
Le 21 août, le Weseler Werft, une promenade verte sur les rives du Main à Francfort, surplombant le siège de la Banque centrale européenne (BCE), résonnait de la musique de Strauss, Mendelssohn et Liszt. La BCE parrainait en effet le concert Europa Open Air pour célébrer la diversité européenne.
« La musique nous unit », a déclaré Christine Lagarde, présidente de la Banque mondiale. Les visiteurs ont pu non seulement écouter les œuvres de grands compositeurs, mais aussi s’informer sur la banque et participer à un quiz sur l’Europe. Le prix pour les heureux gagnants ? Une visite des bureaux de la BCE. Bon…
Si j’avais été présent, j’aurais moi-même posé une question aux maîtres du quiz, à savoir : « Quel est l’écart entre les taux d’intérêt italiens et français à 10 ans et comment a-t-il évolué au fil du temps ? »
Dans le passé, cet écart était si important que personne ne pouvait passer à côté : généralement autour de 100 points de base et, dans les périodes difficiles, comme lors de la crise de l’euro en 2012, jusqu’à 400 points de base. En 2025, il ne suffit pas de se tenir très près du graphique de cet écart pour repérer la différence, il faut même une loupe. Cette semaine, la différence est tombée à moins de 10 points de base.
Le fait que les taux d’intérêt italiens diffèrent à peine des taux d’intérêt français montre que la France représente un risque aussi important que l’Italie aux yeux des investisseurs. À Rome, on a sans doute envie de fêter cela.
L’explication est simple. Alors que l’Italie jouit aujourd’hui d’une stabilité politique sans précédent pour ce pays – dans quelques semaines, le gouvernement italien fêtera ses trois ans, un exploit pour le pays où les gouvernements, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sont tombés en moyenne au bout de douze mois – la France se dirige vers une nouvelle chute du gouvernement et des élections législatives. Alors que l’Italie cherche à ramener son déficit budgétaire de plus de 4 % en 2024 à moins de 3 % cette année, Paris a un déficit de près de 6 % du PIB et espère être légèrement en dessous de 3 % à la fin de cette décennie ou au début de la suivante.
On pourrait dire que la France est petit à petit devenue le maillon faible de la zone euro et que l’Italie ne l’est plus. D’autant plus qu’un autre écart, beaucoup plus connu, celui entre les taux d’intérêt italiens et allemands à 10 ans, a lui aussi considérablement diminué, passant de près de 600 points de base à moins de 100 points de base aujourd’hui.
Ce différentiel de taux d’intérêt est considéré comme l’« indice de la peur de l’euro » depuis sa création. Il faut toutefois se garder de conclure que cette baisse est le signe d’un renforcement de l’union monétaire. La diminution de l’écart entre les taux d’intérêt italiens et allemands est principalement due au fait que les taux allemands ont augmenté plus rapidement que les taux italiens. Cela pourrait indiquer que l’Allemagne devient peu à peu un risque plus important. Une conclusion qui n’est pas surprenante, étant donné que l’économie allemande stagne depuis un certain temps, que le gouvernement augmente la dette et que la facture des retraites (pour lesquelles Berlin n’a pas mis assez d’argent de côté) augmente tous les mois.
Depuis l’introduction de l’euro, il est courant de lire des articles sur le maillon faible de la chaîne qu’est l’Union monétaire européenne. Vingt-cinq ans plus tard, cette chaîne est truffée de maillons faibles, la France étant le plus faible d’entre eux.
Christine Lagarde n’en parle pas. Le 23 août, elle s’est exprimée à Jackson Hole, lors de la conférence annuelle de la Fed, sur les implications pour la politique des transitions du marché du travail telles que le vieillissement. Elle a commencé par citer le philosophe français Alexis de Tocqueville selon lequel « l’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies ». La transition du marché du travail est certes une question très importante. Mais pendant ce temps, dans la galerie des tableaux monétaires, l’euro risque de devenir tout sauf une œuvre originale, mais une copie de la lire italienne ou du franc français.
Pendant ce temps, l’orchestre joue allègrement au Weseler Werft de Francfort. Cela rappelle l’orchestre du Titanic, qui aurait continué à jouer pendant le naufrage du navire en 1912 et qui, depuis lors, est devenu le symbole du déni d’une catastrophe.
Edin Mujagić est économiste, gestionnaire du fonds d’investissement Hoofbosch et auteur du livre Keerpunt 1971. Il rédige des tribunes pour Investment Officer et contribue à l’ECB Watch, sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne.