Dans son rapport annuel ‘SDG Reckoning Report’, Ben Constable-Maxwell, responsable de l’investissement durable et d’impact chez M&G, prévient que les deux tiers des objectifs de développement durable des Nations unies risquent de ne pas être atteints. Dans une interview, il explique à quel point ils sont importants pour les investisseurs.
Que sont les ODD et pourquoi un tel rapport ?
Il y a environ six ans, les Nations unies (ONU) ont défini 17 Objectifs de développement durable (ODD), ou Sustainable Development Goals (SDG’s) en anglais (voir illustration ci-dessous). Et l’objectif est de les atteindre d’ici 2030 afin de garantir un avenir meilleur et, surtout, plus durable pour tous. Avec la deuxième édition de son ‘SDG Reckoning Report’, publié pour la première fois en 2020, le gestionnaire d’actifs britannique M&G examine l’évolution des 17 ODD sur une base annuelle et se demande s’ils se sont éloignés ou rapprochés de leur objectif.
Dans certains domaines, de grandes avancées dans la bonne direction sont effectivement réalisées, notamment sur le plan des énergies renouvelables et de l’égalité des sexes. Mais sur le plan de la faim et de la pauvreté, la pandémie a porté un sérieux coup et occasionné un recul. M&G examine également sur quels ODD les investisseurs et les fonds d’investissement peuvent avoir un impact positif. Le rapport complet de M&G est disponible via ce lien.
Problématique de l’énergie
Nous entrons directement dans le vif du sujet et demandons à Ben Constable-Maxwell si la transition énergétique ne se fait pas trop rapidement et si elle est à l’origine de la flambée actuelle des prix des combustibles fossiles. « La crise actuelle des prix du gaz et du pétrole est un indicateur signifiant que nous avons atteint les limites du système énergétique actuel », rétorque-t-il. « Elle montre à quel point le système actuel est devenu vulnérable en raison de la disruption. Certains déclarent que nous devrions investir à nouveau dans les combustibles fossiles, mais je ne suis pas d’accord. Au contraire, nous devons résolument opter pour l’inverse et augmenter encore davantage nos investissements dans les capacités d’énergie renouvelable. »
Mais cette transition énergétique accélérée ne risque-t-elle pas de provoquer une pénurie de matières premières ? « Nous devons collecter les matières premières dès aujourd’hui pour alimenter la révolution des technologies propres, cela ne fait aucun doute. Mais nous devons maintenant aussi opter pleinement pour un système circulaire afin limiter au maximum les nouvelles explorations : recycler, réutiliser et donner une nouvelle finalité aux matières premières utilisées. Bien entendu, le fait qu’il y ait eu ces dernières années trop peu d’investissements dans les infrastructures de réutilisation et les technologies de recyclage n’aide pas aujourd’hui. » Constable-Maxwell souligne également que M&G consacre énormément de temps au dialogue avec des sociétés minières. « Nous les encourageons constamment à travailler de manière plus durable, à exploiter les mines en limitant la pollution et à respecter les droits sociaux. »
Progrès crispés
Dans le SDG Reckoning Report, Ben Constable-Maxwell souligne que le monde prend du retard sur les objectifs et indique que le score global pour les 17 objectifs n’est que de 4,1 sur 10. Pourquoi les progrès sont-ils aussi lents ? « L’absence de progrès est en partie due à l’inertie et à la résistance au changement. De plus, la transition vers un autre système est tout sauf facile. Il faut convaincre de nombreuses personnes que c’est dans leur intérêt. La pandémie a également pesé sur de nombreux domaines, comme l’éducation, car de nombreux jeunes n’ont pas pu aller à l’école. En outre, il n’est pas facile de faire passer un programme d’une telle ampleur à sa vitesse de croisière. »
Le responsable de l’investissement d’impact chez M&G s’attend cependant à une certaine amélioration. « Au cours des cinq premières années qui ont suivi l’adoption des ODD, le monde a été sensibilisé à la nécessité d’un changement. Et maintenant que nous disposons d’indications extrêmement fortes signalant que nous sommes sur la mauvaise pente en matière de climat, par exemple, beaucoup commencent à comprendre l’urgence du changement, même près de chez eux. Nous constatons un progrès encourageant : de nombreuses entreprises s’engagent à atteindre l’objectif ‘net zéro’ d’ici 2050 et certaines l’anticipent même. Elles sont poussées par les investisseurs, mais aussi par les décideurs et les gouvernements. » Ben Constable-Maxwell souligne également qu’aujourd’hui, chacun est responsable. « Les gens doivent changer leur comportement, les décideurs politiques doivent faire le bon choix, les entreprises doivent réduire leurs émissions et les investisseurs doivent poser des questions plus difficiles. En même temps, les ONG devraient nous apprendre comment suivre le bon chemin. »
ODD et investissements
Dans les investissements d’impact de M&G, ces ODD constituent le point de départ et la force motrice de la stratégie d’investissement. Et Ben Constable-Maxwell souligne que nous devons examiner ce dans quoi nous pouvons investir afin de soutenir ces ODD. « Nous examinons les 17 objectifs et la manière dont ils peuvent être atteints, où doivent aller les capitaux et les investissements afin de rattraper le retard pour certains des ODD. Et notre rapport est un indicateur permettant de voir où nous sommes à la traîne. » Et où résident les opportunités d’investissement dans les ODD ? « Bien sûr, nous voulons aussi que nos clients et nos investisseurs obtiennent un rendement. Nous devons donc rechercher des modèles économiques solides et des entreprises qui se montrent créatives et apportent des solutions. »
Ben Constable-Maxwell souligne que les marchés financiers et les investisseurs ne sont pas encore suffisamment conscients du fait que l’échec éventuel de ces ODD aura un impact significatif sur leurs portefeuilles d’investissement. « Si nous ne réalisons pas le septième ODD, à savoir la transition vers une énergie durable, nous continuerons à assister aux récentes distorsions sur le marché de l’énergie. Si nous ne développons pas une économie circulaire, l’ODD 12, nous ne réussirons pas la transition vers une énergie verte car nous n’avons pas suffisamment de matières premières. Si nous ne nous attaquons pas correctement à la crise climatique, l’ODD 13, et si nous n’investissons pas suffisamment dans ce domaine, la disruption sera telle qu’elle aura un impact négatif de plusieurs milliers de milliards de dollars sur les portefeuilles d’investissement. Et les gens commencent progressivement à se rendre compte de l’importance de ces objectifs pour l’économie réelle et le système financier. »
Comment Constable-Maxwell voit-il l’évolution de l’investissement d’impact ? « Nous nous dirigeons vers un monde où tous les investisseurs tiendront compte de l’impact de leurs investissements. Cela deviendra la manière dominante d’envisager les investissements. Ainsi, un fonds ne sera plus seulement jugé sur ses performances financières, mais aussi sur son impact en matière de durabilité. D’ici dix ans, il sera inacceptable qu’un fonds affiche des rendements extraordinaires tout en ayant un impact gravement négatif sur la société ou le changement climatique. Et cela s’appliquera à l’ensemble du monde financier. » Et le métier d’investisseur d’impact ? « Il deviendra donc de plus en plus important et pertinent. Et puis il y a ceux qui disent que mon travail disparaîtra parce que l’investissement d’impact deviendra la norme. J’espère que cela se produira et que je serai finalement considéré comme un investisseur et un gestionnaire ordinaire. »