La crise énergétique actuelle n’entrave pas la lutte contre le réchauffement climatique ; au contraire, elle l’accélère.
La transition vers un régime énergétique durable est guidée par de puissantes forces structurelles selon Alexander Monk, portfolio manager Global Resource Equities chez Schroders. « Le système énergétique doit à cet égard être entièrement révolutionné, et cela exige un fort potentiel d’investissement.
» L’attaque russe en Ukraine a un fort impact sur les marchés boursier et énergétique. La croissance économique ralentit, les prix (des matières premières) s’envolent et une grave crise énergétique exige des réponses rapides. Si ces faits pourraient potentiellement entraver le projet mondial consistant à limiter l’augmentation moyenne de la température à deux degrés, Monk pense, au contraire, qu’ils pourraient donner lieu à une accélération.
Le marché connaît d’importantes perturbations. « Cette terrible guerre en Ukraine n’en est cependant qu’une cause partielle. Tant en Europe qu’en Asie, les prix du gaz étaient déjà en augmentation suite à une forte reprise de la demande alors que l’offre était à la traîne en raison d’un manque de capacité. Nous avons constaté ce phénomène post-COVID dans plusieurs secteurs. En fin de compte, une normalisation de la demande et de l’offre est indispensable », explique Monk.
Toujours selon Monk, l’Europe a un autre problème à cet égard, l’infrastructure américaine de conversion du GNL en gaz exploitable étant insuffisante. « Ceci est tout simplement dû à de trop faibles investissements. Ce problème ne sera pas réglé rapidement. » Monk pense donc que la crise énergétique va encore perdurer quelque temps.
Les gouvernements européens mettent tout en œuvre pour ne plus dépendre du gaz russe. Monk : « S’il est tentant de combler ce manque par du charbon, ce choix serait funeste au regard de nos objectifs climatiques. Oui, on constate un glissement vers le GNL américain, mais, comme je l’ai dit, celui-ci présente des problèmes de capacité. L’énergie durable constituera également, à court terme, une part importante de la solution, et cela accélèrera la transition énergétique. » Monk ajoute que les décisionnaires politiques devront quoi qu’il en soit s’en tenir aux objectifs climatiques.
La transition énergétique va se poursuivre avec force
Outre les engagements des décisionnaires politiques, il existe, selon Monk, deux autres forces motrices de cette transition. Les prix actuellement élevés du gaz créent de la volatilité, mais ils rendent également l’énergie durable bien plus compétitive ; dans de nombreuses régions, les alternatives durables sont entretemps devenues moins chères que le gaz et le charbon.
Il est également positif de constater que les consommateurs font des choix plus durables. Ainsi, environ 20 % des voitures vendues sont aujourd’hui électriques, et cette part ne fera qu’augmenter. Monk : « L’utilisation de pompes à chaleur et panneaux solaires dans les logements va elle aussi s’accélérer. Ces installations se mettent rapidement en place, sans nécessiter d’importantes modifications structurelles. »
C’est finalement le système énergétique dans son ensemble qui doit changer, de la production d’énergie à sa consommation, affirme Monk. « La Chine a beaucoup investi dans l’énergie durable, mais le réseau énergétique n’était pas prêt pour cela. Il faut mettre en place un système robuste. Le rôle de l’électricité va se renforcer. »
L’électricité comme important catalyseur
La part actuelle de l’électricité dans la consommation d’énergie est de 20 %. Il faudra qu’elle s’élève à 50 % en 2050 pour permettre à la transition énergétique de réussir, explique Monk. « Ceci offre un fort potentiel, y compris pour les investisseurs. Imaginez en outre que l’hydrogène vert joue lui aussi un rôle majeur : il nécessitera beaucoup d’électricité produite durablement, et celle-ci n’est même pas incluse dans ces 50 %.
» Cette électrification à grande échelle rend non seulement beaucoup d’entreprises intéressantes – comme par exemple les producteurs de batteries –, mais exige en outre de gigantesques investissements infrastructurels. Monk : « Sont concernés non seulement les constructeurs et exploitants de projets éoliens, entre autres, mais aussi les fournisseurs, comme les câblo opérateurs. Un tiers des coûts liés à l’installation d’un parc éolien en mer concerne le câblage. »
Selon Monk, pourtant, de nombreuses stratégies d’investissement durables et passives se focalisent sur l’exploitation et la construction. « On passe ainsi à côté de beaucoup de choses. Toute une industrie de fourniture gravite autour de ces projets, et nous devons nous intéresser à toute la chaîne de valeur. Aux entreprises ayant un potentiel de croissance, dans la production, mais aussi dans la distribution et l’utilisation de l’énergie : du producteur à la prise de courant. Il convient donc d’allouer intelligemment, et une stratégie active sans trop de limitations est capitale à cet égard. »
Surveillez la valorisation des actions de transition durable
Les investisseurs doivent néanmoins tenir compte des vents contraires. Les coûts augmentent partout, dans la production, le transport et dans la chaîne logistique. « Les entreprises durables seront aussi touchées ; les producteurs d’éoliennes, par exemple, souffrent de l’augmentation des prix de l’acier et des coûts de transport. Ceci peut exercer une pression sur les bénéfices et freiner la croissance économique. »
Enfin, la hausse des taux d’intérêt exerce une pression sur les valorisations boursières : la valeur actualisée des flux de trésorerie futurs diminue. Monk : « Tout est axé sur la discipline en matière de valuation : achetez à des valorisations attractives. Ainsi, vous ne vous retrouvez pas dans des actions surévaluées lorsque le marché passe en mode risk-off. Buy on the dips! C’est tout à fait faisable dans le contexte de la transition énergétique, qui va perdurer encore 30 à 40 ans. Considérez les choses sur le long terme ! »