Tariq Fancy, l’ex-CIO de Blackrock, ne pense pas que les investissements durables contribuent à un monde plus durable. Pieter De Ryck, de Van Lanschot Belgique, partage cet avis… mais seulement à très court terme.
Les investissements durables font plus de mal que de bien. Ils ne contribuent pas réellement à réduire les émissions et ils retardent également les mesures qui devraient être prises ». C’est le message formulé par Tariq Fancy dans une interview accordée au journal De Standaard.
Notre homme n’est pas un novice ; en tant que Chief Investment Officer pour les investissements durables auprès du gestionnaire d’actifs américain Blackrock, il a lui-même orienté des milliards de dollars vers ce type d’investissements. Après avoir quitté Blackrock, il dirige à présent une entreprise sans but lucratif de logiciels éducatifs.
Un placebo
Tariq Fancy cite divers arguments pour expliquer la défaillance des investissements durables. Selon le Canadien, ils tiennent uniquement compte des performances des entreprises individuelles, et non de l’impact mesurable sur le terrain. Il donne l’exemple de la compagnie pétrolière BP, qui s’est retirée de l’Alaska en 2019 sous la pression croissante des actionnaires.
Les champs pétroliers ont été vendus… à un acquéreur qui a renforcé la production de pétrole et fait grimper les émissions en flèche. Il s’agit d’un problème récurrent, selon Tariq Fancy : pour chaque entreprise qui décide de ne plus investir dans des activités nuisibles, une autre entreprise avec moins de scrupules est disposée à fournir les fonds. Selon Tariq Fancy, cela a peu d’impact sur les entreprises mêmes.
Il compare les investissements durables à un médicament placebo, qui entraîne même des conséquences néfastes à long terme parce que les pouvoirs publics se laissent endormir.
Les gouvernements doivent prendre des mesures sévères, mais ils partent du principe que le marché peut résoudre le problème lui-même », affirme-t-il. Tant que les émissions de gaz à effet de serre sont rentables, les gouvernements doivent impérativement imposer des règles strictes, comme une taxe sur le carbone, un plafond d’émissions ou la réduction des activités à l’origine des émissions.
Un processus
« Si l’on se contente d’observer l’instantané actuel, il faut reconnaître que Tariq Fancy a largement raison », affirme Pieter De Ryck, senior fund manager chez Van Lanschot Belgium. Aujourd’hui, on présente les choses comme si un investisseur contribuait directement à réduire l’empreinte carbone via son investissement durable. Bien entendu, cela donne une image déformée de la réalité. Un investissement durable ne prive pas nécessairement d’argent un autre investissement non durable. Ce n’est pas comme cela que ça fonctionne.
À première vue, l’analyse de Tariq Fancy paraît donc correcte. Pourtant, selon Pieter De Ryck, il commet une erreur en se bornant à l’ici et maintenant. La transition climatique et durable n’est pas une histoire d’ici et maintenant.
Il s’agit d’un processus. Il oublie, par exemple, que les gestionnaires d’actifs ne sont pas seuls. Un changement durable de comportement et de mentalité parmi les régulateurs, les consommateurs, les décideurs politiques et les entreprises est également nécessaire.
Les gestionnaires d’actifs sont des acteurs clés dans ce domaine. Ils contribuent à préparer le terrain et à fixer les normes pour les entreprises. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’impact positif immédiat. La compagnie électrique espagnole Iberdrola a par exemple récemment fermé sa dernière centrale électrique au charbon.
Des résultats concrets
Selon Pieter De Ryck, ce changement de mentalité est déjà très perceptible, même si nous ne sommes qu’au début de la transition durable. Les actionnaires activistes exercent une forte pression publique et médiatique sur les grandes entreprises et les obligent à renoncer à leurs activités polluantes. Les grands gestionnaires institutionnels abandonnent les entreprises qui ne sont pas pérennes.
Les régulateurs nationaux et supranationaux travaillent sur un cadre de plus en plus clair et transparent pour l’ISR.
Les décideurs européens étudient les possibilités d’une taxe aux frontières sur le carbone.
Divers acteurs sociaux resserrent ainsi les rangs et le filet autour des entreprises polluantes. Ceux qui ne suivent pas peuvent garder la tête hors de l’eau aujourd’hui, mais risquent d’être isolés des clients et des investisseurs demain.
Selon Pieter De Ryck, de nombreuses personnes, dont Tariq Fancy, sous-estiment encore le pouvoir du programme de durabilité. Ce phénomène n’en est certes qu’à ses débuts, mais ses effets à long terme se feront sentir.