Pauline Grange, gestionnaire de portefeuille de CT (Lux) Sustainable Outcomes Global Equity de Columbia Threadneedle Investments, mise avec son fonds sur les nouvelles tendances structurelles visant à rendre le monde plus durable. La technologie jouant un rôle important à cet égard, une grande partie de son fonds est constituée de valeurs technologiques.
Elle estime que l’introduction de l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation) aux États-Unis va provoquer une révolution dans la transition énergétique. Malgré les solides performances du pétrole et du gaz, notamment en 2022, qui ne lui facilitent pas la tâche, elle reste fermement convaincue que son fonds créera davantage de valeur pour les investisseurs à plus long terme.
Pourquoi le fonds a-t-il été créé ?
Pauline Grange : Le fonds a été officiellement lancé fin 2018, mais le développement de la stratégie avait déjà commencé en 2016. Tout d’abord, la durabilité suscitait à cette époque beaucoup d’intérêt, notamment parce que les Objectifs de développement durable (ODD) venaient d’être lancés. En même temps, tout le monde constatait que les défis auxquels le monde était confronté, tels que les inégalités sociales, la crise climatique,… s’aggravaient. Parallèlement, nous avions observé que certaines tendances devenaient de véritables thèmes d’investissement. La transition verte était un exemple significatif de tendance ayant soudainement bénéficié d’un intérêt accru pour y investir. À titre personnel, je me suis également demandé comment je pourrais apporter ma pierre à l’édifice en orientant les investissements vers des solutions. L’argent n’a pas de sens dans un monde dans lequel on ne peut pas vivre. Au cours de ma carrière, il m’a toujours semblé évident qu’investir dans des entreprises qui causent des préjudices ne constituait pas une bonne stratégie d’investissement. Prenons l’exemple des fabricants de tabac : ils tuent leurs clients et ce n’est pas vraiment un bon modèle d’entreprise.
Et pourquoi le nom ‘sustainable outcomes’ ?
Pauline Grange : Cela signifie en réalité investir dans des entreprises qui contribuent à des thèmes durables, ce qui nous permet d’obtenir des solutions ou des résultats durables. Le fait que nos thèmes d’investissement soient alignés sur les Objectifs de développement durable (ODD) constituait une raison supplémentaire de choisir ce nom. On pourrait aussi utiliser le terme ‘impact’, mais il est plus difficile à quantifier en ce qui concerne les actions. Concrètement, nous examinons chez les entreprises quelle proportion de leur chiffre d’affaires a un impact sur les ODD. Nos analystes ont développé un outil quantitatif permettant d’évaluer la durabilité. Ce n’est cependant qu’une première étape, car un outil quantitatif dépend fondamentalement de la qualité des données. Et cette qualité est principalement présente en Europe, alors que d’autres régions sont quelque peu à la traîne en matière de divulgation. L’engagement est également très important. Il est plus important de savoir quelle est l’orientation future d’une entreprise que ce qu’elle fait actuellement. L’augmentation du résultat final durable doit constituer une valeur clé de leur stratégie, et pas seulement un élément ponctuel ou sporadique. Par exemple, s’il s’agit de la composante ‘E’ (Environnement) de l’ESG, cela doit se traduire par des investissements en capital ou en R&D dans des solutions et des produits durables et respectueux de l’environnement.
Que faites-vous si une entreprise de votre portefeuille n’évolue pas sur la voie de la durabilité ?
Pauline Grange : Cela dépend de la raison pour laquelle l’entreprise a changé d’orientation. S’il s’agit d’un changement de courte durée, influencé par des facteurs macro-économiques ou par une phase d’un cycle de produit donné qui arrive à son terme, nous pouvons passer outre : nous devons être pragmatiques. La société ferroviaire américaine Union Pacific, par exemple, transporte tout ce que l’économie utilise à un moment donné. Bien qu’elle ait également transporté du charbon, la part du charbon dans son volume total de fret diminuait d’année en année. L’année dernière, la crise de l’énergie a soudainement éclaté et l’utilisation de charbon est repartie à la hausse, ce qui a stimulé cette activité chez Union Pacific également. Pour nous, ce n’était pas une raison pour vendre l’action car nous considérions qu’il s’agissait d’une crise à court terme, surtout maintenant que l’Inflation Reduction Act vise à stimuler la transition verte. En revanche, s’il s’agit d’une entreprise qui aura moins d’impact en raison de ses choix stratégiques, nous vendons.
Comment parvenez-vous à concilier performance et durabilité ?
