialisation de Donald Trump.
Il explique à Investment Officer que les investisseurs redoutent aussi que d’autres régions ne ripostent, en imposant elles-mêmes des droits d’importation, mais aussi en adoptant d’autres mesures. L’expert de Morningstar estime par exemple qu’il n’est pas improbable que l’Europe s’attaque aux grandes entreprises technologiques. « Les États-Unis pourraient s’en trouver durement affectés. » La semaine dernière, la Commission européenne a infligé des amendes d’un montant total de 700 millions d’euros à Meta et Apple pour avoir enfreint le règlement sur les marchés numériques (DMA), qui vise à empêcher les grandes entreprises de l’internet de devenir trop puissantes.
« Pendant des années, l’Europe a été dépendante des États-Unis, notamment pour sa sécurité et sa technologie. Cette situation doit toutefois changer, maintenant que l’image de partenaire fiable des États-Unis s’effrite peu à peu. »
Blackrock est d’avis que la fuite des capitaux des ETF d’actions américaines garde encore des proportions raisonnables, si l’on adopte une perspective historique. « Il s’agit plutôt d’une stabilisation des flux entrants », selon Roelof Salomons, stratégiste en chef, à Investment Officer. « On observe quand même quelques petites fissures à l’exceptionnalisme américain. »
Europe first
Selon M. Lamont, il n’est guère étonnant que d’importants flux de capitaux quittent les États-Unis pour l’Europe. Depuis le mois d’avril, Morningstar constate un flux entrant d’un peu moins d’1,9 milliard d’euros dans la région, dans la lignée du mouvement déjà observé au premier trimestre 2025. 24,4 milliards d’euros avaient alors afflué vers les ETF européens, contre 8,2 vers les trackers américains.
Blackrock observe une tendance similaire dans le cadre de ses propres analyses. Le gestionnaire d’actifs américain évoque un flux entrant record dans les ETF d’actions européennes le mois dernier. Le précédent pic datait de mars 2015. Ce sont, en particulier, les actions allemandes, les actions industrielles européennes et les moyennes capitalisations qui ont enregistré un flux entrant record le mois dernier, selon Blackrock.
« De l’argent afflue vers l’Europe, alors que cela faisait des années que les investisseurs le retiraient de la région », constate M. Salomons. « Sur les centaines de milliards retirés d’Europe, quelques dizaines sont déjà revenus. »
Pour M. Salomons, ce mouvement a plusieurs explications. Ainsi, le différentiel de croissance entre l’Europe et le reste du monde se réduit, la politique monétaire y est plus stimulante et les valorisations sont plus attrayantes qu’aux États-Unis. Blackrock constate ainsi que la décote des actions européennes par rapport aux actions américaines est passée de 40 % au début de l’année à 30 % aujourd’hui.
« Les investisseurs ont eu peu de raisons d’investir en Europe pendant une décennie, mais cela change rapidement », affirme Rebecca Chesworth, stratégiste actions chez SPDR ETFs (plateforme de State Street). « L’Europe renoue avec la croissance, les valorisations sont basses, et il existe désormais une ‘peur de louper le coche’. » Avec tout ce qui se passe dans le monde en ce moment, les investisseurs ne veulent pas prendre trop de risques. L’Europe semble particulièrement attrayante grâce à son profil défensif. »
Selon Mme Chesworth, le Royaume-Uni est également un sujet de conversation de plus en plus important. « Le pays a connu une période difficile, mais le gouvernement est désormais stable et les valorisations sont faibles. »
Pourtant, si l’on se penche sur les chiffres de State Street concernant les ETF, on observe un flux sortant des actions britanniques le mois dernier, alors que les marchés d’actions britanniques ont connu de bonnes performances les dernières semaines. « Nous n’allons pas tarder à le voir dans les flux. Le Royaume-Uni est désormais considéré comme un havre de paix, et le pays entretient malgré tout une relation spéciale avec M. Trump », a déclaré Mme Chesworth.
Une tendance durable
Que signifient, sur le long terme, ces évolutions des flux de capitaux ? M. Lamont et Mme Chesworth ne s’attendent pas à ce que le transfert de capital des États-Unis vers l’Europe s’estompe prochainement. « Certainement pas sous la présidence de M. Trump », selon l’expert de Morningstar.
Selon Blackrock, cela pourrait signifier que les gains sur les marchés des actions seront plus répartis. « Le marché est moins dépendant de quelques valeurs », a déclaré M. Salomons, faisant notamment référence aux sept principaux titres technologiques derrière la hausse des cours sur les marchés boursiers mondiaux au cours des dernières années.
Selon Blackrock, il est clair que les investisseurs souhaitent une prime de risque plus élevée pour les obligations d’État américaines, maintenant qu’un grand nombre de dettes doivent être refinancées dans un environnement où l’inflation est plus élevée qu’en Europe.
« Les dernières semaines, nous avons constaté que, lorsque les marchés d’actions étaient faibles, les investisseurs ne se tournaient pas vers les marchés obligataires américains, tandis que le dollar lui aussi demeurait faible. Autant de signes que les capitaux se déplacent vers d’autres régions du monde », conclut M. Salomons.