L’offre croissante d’obligations d’entreprises ayant un important besoin de refinancement appelle à la vigilance. Les problèmes de trésorerie rodent et les notations de crédit peuvent se retrouver sous pression, déclare Marc Rovers de LGIM.
Le co-responsable European credit est venu de Londres, où il vit depuis des années avec sa famille, pour des entretiens avec des clients. La clientèle de LGIM est avant tout constituée de fonds de pension, qui représentent 90 % des 1.000 milliards d’euros d’actifs sous gestion.
« Nous avons à nouveau un marché », soupire le gestionnaire de portefeuille limbourgeois au début de l’entretien. Il dépeint un marché qui a longtemps été frustrant. Les investisseurs obligataires actifs n’ont pas été récompensés pour les nombreuses heures qu’ils ont passées à sélectionner les bons secteurs et les bons noms. Les spreads étaient serrés, la dispersion faisait défaut.
« Depuis l’année dernière, c’est à nouveau intéressant. L’influence de la BCE est moins présente et les différences entre bons et mauvais noms et secteurs sont de nouveau plus importantes. »
Le fait que le marché offre dès lors davantage d’opportunités ne signifie pas pour autant que Rovers mette les pleins gaz. En ce qui concerne ‘son’ marché, il voit encore beaucoup de dangers. Les dangers qu’il mentionne durant l’entretien sont d’une façon ou d’une autre liés aux notations des obligations ainsi qu’à la question de savoir si un titre vaut son prix.
Déluge de déclassements
Les sociétés ont longtemps utilisé l’argent bon marché pour des fusions et acquisitions et l’achat de leurs propres actions, tandis que leur effet de levier a augmenté, explique le gestionnaire de portefeuille.
La question de savoir si les obligations d’entreprises ou les investisseurs ne devraient pas redouter qu’un déluge de déclassements ne déferle bientôt sur le marché fait depuis un certain temps déjà l’objet de discussions entre investisseurs obligataires. Rovers : « Les entreprises ont énormément sollicité le marché. Prenez AB InBev : la brasserie a financé une acquisition avec de l’argent emprunté, mais a en fait reçu beaucoup de crédit d’agences de notation en échange de la promesse qu’elle réduirait son effet de levier à moins de trois. »
« Inbev a tenu un certain temps, jusqu’à ce que l’effet de levier s’avère être encore supérieur à cinq et que les critiques à l’égard des agences de notation s’accroissent. De l’avis général, il fallait déjà que beaucoup de choses se passent pour qu’une entreprise soit déclassée. Suite à la couverture médiatique à ce sujet, les agences sont passées à l’action et des déclassements ont suivi. Ce qui a un impact : lorsqu’une notation est abaissée de A à BBB, les fonds de pension et les assureurs réagissent. Ils sont alors trop exposés au BBB et doivent ajuster leur position. »
Effet de levier
Rovers préfère anticiper ce moment et, au lieu de la notation, se penche donc surtout sur l’effet de levier réel d’une entreprise. « Sur cette base, il est possible de dire si le prix d’une obligation est correctement évalué. Parfois, une obligation ne doit pas être évaluée Single A, mais Triple B, et je ne l’achète pas. Si le marché arrive plus tard à la même conclusion, nous nous demandons si nous devons encore prendre une exposition. C’est ce que nous avons fait pour Inbev, par exemple. »
Il est particulièrement attentif aux entreprises ayant un important besoin de refinancement. « Il suffit de regarder les conséquences de l’électrification dans le secteur automobile. Les investissements nécessaires pèsent lourdement sur la trésorerie des entreprises, alors qu’entre-temps, les ventes ralentissent, voire diminuent. Le résultat est une véritable tempête, et une notation sous pression.
Selon le gestionnaire, une entreprise comme Daimler court donc le risque que sa notation A soit mise sous pression. « Si nous voulons tout de même faire un choix sur ce marché, nous préférons Volkswagen. Le spread est bien supérieur à celui de Daimler, alors qu’elle est confrontée à des problèmes similaires. De plus, comme Volkswagen est déjà notée Triple B, l’effet d’un déclassement sera donc moins présent. »
Sociétés financières
Ce sont surtout les sociétés cycliques, les BBB ayant un modèle d’affaires solide et un bilan sain, ainsi que les sociétés financières qui intéressent actuellement le gestionnaire. « Nous avons été très prudents en ce qui concerne les titres senior non preferred», déclare Rovers à propos d’une catégorie qui, contrairement à ce que le nom suggère, est subordonnée aux ‘anciens’ titres senior.
Nous avons constaté que la différence entre titres non preferred et lower tier 2 - vraiment subordonnés - était beaucoup trop faible. Les investisseurs traitaient les titres senior non preferred comme des titres seniors. Nous avons pris une position, puis avons constaté un important mouvement à la fin de l’année dernière et au début de cette année. »
Selon Rovers, encore ‘beaucoup’ de ces titres se retrouveront sur le marché. « Un mouvement intéressant auquel réagir. Dans l’intervalle, nous avons quelque peu réduit notre position dans les titres senior preferred un peu moins risqués. Tout comme notre position dans un certain nombre de noms italiens. »
Il y a eu deux réévaluations l’an dernier, dont l’une au dernier trimestre, argumente-t-il. Alors que les obligations n’ont pas vraiment donné de bons résultats, le reste du marché s’est élargi depuis lors. « Par conséquent, la prime de risque est moins élevée qu’auparavant : une raison suffisante pour se tourner davantage vers le core. »
En termes absolus, les rendements sont ‘naturellement très faibles’, déclare Rovers concernant le marché obligataire en général. « On parle d’un environnement où les Bunds à dix ans rapportent moins de 20 points de base. Une grande partie des obligations d’État allemandes ont un rendement négatif, tout comme les liquidités. L’art consiste maintenant à rechercher le rendement tout en évitant les terrains minés. Parce qu’ils peuvent détruire une grande partie de votre performance relative et absolue. »