Pour répondre aux nouvelles réglementations européennes sur les émissions de CO2 des camions, les fabricants vont devoir augmenter la production de camions électriques à batterie, puis de camions à piles à combustible à l’hydrogène.
Les poids lourds émettent entre 6 et 7 % des émissions totales de CO2 dans le monde. L’Union européenne (UE) a introduit l’an dernier sa première réglementation des émissions de CO2 pour les véhicules utilitaires lourds, emboîtant le pas aux États-Unis, à la Chine et au Japon.
La Commission européenne a déclaré que les objectifs pourraient être atteints en intégrant les technologies existantes à l’architecture des moteurs diesel, et que la hausse des coûts de fabrication serait compensée par les économies de carburant.
Toutefois, nous pensons que pour atteindre ces objectifs, les fabricants vont devoir développer de nouveaux groupes motopropulseurs, tels que les camions électriques à batterie et, dans un deuxième temps, les camions à piles à combustible à l’hydrogène. Il est intéressant de noter que les fabricants semblent d’accord.
En quoi consiste la nouvelle réglementation européenne ?
La nouvelle réglementation de l’UE vise à faire baisser les émissions de CO2 des poids lourds de 15 % d’ici 2025, par rapport aux niveaux observés en 2019, puis de 30 % supplémentaires d’ici 2030. Ces objectifs nécessitent de réduire les émissions de CO2 de 2,7 % par an, contre une diminution de 1 % observée au sein du secteur dernièrement.
Le mécanisme européen de conformité est quelque peu complexe. Les constructeurs de poids lourds peuvent obtenir des crédits si leurs parcs émettent en dessous de la tendance à la baisse des émissions de CO2 de 2,5 % par an jusqu’en 2024, crédits qu’ils pourront ensuite utiliser pour être en conformité en 2025, mais qui ne seront plus valables au-delà. À partir de 2025, chaque gramme de CO2/tkm excédentaire entraînera une amende de 4 250 € multipliée par le nombre de véhicules vendus chaque année entre 2025 et 2029.
De plus, il existe un système de crédit/débit dans lequel la surconformité permet de cumuler des crédits, qui peuvent être déduits des objectifs futurs. À l’inverse, la non-conformité conduit à une augmentation du débit, qui est plafonné chaque année à 5 %. Tous les crédits et débits seront soldés en 2029.
L’architecture actuelle du moteur diesel est-elle suffisante pour nous permettre d’atteindre les objectifs pour 2030 ?
Nous pensons que le principal défi pour les constructeurs de véhicules lourds est de lancer de nouveaux produits qui permettront de porter les économies de CO2 annuelles d’un peu plus de 1 % actuellement à 2,7 % au cours des dix prochaines années. La Commission européenne a déclaré que les objectifs de CO2 pouvaient être atteints en utilisant le moteur à combustion interne (ICE) et en adoptant les technologies existantes (aidés par des transmissions manuelles plus automatisées, le freinage régénératif, les systèmes d’arrêt/redémarrage automatiques). L’augmentation des coûts de fabrication sera compensée par les économies de carburant, a déclaré la Commission européenne.
Cependant, les constructeurs de camions pensent que les moteurs à combustion interne existants ne suffiront pas et que les objectifs de CO2 pour 2025 ne seront pas atteints. On peut en conclure qu’en l’absence de nouveaux développements de la motorisation, les amendes de CO2 risquent d’absorber la majeure partie des bénéfices en Europe.
Si de nouveaux groupes motopropulseurs sont nécessaires pour les véhicules lourds, quelle alternative l’emportera ?
Les deux véritables alternatives sont les camions électriques à batterie et les camions à piles à combustible à l’hydrogène. Laquelle faudrait-il privilégier ? Tout dépend de l’autonomie et du poids de charge. Les véhicules lourds nécessitent des batteries beaucoup plus grandes, ce qui engendre des implications importantes en termes de poids, de coût et de temps de charge.
Les véhicules lourds électriques restent plus de deux fois plus chers que leurs équivalents diesel, mais leurs coûts d’entretien et de fonctionnement nettement plus faibles seront considérés comme attractifs par les exploitants de véhicules lourds. Le coût total de possession est extrêmement important pour ces derniers, le carburant générant 40 % des coûts, soit autant que les chauffeurs.
