
Les Bourses ont connu un parcours extraordinaire en 2019. Qu’apportera 2020 ? Entretien avec Christof Govaerts, responsable de la stratégie de gestion, et Olivier Colsoul, économiste en chef chez Nagelmackers.
Les équipes d’Olivier Colsoul et de Christof Govaerts (photo) sont responsables de l’allocation des actifs et des analyses macroéconomiques à la Banque Nagelmackers. Elles ont aujourd’hui opté pour un positionnement plus audacieux sur la composante obligataire que sur le volet actions, ce qui permet d’obtenir des rendements attrayants, surtout en ce qui concerne le profil prudent. Les investisseurs, dans ce contexte de croissance atone, ont peu d’appétit pour le risque.
IO : Comment quali eriez-vous le contexte macroéconomique actuel ?
O. Colsoul : « L’activité économique semble avoir atteint un étiage, pour trois raisons. Tout d’abord, un redressement est possible, mais il sera à notre avis modéré et n’aura pas une ampleur planétaire. En effet, Donald Trump met surtout l’accent sur les États-Unis et ne tirerait aucun parti d’un redressement mondial synchronisé. Deuxièmement, l’accord commercial préliminaire entre la Chine et les États-Unis n’est pas un facteur fondamental pour les marchés. L’empire du Milieu ne jouera pas le rôle de sauveteur en dernier ressort qu’il avait endossé auparavant.
Troisièmement, les banques centrales ont changé leur fusil d’épaule et assoupli leur politique monétaire, mais la baisse des taux est de moins en moins efficace. Son effet est important pour les marchés financiers, et donc pour les primes de risque, mais cette politique conciliante a de moins en moins d’impact sur l’économie réelle. Les investissements des entreprises ne vont pas augmenter mathématiquement. L’industrie de transformation en a tiré pro t, le secteur tertiaire moins. »
C. Govaerts : « Un redressement est possible, mais il n’y aura ni largesse budgétaire ni monnaie hélicoptère, car les banques centrales ne souhaittent pas s’engager dans cette voie. Pour avoir un impact, les mesures de relance budgétaire doivent avoir une envergure mondiale et être synchrones.
Si nous n’escomptons pas d’aggravation de la conjoncture, une réelle amélioration semble peu probable. Au quatrième trimestre 2018, les Cassandres étaient partout, mais ce pessimisme s’est évaporé. Or, le regain d’optimisme vis-à-vis des actifs risqués se base uniquement sur l’hypothèse d’une issue rapide au Brexit et à la guerre commerciale – un scénario certes pas impossible, mais qui ne doit pas trop tarder à se matérialiser. Les investisseurs disposent de nombreuses liquidités et ont aujourd’hui peur de manquer le train.
En 2019, ce sont surtout les marchés développés qui ont apporté des liquidités. La Chine n’est pas venue au secours de la planète. Les belles performances américaines sont plus durables que prévu, tout comme celles du secteur des services en Europe. Mais la Bundesbank table sur un taux de croissance inférieur à 1 % en 2020 pour l’Allemagne. Nous ne partageons pas la thèse d’un redressement mondial, à l’instar du mouvement synchrone qui avait eu lieu en 2016-2017. Donald Trump n’y trouverait aucun intérêt, bien au contraire. »
IO : Quelles conséquences pour votre allocation ?
O. Colsoul : « Nous souspondérons légèrement l’Europe, même si nous y avons récemment éto é nos positions. En termes de bénéfices, les entreprises doivent encore amorcer un mouvement de rattrapage par rapport aux États-Unis. La prime de risque européenne est toutefois confortable, tandis que le marché américain est assez onéreux même s’il a, de loin, a ché les meilleures performances en 2019. Mais sera-ce aussi le cas en 2020 ? L’endettement des entreprises américaines a énormément augmenté depuis trois ans. Si l’on excepte ces dernières semaines, les flux sont au final négatifs, mais le marché a tout de même pris de la hauteur. Les rachats d’actions propres, souvent financés par emprunt, ont joué à cet égard un rôle très important. Or, de nombreuses grandes entreprises vont devoir réduire leur endettement. Moody’s a déjà mis en garde contre une rétrogradation des entreprises notées investment grade (BBB).»
C. Govaerts : « Les marchés émergents a chent un tableau mitigé. Les indicateurs macroéconomiques avancés sont restés assez stables ces derniers mois, mais les troubles sociaux se multiplient dans la sphère: en Amérique latine, à Hong Kong… Les banques et les services aux collectivités pèsent lourd dans les indices des marchés émergents. Le rapport cours-bénéfice y est donc plus bas. Ces pays sont aussi très dépendants du dollar. La surperformance chinoise ne semble pas acquise. Nous avons donc adopté une approche globalement neutre. »
IO : Faut-il quitter le segment obligataire ?
C. Govaerts : « Autrefois, les emprunts souverains offraient une protection en cas de correction des marchés d’actions. C’est de moins en moins le cas. D’une manière générale, nous sous-pondérons donc les obligations. »
O. Colsoul : « En matière d’obligations, nous adoptons une approche cœur-satellite. Les obligations d’État européennes rapporteront peu sur les cinq à dix prochaines années. Mais il faut bien investir quelque part : l’on ne peut se cantonner aux liquidités. La dette souveraine européenne, et, dans une moindre mesure, des obligations liées à l’inflation et internationales (titres du Trésor américain non couverts) se trouvent au cœur de notre approche. Pour les satellites, nous surpondérons les obligations d’entreprises investment grade. Nous détenons aussi des positions dans le haut rendement et dans la dette des marchés émergents en devises fortes (couverte ou non), à hauteur de 25 % du portefeuille total. En n, l’or offre aussi une couverture limitée (en cas de baisse du dollar ou de hausse de l’inflation) pour notre composante multi-stratégies. »
Globalement, l’appétit pour le risque, dans le contexte actuel de croissance atone, pro te surtout aux crédits sur les di érents pro ls d’investissement (avec une surexposition, depuis un certain temps déjà, aux obligations d’entreprises et à la dette des marchés émergents). L’exposition aux actions a été relevée cette année et pourra l’être encore si les fondamentaux s’améliorent sensiblement (les béné ces des entreprises devraient être faibles en 2020) ou lors des corrections boursières passagères (liées à des facteurs géopolitiques changeants).