Jan Vergote
Jan Vergote

Certains analystes parlent de la fin de la domination du dollar. Ils font principalement référence à la perte de confiance internationale entre les partenaires commerciaux et à la dette élevée des États-Unis. Selon eux, un affaiblissement est en vue.

Il est encore trop tôt pour faire une croix sur le dollar, même si son apogée approche. Qu’est-ce qui soutiendra le dollar et qu’est-ce qui déclenchera son déclin ?

Comment mesurer la vigueur du dollar ?

La presse prend différentes mesures pour exprimer la valeur du dollar. D’une part, le US Dollar Index (DXY) et, d’autre part, le Real Broad Dollar Index. La différence n’est pas négligeable. Alors que l’indice DXY est mesuré par rapport à six autres devises (EUR 57,6 %, JPY 13,6 %, GBP 11,9 %, CAD 9,1 %, SEK 4,5 % et CHF 3,6 %), l’indice Real Broad Dollar Index reflète beaucoup plus précisément sa force commerciale, car les pays qui y sont inclus sont ses principaux partenaires commerciaux.

Le Real Broad Dollar Index mesure la valeur du dollar américain corrigée de l’inflation, et ce depuis 1973. Il est possible de suivre cet indice par l’intermédiaire de la Réserve fédérale. Les pondérations diffèrent fortement de l’indice DXY (EUR 18,9 %, CNY 15,8 %, MXN 13,5 %, CAD 13,3 %, GBP 5,3 %, KRW 3,3 %, et ainsi de suite). Cet indice est donc beaucoup plus pertinent dans le cadre du débat actuel sur les tarifs douaniers.

Si l’on prend comme point de départ la fin de la crise du crédit (mi-2011), on observe un mouvement haussier du dollar, qui se traduit par une augmentation de près de 40 %, un chiffre qui parle de lui-même. Pourquoi cette forte hausse ?

Deux facteurs essentiels

1. La surperformance de la Bourse américaine (avec le dollar dans son sillage), comme pôle d’attraction pour les investisseurs internationaux

Il va sans dire que la Bourse américaine a continué à gagner en attractivité après la crise financière : les taux d’intérêt ultra-bas, ainsi qu’une communauté d’investisseurs américains hyper-dynamique (avec par exemple les SPAC, VC et Sept Magnifiques) ont massivement attiré des investissements internationaux vers le dollar. Fin 2024, le poids des actions américaines dans le MSCI World atteint un sommet (depuis 1970) de 72 %, alors qu’il est de 65 % dans le MSCI ACWI.

La surperformance annuelle moyenne des actions américaines au cours des 15 dernières années s’élève à 5 % (en prenant en compte le coût de couverture de 2 %). Deux éléments principaux sous-tendent cette différence : la croissance plus élevée des bénéfices (+2,4 %) et l’augmentation de 3,8 % de la valorisation. Les bons résultats de la Bourse américaine n’ont fait qu’attirer davantage de capitaux internationaux, ce qui a tiré le dollar vers le haut.

2. Le taux d’intérêt à court terme aux États-Unis

Depuis fin 2014, les taux d’intérêt à court terme sont passés de 0,12 % à 5,3 % fin 2023. En revanche, la BCE n’a relevé ses taux d’intérêt à court terme à 0,5 % que le 21 juillet 2022. Il n’est pas surprenant que le taux de change du dollar par rapport à l’euro ait augmenté depuis la mi-2014 (1 euro = 1,13 dollar) pour atteindre approximativement la parité à la fin du mois d’août 2022. En effet, les différentiels de taux d’intérêt sont à l’origine de nombreuses évolutions monétaires. L’euro explique à lui seul près de 20 % de la hausse du dollar (du fait du poids de l’euro dans le Real Dollar Index).

Par conséquent, je pense que la force du dollar est en grande partie le résultat de politiques de taux différentes aux États-Unis (par rapport au reste du monde) et de la vigueur de l’économie et de la Bourse américaines.

Quelle est la prochaine étape ?

Il convient donc de s’interroger sur l’évolution de ces deux indicateurs dans les mois à venir. Les droits de douane sur les importations entraînent dans la plupart des cas une hausse des prix, ce que M. Powell ne cesse de souligner. C’est ce qui explique sa position attentiste en matière de taux d’intérêt. Même si les droits de douane entraînent des hausses de prix ponctuelles, nous savons désormais que les consommateurs américains ont eu une expérience négative avec l’inflation liée au Covid. Il est donc probable que la banque centrale procédera avec prudence et n’hésitera pas à relever les taux d’intérêt, si nécessaire. Ceci tirera le dollar vers le haut à court terme.

À moyen terme, les droits de douane à l’importation nuisent à la croissance. Nous constatons de plus en plus d’ajustements à la baisse de la croissance aux États-Unis (et dans le reste du monde). L’incertitude est fatale pour l’investissement des entreprises. Ainsi, la date et l’ampleur de la baisse du dollar dépendront principalement des deux facteurs cités : la croissance américaine et la Bourse. Si une récession survient et que la banque centrale impose des baisses importantes des taux d’intérêt, cela se fera au détriment du dollar. Si cela s’accompagne également de mauvais résultats boursiers américains, le déclin n’en sera que plus important.

Bien entendu, la domination technologique des États-Unis ne prendra pas fin immédiatement. Nous en venons donc à la sur- ou sous-performance relative des autres régions. L’Europe peut-elle poursuivre la surperformance qu’elle affiche depuis le début de l’année et récupérer davantage de capitaux ? La Chine parviendra-t-elle à relancer sa consommation intérieure dans les prochains mois et à redynamiser ses entreprises et sa Bourse ? Ou bien le monde entier va-t-il passer en mode ralenti, avec un retour possible au dollar ?

Conclusion

Les deux principaux facteurs qui ont soutenu le dollar ces dernières années sont les taux d’intérêt et la Bourse. Ils sont essentiels à l’évolution future. En outre, nous ne devons pas ignorer que d’autres banques centrales et d’autres pays se diversifient par rapport au dollar. Les banques centrales achètent de plus en plus d’or, les pays émergents font de plus en plus de transactions en renminbi, la zone euro se réveille et devrait pouvoir peser davantage sur les devises dans les années à venir. Et, last but not least : La Chine est en passe de devenir la nouvelle superpuissance.

Les personnes qui envisagent d’acquérir une obligation libellée en dollars doivent tenir compte de tous ces éléments. Les études disponibles sont plus que suffisantes pour démontrer que les intérêts supplémentaires payés sur les devises étrangères aux points d’inflexion sont largement insuffisants pour absorber la baisse de la monnaie. Une diversification limitée vis-à-vis du dollar est donc recommandée.

Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.

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