Les véhicules lourds électriques sont plus adaptés aux trajets plus courts, et le coût total de possession est quasiment déjà optimal dans certains cas d’utilisation par rapport aux véhicules lourds diesel. En revanche, la faible capacité de stockage par kg des camions électriques à batterie pose problème pour les longs trajets. Les camions plus longs nécessitent des batteries beaucoup plus grandes, avec des implications importantes en termes de coût et de temps de charge.
Les camions à piles à combustible à l’hydrogène ont un poids par kilowattheure beaucoup plus faible, même en tenant compte des pertes du système de piles à combustible et du poids des réservoirs à hydrogène renforcés (généralement en fibres de carbone). Ils semblent donc plus susceptibles de l’emporter dans le segment des longs trajets et, initialement, du transport d’un point A à un point B.
L’utilisation tant des camions électriques à batterie que des camions à piles à combustible à l’hydrogène devrait augmenter dans les années à venir dans leurs segments respectifs des trajets courts/gabarits moyens et des trajets longs/gros gabarits.
Quels sont les délais prévus pour l’adoption des camions électriques à batterie et des camions à piles à combustible à l’hydrogène ?
Il reste des obstacles à franchir à court terme pour accroître le taux d’adoption des camions à piles à combustible à l’hydrogène, qui ne devraient devenir un moteur de décarbonation qu’à partir de 2025. Le manque d’infrastructures de ravitaillement, l’insuffisance de la capacité de production d’hydrogène vert et les coûts prohibitifs d’achat de ces camions sont actuellement les principaux obstacles.
Les camions électriques à batterie peuvent nous aider à atteindre les objectifs pour 2025 plus rapidement, compte tenu de la forte baisse des coûts des batteries qui peut déjà être constatée et qui devrait se poursuivre dans les années à venir. Par conséquent, les camions électriques à batterie sont probablement la clé pour atteindre les objectifs d’émissions de CO2 pour 2025.
En termes d’autonomie, quand les camions à hydrogène pourraient-ils l’emporter sur les camions électriques ?
Nikola, une start-up qui fournit des camions électriques à batterie et des camions à piles à combustible à l’hydrogène, estime que le point de basculement économique en termes d’autonomie est proche de 400-480 km. Au-delà, les camions à piles à combustible à l’hydrogène ont des coûts d’exploitation plus faibles. La différence semble reposer sur les hypothèses de développement des batteries et l’itinéraire. Nous pensons que le seuil de rentabilité se rapprochera finalement de la barre des 400 km.
Quel taux de pénétration des camions électriques à batterie est nécessaire pour respecter la réglementation de 2025 ?
Nous estimons que le taux de pénétration des camions électriques à batterie en Europe doit passer de 0,2 % en 2019 à 3-4 % d’ici 2025 pour atteindre les objectifs d’émissions de CO2 pour 2025, véhicules hybrides rechargeables compris. En comparaison, les véhicules électriques à batterie (VEB) représenteront 3 % des ventes de voitures neuves d’ici l’année prochaine.
La tâche s’annonce très difficile, mais les constructeurs de véhicules lourds (en particulier européens) réalisent des progrès encourageants dans le développement de batteries et le lancement de camions électriques à batterie, principalement dans le segment des petits et moyens gabarits et celui du camionnage régional.
En outre, nous sommes satisfaits de voir que les entreprises de logistique et de livraison commencent également à s’engager à utiliser davantage de camions électriques à batterie dans leurs parcs. Si l’on continue à réduire les goulots d’étranglement liés aux infrastructures de rechargement, l’offre de camions électriques à batterie pourrait atteindre le niveau requis d’ici 2025.
À quels changements peut-on s’attendre avec l’entrée en vigueur de la réglementation relative aux véhicules lourds ?
La Commission européenne examinera les objectifs de 2030 en 2022, et nous nous attendons à la définition d’objectifs au-delà de 2030 visant à réduire encore davantage les émissions de CO2 et d’étendre le champ d’application de la réglementation à une plus grande partie du parc de véhicules lourds, au minimum.