Milton Friedman a déclaré que l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire. Peut-on s’attendre à plus d’inflation dans les années à venir ?
Peter De Coensel, CIO Fixed Income chez Degroof Petercam Asset Management (DPAM) et le gestionnaire de fonds Sam Vereecke se sont penchés sur la question dans le cadre d’un webinaire.
De Coensel : « Chez DPAM, nous étudions l’inflation depuis des années dans le cadre de notre gestion des obligations. Il s’agit d’une dynamique importante. Nous devons également nous concentrer sur les changements dans les années à venir, durant lesquelles les anticipations d’inflation pourraient nous surprendre. »
Vereecke : « C’est un phénomène complexe. Au cours des trente dernières années, nous avons connu une croissance et une inflation plus faibles, ce qui a fait baisser les taux d’intérêt. Tout le monde se souvient encore de la hausse de l’inflation dans les années 1970, provoquée notamment par les chocs pétroliers. Ces taux d’inflation structurellement plus élevés étaient spectaculaires, et le président de la Fed, Paul Volcker, avait étouffé cette inflation dans l’œuf en brisant le momentum économique avec des taux d’intérêt élevés. C’était une approche très agressive, mais efficace. Greenspan lui a succédé en 1987, et s’est vu confier une situation bien meilleure. Il a pu réduire les taux d’intérêt de manière structurelle dans les années qui ont suivi. Dans les années 1970, nous avons donc connu un environnement inflationniste en dents de scie. Cependant, au cours des trente dernières années, nous nous sommes trouvés dans un environnement désinflationniste, également en dents de scie. Dans cet environnement, les obligations ont naturellement bien performé, y compris celles liées à l’inflation. »
Corrélations
Il existe également un lien entre l’inflation et la corrélation entre actions et obligations. Vereecke : « À la fin des années 1990, il n’y avait plus de corrélation positive entre les actions et les obligations, et depuis lors, les obligations font donc office de moyen de diversification. Si l’inflation devait augmenter, cela affecterait bien entendu le potentiel de diversification d’un portefeuille multi-actifs. Nous devons en tenir compte. »
Anticipations d’inflation
Suite à la crise du coronavirus, les anticipations d’inflation (swaps 5 ans/5 ans) ont chuté. Le marché s’attend à peu d’inflation. Sur le plan macroéconomique, nous pouvons examiner la dynamique de l’offre et de la demande. La demande s’est effondrée en raison de la crise du coronavirus. Comment l’offre s’adaptera-t-elle après la reprise de la demande ?
Vereecke : « D’un point de vue monétaire, nous pouvons aussi nous demander si l’assouplissement quantitatif va provoquer de l’inflation. Cependant, cela ne s’est pas produit dans le passé. Pourquoi ?
D’un point de vue monétaire, nous constatons que les bilans des banques centrales ont été considérablement gonflés. Elles font en quelque sorte tourner la planche à billets. Le bilan de la BCE représente 52,8% du PIB, celui de la Fed américaine 32,6%. Au Japon, ce chiffre équivaut à pas moins de 117,8 % du PIB.
Selon la comparaison de Fisher, faire tourner la planche à billets entraîne une hausse des prix. Cependant, cela ne s’est pas produit parce que la vélocité (vitesse de circulation) de la monnaie a été plus lente et absorbe donc la création monétaire. Les achats d’assouplissement quantitatif ont largement contribué à augmenter les dépôts et les réserves auprès de la Fed. Mais tout cet argent a fait des allers-retours entre les banques commerciales et la Fed. Vous imprimez donc de l’argent, mais à une vitesse de circulation de zéro. Ce n’est donc absolument pas inflationniste. »
De même, les gouvernements engageront des dépenses importantes dans les années à venir. « De nombreuses mesures sont en cours d’élaboration, mais leur mise en œuvre est souvent difficile », explique Vereecke. Au Japon, par exemple, la planche à billets a beaucoup tourné, mais les anticipations inflationnistes sont restées très faibles. « En 2013, ils ont fait beaucoup d’assouplissement quantitatif, mais le financement bancaire n’a pas augmenté avant la fin 2019. Par conséquent, tout cet argent créé par la Banque du Japon n’a pas été inflationniste. Ce n’est qu’en faisant circuler l’argent que vous pouvez ou pourrez obtenir de l’inflation. »
Cible
Les spécialistes de DPAM s’attendent à une inflation plus élevée dans les années à venir, mais pas comme dans les années 1970 ou 1980. Mieux vaut donc protéger un portefeuille d’obligations contre les surprises de l’inflation. « Les obligations indexées sur l’inflation représentent un marché de quelque 3,4 billions d’euros, ce qui est peu par rapport aux 26 000 billions d’obligations nominales. Il s’agit toutefois d’un marché globalement très diversifié. On peut l’anticiper par le biais de stratégies d’obligations indexées sur l’inflation et de stratégies mondiales sans contrainte. »
Or
De Coensel : « Avec une augmentation de 20 %, l’or est l’une des meilleures classes d’actifs depuis le début de l’année. Les investisseurs veulent donc se couvrir contre l’inflation avec de l’or. L’or a encore un potentiel considérable, et il existe une forte corrélation inverse avec les taux d’intérêt réels et l’or. »
Les obligations mondiales sont moins intéressantes qu’il y a quelques années, reconnaît De Coensel. « Mais elles peuvent encore offrir une protection, même si les taux d’intérêt sont négatifs. À court terme, nous continuerons à nous sentir à l’aise avec les obligations, mais à plus long terme, nous devrons tenir compte de l’inflation. »