Foto door Lance Chang via Unsplash
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Les droits de douane annoncés par le président Trump accélèrent la tendance à la relocalisation déjà en cours. Les entreprises sont contraintes de repenser leurs stratégies, tout comme les investisseurs. Dans le contexte de ces nouvelles guerres commerciales, les intermédiaires peuvent tirer leur épingle du jeu – en particulier les transitaires. Selon Carl Auffret de DNCA Luxembourg, les investisseurs feraient bien de prêter attention aux pays qui gagnent du terrain dans la refonte des chaînes d’approvisionnement, sans pour autant laisser les droits de douane dicter leurs stratégies.

Le marché mondial de la logistique poursuit son expansion : il devrait atteindre 7900 milliards d’ici 2032, soit une croissance annuelle moyenne de plus de 4 %. Mais l’annonce de l’augmentation des droits de douane au printemps a freiné cet élan. Et les premières victimes de ces fluctuations douanières sont les chaînes d’approvisionnement. 
Benny Mantin, professeur en gestion des chaînes d’approvisionnement et logistique à l’Université du Luxembourg, confirme lors d’un entretien avec Investment Officer qu’il s’agit d’une réponse comportementale à court terme. « Les acteurs semblent se dire : « Faisons entrer le plus de choses possible avant que la porte ne se ferme. » Cette précipitation a elle-même généré des déséquilibres, comme le phénomène des conteneurs fantômes, où des conteneurs vides sont transportés pour maintenir des créneaux d’expédition. »

Christoph Berger, CIO d’Equity Europe, a constaté une accumulation massive de stocks aux États-Unis au printemps, afin d’anticiper les droits de douane. « D’importants volumes de fret aérien ont été expédiés de Chine vers les États-Unis pour garantir des stocks suffisants », explique-t-il. Face à des droits de douane prohibitifs – un taux de 145 % sur certaines exportations chinoises vers les États-Unis, « plus ou moins équivalent à un embargo » selon M. Berger – les entreprises ont été forcées de se réinventer.

Depuis l’annonce d’une trêve de 90 jours en mai, la prudence est de mise, car les changements sont très rapides. Pour M. Berger, déménager toute sa production aux États-Unis juste pour éviter les droits de douane n’est pas judicieux. Les entreprises ont d’abord stocké. Ensuite, elles envisagent des ajustements structurels. Carl Auffret, European equity portfolio manager chez DNCA à Luxembourg, confirme que la relocalisation n’est pas nouvelle, mais qu’elle s’accélère. Les États-Unis et la Chine cherchent plus d’autonomie. L’Europe, elle, est « un peu à la traîne ».

Cette incertitude a un coût. M. Berger souligne que les dirigeants hésitent à investir, car ils manquent de visibilité. Du côté des investisseurs, la situation impose une analyse fine. M. Auffret identifie des segments qui tirent leur épingle du jeu : les transitaires comme DSV ou Kuehne + Nagel, qui se positionnent comme des intermédiaires, prospèrent grâce à la complexité du secteur. Il explique par exemple que tout problème dans le canal de Suez fait baisser les volumes. Mais les prix augmentent alors, car les acteurs sectoriels doivent trouver rapidement des alternatives complexes. Leur modèle asset light (ils possèdent peu d’actifs eux-mêmes) les rend moins vulnérables aux baisses de volume directes.

Un autre segment porteur, selon Carl Auffret, est la logistique contractuelle. Il s’agit de gestion d’entrepôts, dans laquelle s’illustrent des sociétés comme ID Logistics. « Leur rôle est d’assurer l’efficience de l’entrepôt et de gérer les pics d’activité », précise-t-il.

Cette activité, plus axée sur le marché national, bénéficie de la tendance à l’externalisation. Des leaders mondiaux de l’e-commerce préfèrent ainsi déléguer cette gestion complexe, notamment pour les produits volumineux. « Ces contrats génèrent une croissance très forte », affirme l’investisseur luxembourgeois, mettant en avant la forte croissance organique d’ID Logistics.

À plus long terme, la résilience des chaînes d’approvisionnement devient un enjeu majeur. Benny Mantin rappelle l’engouement passé pour les chaînes d’approvisionnement allégées (lean) qui reposent sur les fournisseurs et réduisent ainsi les stocks. Si le concept de réduction du gaspillage reste pertinent, il nécessite une compréhension profonde de sa chaîne d’approvisionnement et des tests de résistance. L’exemple de Toyota, qui avait augmenté ses stocks de semi-conducteurs bien avant la pénurie, est pertinent à cet égard. La décision semblait contre-intuitive à l’époque, mais elle était finalement visionnaire, selon le professeur.

Christoph Berger abonde dans ce sens, anticipant des chaînes d’approvisionnement plus diversifiées géographiquement. Si l’Inde lui semble être un candidat « évident », il affirme toutefois qu’il ne baserait pas sa décision d’investissement dans le pays uniquement sur les droits de douane. La volatilité est trop forte. Mais M. Berger estime que ces perturbations pourraient n’avoir qu’un impact « temporaire » sur l’empreinte de production mondiale. Pour les entreprises, l’heure est à la flexibilité, à la constitution de marges de sécurité et à une diversification prudente. Pour les investisseurs, comme le résume Carl Auffret, « quand le marché est instable et qu’il y a beaucoup de complexité, ce n’est pas une mauvaise nouvelle pour les transitaires et certains gestionnaires d’entrepôts. » La clé ? La sélectivité : il convient d’identifier les acteurs qui transforment la complexité en opportunité.

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