La réglementation relative au financement durable se développe à un rythme vertigineux. Anastasia Petraki, responsable Policy Research chez Schroders propose un aperçu de la situation en matière de réglementation ESG à l’échelle planétaire.
On dénombre une quantité étourdissante de nouvelles règles dans le monde entier. Elles visent à faire en sorte que les investissements nécessaires à des économies plus durables soient réellement réalisés. Le point de départ est généralement l’objectif d’atteindre zéro émission nette, ce qui sera très coûteux. Alors que la dette publique est colossale, la pression est mise sur les investisseurs privés. C’est le fondement du financement durable.
Les décideurs se concentrent invariablement sur trois domaines : la taxonomie, la fourniture d’informations sur les entreprises et la fourniture d’informations sur les produits d’investissement. Petraki propose un aperçu de la situation actuelle dans le monde.
L’Europe fait figure de précurseur, mais la taxonomie est à la traîne
L’UE a été la première région à se doter d’un plan de financement durable, basé en grande partie sur la fourniture d’informations et les rapports. Une taxonomie européenne est en cours de développement afin de déterminer les activités considérées comme durables. Les entreprises les utilisent pour rendre compte de la durabilité de leurs activités conformément à la Corporate Sustainability Reporting Directive. Les gestionnaires d’actifs utilisent à leur tour ces informations pour rendre compte de la durabilité de leurs produits dans le cadre de la Sustainable Finance Disclosures Regulation. Les conseillers financiers utilisent ensuite ces informations lors de leurs entretiens avec les investisseurs finaux.
Il devrait s’agir de l’ordre de mise en œuvre de la réglementation. Malheureusement, la taxonomie européenne est à la traîne, ce qui ralentit également la suite du processus. Mais à partir de janvier 2022, les gestionnaires d’actifs doivent publier des données sur la base d’un taxonomie qui n’est pas encore définitive. Et à partir du mois d’août 2022, les conseillers devront se baser sur ces données encore incomplètes. Autre difficulté, certains États membres de l’UE ont leur propre interprétation des règles européennes. Il en résulte une segmentation du marché, ce que les règles de l’UE doivent précisément éviter.
Le Royaume-Uni définit aussi des labels pour les produits d’investissement
Entre-temps, le Royaume-Uni s’attèle à mettre en place un rapport obligatoire conformément à la Task Force on Climate-related Disclosures (TCFD). Selon ce principe, le marché peut déterminer, avec la TCFD, les principaux émetteurs de CO2 et allouer des capitaux en conséquence. Toutefois, dans la mesure où la durabilité dépasse le cadre du changement climatique, l’autorité de surveillance britannique a également dévoilé des plans pour les Sustainability Disclosure Requirements (SDR) qui étendent les rapports TCFD à des facteurs de durabilité (non encore précisés). Le Royaume-Uni souhaite également introduire des labels pour les produits d’investissement durables, ce que les décideurs politiques de l’UE ont sciemment évité. Le pays envisage également une taxonomie britannique qui devrait être quelque peu différente de celle de l’UE. Davantage de détails suivront dans le courant de 2022.
Les États-Unis se ressaisissent sous Biden
Aux États-Unis, on a assisté à un changement de cap radical sous la présidence de Biden. Il a imposé une nouvelle politique axée principalement sur le changement climatique. Les résultats de la révision des règles du Department of Labor (ministère du travail), entrées en vigueur en janvier 2021 sous le précédent gouvernement, sont attendus avec grand intérêt. Le nouveau gouvernement a annoncé qu’il ne maintiendrait pas les règles et consulterait plutôt les parties prenantes. Il en a résulté de nouvelles propositions qui reconnaissent que des facteurs de durabilité peuvent être pris en considération lors de l’évaluation des opportunités d’investissement. Le résultat final est attendu dans les premiers mois de 2022 et pourrait donner lieu à un flux de capitaux vers des investissements durables.
L’Asie mise sur la gouvernance et l’éducation
Les marchés asiatiques ne sont pas non plus restés inactifs. Au risque de présenter les choses de manière trop simpliste : la plupart des développements récents sur le plan réglementaire ont porté sur l’amélioration des normes de gouvernance d’entreprise et du reporting des entreprises. On l’a observé à Hong Kong, mais aussi à Taïwan. Une autre caractéristique intéressante des marchés asiatiques réside dans une forte focalisation sur l’éducation. Cela ressort notamment de la création d’une académie ESG à Hong Kong et de la mise en place d’ateliers éducatifs et de plateformes d’apprentissage en ligne à Singapour.
La Chine cherche à converger en direction de l’Europe
La Chine collabore avec l’UE à une taxonomie commune via l’International Platform on Sustainable Finance. Il ne s’agit pas d’une taxonomie en soi, mais plutôt d’un instrument comparant efficacement les taxonomies vertes de l’UE et de la Chine. Cet instrument est encore en cours de développement, mais s’il fonctionne, il pourrait être très utile pour les investisseurs mondiaux.
L’Australie évalue les risques liés au changement climatique
Le financement durable en Australie est davantage lié au risque de changement climatique. La plupart des réglementations récentes concernent les banques, les assurances et les fonds de pension sur la manière de gérer les risques et opportunités liés à l’environnement. Les événements liés au changement climatique sont-ils aussi des risques financiers ? Pensez aux demandes d’indemnisation auprès des compagnies d’assurance en raison d’une météo extrême. De tels événements peuvent mettre en difficulté les compagnies d’assurance, ce qui peut également déstabiliser les marchés au sens large.
Aurons-nous jamais une norme internationale ?
Un certain espoir d’uniformité existe en matière de reporting d’entreprise. L’International Sustainability Standards Board souhaite créer une norme mondiale de reporting d’entreprise en matière de durabilité. On ignore encore quand elle arrivera. Des normes communes pour les produits d’investissement sont moins probables. Les autorités de surveillance internationales s’efforcent toutefois d’instaurer une certaine cohérence dans la manière dont les autorités nationales de surveillance traitent ce thème.
Par conséquent, à moins d’adopter des normes internationalement reconnues, les investisseurs doivent se contenter d’une mosaïque de différents cadres développés au niveau régional.
Le monde entier est en apprentissage
Un pays ou une région a-t-il pris une avance telle qu’il va remporter la course à la réglementation ESG ? Probablement pas et cela s’explique par le fait que l’on se trouve en terre inconnue. Tout le monde devra franchir une rude courbe d’apprentissage en matière de durabilité sans savoir ce qui l’attend de l’autre côté.
Lire aussi The ESG regulation race is on, par Anastasia Petraki, responsable Policy Research chez Schroders.