Le changement climatique est rapidement devenu l’une des priorités du secteur financier. Cependant, il s’agit d’un défi tellement énorme que de nombreux acteurs cherchent encore des moyens d’apporter leur contribution et de le relever. Dans son rapport de la ‘Global Climat Survey’, Robeco s’est penché sur la position actuelle du monde financier à propos du changement climatique. Les résultats indiquent que d’énormes progrès ont été réalisés, mais qu’il reste encore beaucoup de pain sur la planche.
Nous nous sommes entretenus avec Lucian Peppelenbos, Climate Strategist chez Robeco depuis octobre 2020 et l’une des forces motrices de l’enquête.
Fin mars, Robeco a publié sa première ‘Global Climat Survey’, une enquête menée auprès de 300 acteurs de l’industrie des actifs, représentant 20 % des actifs mondiaux sous gestion, concernant leur mobilisation face au changement climatique et les opportunités et les défis qu’ils y voient. Cette étude peut être téléchargée ici. L’objectif est de publier ce type d’étude chaque année.
Pourquoi avez-vous réalisé cette étude ?
Peppelenbos : « Nous voulions mesurer la position du marché sur le plan du changement climatique et son intégration dans les stratégies d’investissement. Nous voulions également savoir quels sont les défis à relever et mettre ces informations à la disposition de la communauté financière. Nous pouvons maintenant utiliser ces résultats nous-mêmes dans le cadre de discussions avec nos clients ainsi que dans le développement de nos produits. »
Quelles réactions votre rapport a-t-il suscitées dans le secteur ?
Peppelenbos : « Deux réactions prédominent. D’une part, que les résultats sont indéniables. Il est clair que le changement climatique est un sujet brûlant pour de nombreux investisseurs. D’autre part, de nombreuses institutions financières constatent qu’elles ne sont pas seules avec leurs questions et préoccupations. Elles ont trouvé intéressant d’avoir zoomé sur les besoins et les points d’enlisement. »
Y a-t-il encore beaucoup de pain sur la planche dans le secteur financier ?
Peppelenbos : « D’une part, l’étude indique clairement que l’engagement et les ambitions sont énormes. Nous allons travailler activement sur ce point. D’autre part, il y a un manque de connaissances, de clarté et de normes. Il y a encore énormément de questions et de défis, comme la manière de traiter les données sur les émissions et les cadres en cours d’élaboration. »
Comment abordez-vous la question du climat chez Robeco ?
Peppelenbos : « Nous avons mis en place un comité interne sur le changement climatique dans lequel chaque division de Robeco est représentée. Mon rôle en tant que stratège climatique est de veiller à ce que la stratégie climatique soit élaborée dans toutes ces divisions, telles que gestion, gestion des risques, recherche de données, recherche, etc., et à ce qu’il en résulte une stratégie globale cohérente.
Le changement climatique nécessite une méthode de travail différente : il s’agit davantage de se projeter dans l’avenir, d’estimer les risques et la transition climatiques, de travailler avec de nouvelles données, d’utiliser des méthodes de recherche différentes et de nouveaux modèles, et tout cela, en collaboration avec des analystes, des gestionnaires de portefeuilles, le management des risques, etc. »
Êtes-vous également plus proactif ?
Peppelenbos : « Il ne s’agit pas seulement de l’intégration du point de vue des risques, mais aussi de la conduite de la transition, car le plus grand risque est en effet que nous ne fassions rien ou que les progrès soient beaucoup trop lents. Il est important de trouver des opportunités d’investissement, mais aussi d’encourager les entreprises à continuer d’avancer dans la bonne direction.
Et cela signifie que vous devez être en mesure d’analyser l’état d’avancement des entreprises dans la transition : qu’en est-il de leur ‘transition readiness’ ? Sur cette base, vous devez adapter vos investissements en conséquence, mais aussi votre engagement et votre politique de vote. Ce type de travail connaît un développement phénoménal et devient de plus en plus pertinent. »
Comment cela fonctionne-t-il en pratique ?
