‘Une année de folie’ : voilà comment on peut d’ores et déjà qualifier l’année 2020 en cours. Au deuxième trimestre, les économies ont connu leur plus grand revers depuis près d’un siècle, tandis que les marchés boursiers - surtout américains - se sont redressés à une vitesse sans précédent. Mais en tant qu’investisseur, qui faut-il écouter durant les mois qui restent : le président du pays ou la banque centrale ?
Dans la course à la présidence américaine, Joe Biden a toujours un boulevard d’avance sur le président sortant Donald Trump (à gauche sur la photo). Selon le Poll Tracker du Financial Times, si les élections avaient lieu aujourd’hui, Biden rallierait 298 grands électeurs, contre 119 pour Trump.
Mais attention : les vraies élections sont encore dans deux mois, alors que la différence se fera probablement une fois de plus dans le centre des États-Unis : des milliers de kilomètres de territoire comptant relativement peu d’habitants, mais relativement beaucoup de grands électeurs. C’est là que se décidera si la balance penchera vers les Démocrates ou les Républicains. Le FT pense que Biden peut déjà être assuré de remporter 203 grands électeurs, contre pas plus de 80 pour Trump. Mais on ne sait absolument encore pas ce que feront 121 grands électeurs. D’après les estimations actuelles, 95 seront pour Biden et 39 pour Trump. La victoire reviendra à celui qui saura rallier au moins 270 grands électeurs.
Brillante fuite en avant
Cependant, Donald Trump a fait la semaine dernière une brillante mais dangereuse fuite en avant lors de son acceptation de l’investiture républicaine en accusant le camp Biden de soutenir ‘les émeutiers et les anarchistes’, tout en se rangeant ostensiblement du côté de ‘l’ordre public’.
Marko Kolanovic, stratège chez JPMorgan Chase, écrivait lundi dans une note à ses clients que les Démocrates peuvent encore perdre jusqu’à 5 à 10 % de leurs partisans ‘rêvés’ si les manifestations dans les villes américaines deviennent plus graves et plus violentes et si Biden donne l’impression de ne pas être du côté ‘law & order’.
JPMorgan : Trump gagne du terrain
Les sondages semblent donner 6 à 8 % d’avance à Biden sur Donald Trump, mais cette perception peut être influencée par le fait que les citoyens donnent souvent des réponses superficielles lorsqu’on les interroge sur leurs préférences. Le moment décisif est celui où l’électeur se trouve dans l’isoloir. En général, il vote pour la sécurité et le familier. Kolanovic, le stratège de JPMorgan Chase qui fait autorité, prévient que bien que la plupart des investisseurs croient toujours que le Démocrate Joe Biden remportera les élections, la dynamique est en faveur de Trump.
L’évolution actuelle des élections est très similaire à celle de 2016 : Hillary Clinton, qui caracolait largement en tête des sondages, a finalement remporté le ‘popular vote’ (le nombre total de voix exprimées), mais – en raison du ‘système des districts’ - n’a pas rallié suffisamment de grands électeurs. La mauvaise surprise venait principalement des États du Midwest américain. En conséquence, plus de 270 grands électeurs sont revenus à Trump et c’est lui, et non Hillary Clinton, qui a finalement prêté serment en tant que président des États-Unis.
Explication : le macro stratège mondial Jurien Timmer de Fidelity montre dans ce graphique la force du marché haussier actuel. Il compare le S&P cap-weighted (SPX) au S&P equal-weighted (SPW), qui est toujours de 5 % en dessous du sommet de février. Cependant, les deux indices ont augmenté à peu près au même rythme : 56% contre 57%. Le fait que le SPW soit encore légèrement à la traîne est dû au fait que la chute avait été plus importante : 39 % contre 35 % pour le SPX. Selon Timmer, la comparaison montre que le S&P participe de manière globale à ce marché haussier, et pas seulement les FAANG.
Avec un bénéfice de plus de 6 %, août a par exemple été le meilleur mois pour le S&P depuis 1986. Julian Emmanuel, stratégiste chez l’investisseur institutionnel BTIG, affirme qu’une telle performance contribuera à première vue à la réélection de Trump.
« En effet, un rendement positif pour le S&P a historiquement aidé le président sortant à remporter une élection dans 85,7 % des cas. Mais si l’on remonte à l’année 1928, durant laquelle les actions avaient augmenté de plus de 5 % en valeur en août et l’indice de référence avait grimpé de 25 % de juin à août, les mois de septembre et octobre avaient été particulièrement mauvais pour la bourse. Les six fois que cela s’est produit dans l’histoire, le président sortant a perdu les élections », écrit le courtier dans une analyse.
Révolution dans la politique de la Fed
D’une manière générale, septembre est un mois difficile pour le S&P, sans qu’il n’y ait d’explication concluante à cela. Après cinq mois bons mois boursiers consécutifs depuis le point bas du 23 mars, une pause paraît maintenant justifiée. Si l’on partage cette analyse, il est sage de miser sur Joe Biden.
Cependant, tout semble différent cette année : la combinaison de taux d’intérêt bas et de stimulation fiscale et monétaire est pratiquement sans précédent historique. Nous sommes donc sur un terrain inconnu, surtout depuis que Jerome Powell, le président de la Fed (à droite de la photo), a changé les règles du jeu la semaine dernière : il vaut mieux laisser l’inflation aux États-Unis dépasser l’objectif de 2 %. Le taux d’intérêt ne sera alors pas augmenté, car la Fed donne la priorité à l’autre objectif de sa politique : l’emploi.
Pour les marchés, ce véritable changement de politique est un signal indiquant que les marchés boursiers (américains) sont ‘the place to be’.
Sam Stovall, stratège chez CFRA Research, qui compte pas moins de 30 années d’expérience à son actif, prédit un nouveau marché haussier aux États-Unis qui pourrait durer jusqu’à 3 ans. Le S&P peut encore augmenter de 30 %, de sorte que nous pourrions arriver à un objectif de cours de 4500 points en 2023, déclare-t-il.
Augmentation substantielle des bénéfices du S&P attendue
La raison de ce scénario très favorable est que les économistes de CFRA prévoient une reprise économique en forme de V aux États-Unis - quel que soit le prochain président du pays. Il est sage de prendre les économistes du CFRA au sérieux, car ils ont prédit la contraction de l’économie au deuxième trimestre pratiquement à la virgule près : 32,9 %.
Stovall affirme que ce sont principalement les taux d’intérêt extrêmement bas et la politique ‘lower for longer’ qui justifient les attentes élevées pour les actions. « En raison du modèle de valeur intrinsèque, dans lequel nous utilisons les taux d’intérêt très bas pour prédire les prix des actions, les rendements investment grade de Moody’s indiquent une augmentation moyenne des bénéfices des entreprises du S&P de 30 % », explique CFRA.
La société basée à New York prévoit une augmentation moyenne des bénéfices de 45 % pour les sociétés à moyenne capitalisation aux États-Unis, et même un doublement pour les petites capitalisations d’ici la fin 2021. Ce qui, ajoute Stovall, justifie le fait qu’en dépit du taux de chômage le plus élevé depuis la Grande Dépression, les investisseurs sont extrêmement optimistes à l’égard des marchés boursiers, indépendamment du fait que Trump reste à la Maison Blanche ou que Joe Biden y prenne sa place.