Pauline Grange : C’est un point très important car nos investisseurs veulent naturellement les deux. Au sein de notre organisation, nous avons une philosophie de base qui est appliquée à l’ensemble de nos fonds et stratégies. Nous investissons uniquement dans des entreprises durables qui affichent une croissance et un retour sur investissement supérieurs à la moyenne, présentent des bilans solides et s’appuient sur des atouts concurrentiels. Si une entreprise est très durable mais ne se porte pas bien financièrement et fait face à une forte concurrence de la part de la Chine, par exemple, nous n’y investissons pas. Nous devons toujours nous assurer que les entreprises dans lesquelles nous investissons existeront encore au cours des 5 à 10 prochaines années afin qu’elles puissent en fin de compte contribuer à des résultats durables. Nous vivons dans un système capitaliste et ce n’est que si cela a un sens sur le plan économique que ce sera le cas. Avec la crise énergétique de l’année dernière, nous avons observé une forte hausse des prix des combustibles fossiles, mais beaucoup ont également réalisé que la sécurité énergétique était vitale, ce qui a accéléré les politiques publiques en matière de transition énergétique, l’exemple le plus évident étant l’Inflation Reduction Act américain. Ce dernier a rendu les conditions économiques plus favorables aux énergies renouvelables et accéléré la transition. La transition se réalisera si les citoyens ne voient pas leurs factures augmenter et si la sécurité énergétique est assurée.
Vous avez déjà indiqué investir dans des tendances structurelles et profondes. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Pauline Grange : En ce qui concerne la transition énergétique, l’Inflation Reduction Act que nous venons d’évoquer change véritablement la donne. On ne pourra jamais surestimer l’importance de ce programme. Il offre des crédits d’impôt presque illimités qui ont rendu les énergies renouvelables, les véhicules électriques, l’hydrogène vert… économiquement nettement plus attrayants aux États-Unis. Dans le même temps, le pays réduit sa dépendance à l’égard des fournisseurs et des chaînes d’approvisionnement chinois. En d’autres termes, d’énormes investissements sont donc prévus, notamment dans la modernisation du réseau électrique. L’ajout d’un véhicule électrique supplémentaire au réseau équivaut à raccorder une nouvelle maison à ce réseau. Nous recherchons depuis un certain temps déjà des opportunités dans ce segment, et Schneider Electric en est une. Certaines entreprises d’automatisation suscitent également notre intérêt en raison de la tendance à raccourcir les chaînes d’approvisionnement et de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Un autre thème sur lequel nous nous penchons malheureusement est l’obésité, qui devient une véritable crise.
C’est pourquoi Novo Nordisk fait partie de nos positions depuis un certain temps déjà. Et lorsqu’Eli Lilly était sur le point de lancer un médicament contre l’obésité, nous avons également acheté ce titre. Nous détenons également une position importante dans le secteur technologique, car il est étroitement lié à la durabilité. Nous observons la numérisation dans tous les domaines de l’économie, que ce soit dans l’agriculture de précision ou dans l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments. Et bien que l’intelligence artificielle fasse actuellement l’objet de nombreuses critiques négatives de la part de la presse, elle présente un énorme potentiel pour obtenir de meilleurs résultats dans l’industrie pharmaceutique, réduire les coûts des soins de santé, utiliser l’eau ou l’énergie plus efficacement, augmenter la productivité dans les pays confrontés à une forte inflation, et bien plus encore.
Comment faites-vous face à toutes ces incertitudes ainsi qu’à la forte volatilité sur les marchés ?
Pauline Grange : Avec notre sous-pondération structurelle dans les combustibles fossiles et les banques des pays développés, ainsi que notre rotation sectorielle vers les actions de valeur cycliques, nous avons connu des moments difficiles au début de l’année dernière. Nous ne pouvions pas nous contenter d’acheter des actions pétrolières et gazières. Certains de nos investisseurs nous ont d’ailleurs demandé s’il était possible d’acquérir une exposition au pétrole et au gaz. Cependant, nous avons réussi l’année dernière à ne pas perdre notre focalisation à long terme sur les thèmes structurels.
Et le succès à court terme des énergies fossiles renforce notre conviction dans la pérennité de la transition énergétique. La croissance phénoménale des véhicules électriques, par exemple, l’illustre bien. Cette rotation sectorielle nous a offert de nombreuses opportunités. Nous avons enfin pu acquérir à un prix acceptable, car elles continueront de bénéficier d’une tendance de croissance structurelle à long terme, plusieurs valeurs technologiques qui nous intéressaient depuis un certain temps déjà mais étaient toujours trop coûteuses. Et lorsque ces titres ont ensuite rebondi, nous avons pu rattraper une partie de notre retard sur le marché.