Peppelenbos : « De nombreuses parties travaillent sur l’objectif ‘zéro émission nette’ d’ici à 2050, ce qui doit se traduire par des objectifs et actions concrets, des mesures qui doivent être prises dès maintenant par le biais du ‘net zero roadmap’. Ce travail est actuellement très important pour de nombreuses parties. Et pour nous, il est important de comprendre comment les entreprises ou les pays vont mettre cette transition en pratique.
Il faut également être en mesure de distinguer les gagnants et les perdants de la transition, et d’intégrer cela dans vos investissements et votre engagement. »
En quoi consiste exactement la ‘net zero roadmap’ ?
Peppelenbos : « Nous travaillons d’arrache-pied sur notre feuille de route ‘zéro émission nette’ et la publierons avant le sommet sur le climat de Glasgow (novembre 2021). Il s’agira d’une combinaison d’objectifs et de mesures à prendre, dont une partie importante est notre engagement envers les entreprises.
Si les entreprises ne répondent pas à nos attentes dans un certain laps de temps, nous pouvons réduire des positions, une sorte d’approche par escalade. Nous utilisons déjà une telle approche pour l’industrie de l’huile de palme, mais nous allons l’étendre au climat. »
Quel est, selon vous, le plus grand défi en matière de climat ?
Peppelenbos : « Au cours de l’année dernière, nous avons remarqué que de nombreuses promesses ont été faites, aussi bien par les entreprises que les gouvernements. Environ 70 % des émissions mondiales seraient déjà liées aux objectifs ‘zéro émission nette’ d’ici à 2050. Ces promesses sont importantes. Certains pays les ont inscrites dans leur législation, et certaines entreprises dans des résolutions d’actionnaires.
Le grand défi est cependant de transformer ces engagements en actions d’ici à 2030. Un rapport de l’ONU examinant toutes les politiques climatiques actuelles à travers le monde indique que d’ici 2030, elles permettront de réduire le réchauffement de 0,5 degré, ce qui est cependant loin d’être suffisant. En tant qu’investisseurs, nous disposons de tous les outils nécessaires pour y parvenir. »
Le monde financier prend-il le risque climatique trop peu en compte ?
Peppelenbos : « Beaucoup de travail a déjà été réalisé depuis les recommandations de la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures, NDLR) en 2017. Depuis lors, le sujet a pris une ampleur considérable, notamment grâce aux régulateurs. De nombreuses parties disposent déjà de modèles de risque solides, mais il reste encore beaucoup de travail.
Pour les obligations d’État à long terme, à 50 ans ou davantage, le risque climatique n’est pas inclus dans le prospectus : un bel exemple de sous-exposition au risque climatique.
Bien que la prise de conscience soit de plus en plus grande et que des efforts soient faits pour affiner et étendre les modèles, on ne peut pas tabler sur le fait que tous les risques du changement climatique sont déjà pris en compte. Ce qui est logique, car ils n’ont pas encore été pris en compte dans l’économie proprement dite. Le prix moyen du CO2 dans le monde est de 2 USD la tonne, alors que les coûts réels des émissions de CO2 sont de plusieurs fois supérieurs et sont estimés à 40 à 50 USD la tonne. »
Comment envisagez-vous la transition climatique dans vos fonds d’investissement ?
Peppelenbos : « Une double approche est nécessaire : top-down et bottom-up. L’approche top-down consiste à réfléchir aux émissions que vous avez en portefeuille ainsi qu’à la manière de les aligner sur ce que les scientifiques estiment nécessaire, à savoir une réduction de moitié des émissions d’ici à 2030 et une réduction à zéro émission nette à d’ici à 2050.
Comment allez-vous y préparer votre portefeuille ? Ce n’est certainement pas un exercice facile, car il s’agit de comparer le portefeuille financier avec le monde réel. Avec l’approche bottom-up, vous visez les entreprises et les pays qui s’engagent fermement dans la transition climatique, car cela vous permet également de réduire les émissions en portefeuille. »
N’y a-t-il pas une surchauffe du thème de l’investissement ?
Peppelenbos : « La croissance exponentielle actuelle est exactement ce dont nous avons besoin. La transition climatique n’est pas linéaire, mais disruptive et exponentielle. Cela vaut pour les batteries, les véhicules électriques et autres, mais aussi pour les produits financiers. »