La guerre entre la Russie et l’Ukraine incite les gestionnaires de fonds européens à reconsidérer leur position vis-à-vis des actions du secteur de la défense, notamment à la demande de leurs clients.
Depuis des années, les fonds d’investissement de Belfius Asset Management ne détiennent plus de participations dans les entreprises du secteur de l’armement et de la défense. La plupart des acteurs sectoriels appliquent la même politique. Jusqu’à récemment, les fabricants d’armes étaient en effet perçus aussi négativement que les producteurs de tabac et les sociétés de jeux d’argent.
Cependant, la guerre en Ukraine, combinée aux appels croissants à un renforcement de la défense européenne, a progressivement levé le tabou entourant les entreprises du secteur de l’armement et de la défense. En Europe, le soutien sociétal en faveur de l’augmentation des investissements militaires semble gagner du terrain. L’escalade récente du conflit entre la Russie et l’Ukraine ne fait que renforcer cette dynamique.
« La question est très présente chez nos clients, tout comme au sein des autorités européennes », déclare Maud Reinalter, Chief Investment Officer chez Belfius AM, lors d’un entretien avec Investment Officer. « Chez Belfius, nous mesurons pleinement l’importance et les défis liés à cette problématique, en particulier à la lumière des déclarations du président américain élu Donald Trump au sujet de l’OTAN. Au sein de la banque, la question est de savoir comment nous pouvons contribuer au renforcement de la défense européenne. »
Politique d’investissement
Cette réflexion pourrait entraîner un ajustement de la politique d’investissement. Chez Belfius AM, une analyse est actuellement en cours pour examiner l’éventuelle intégration d’actions du secteur de la défense dans les portefeuilles. « Mais aucune décision définitive n’a encore été prise », précise Maud Reinalter. « Nous continuons à étudier la question en interne. » D’autres gestionnaires de fonds indiquent également que le sujet fait l’objet de discussions, mais soulignent la complexité du sujet.
« La première interrogation est la suivante : allons-nous investir ou non dans des actions du secteur de la défense ? Et si oui, les questions suivantes se posent : jusqu’où allons-nous aller ? Que pouvons-nous permettre ? Que devons-nous exclure ? Et qu’est-il raisonnable d’autoriser dans une logique de gestion responsable ? » résume Maud Reinalter, esquissant les contours du débat.
Les gestionnaires de fonds écartent d’emblée les entreprises impliquées dans la fabrication d’armes très controversées, comme les mines antipersonnel, les bombes à sous-munitions ou les armes nucléaires, biologiques ou chimiques. Mais au-delà de ces exclusions claires, la sélection devient beaucoup moins évidente. Il est facile de justifier un investissement dans des entreprises fabriquant des armes à vocation défensive, comme les systèmes de défense aérienne. Mais que faire lorsque ces mêmes entreprises fabriquent également des armes offensives ?
Perspectives financières
L’évolution de l’attitude des clients à l’égard des actions du secteur de la défense s’explique également par des considérations purement financières, souligne Maud Reinalter. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, il y a plus de mille jours, le constructeur de chars allemand Rheinmetall a vu le cours de son action presque sextupler, atteignant désormais plus de 600 euros.
« Les investisseurs se disent que le secteur de la défense, qui a récemment surperformé certains indices boursiers, pourrait à l’avenir contribuer à la performance globale des fonds », explique la CIO.
Tendance à long terme ?
Par le passé, on soulignait souvent que les revenus des fabricants d’armes étaient particulièrement volatils en raison des fluctuations géopolitiques. Par conséquent, l’exclusion de ces entreprises des fonds traditionnels n’était pas considérée comme un inconvénient majeur pour les investisseurs.
La grande question qui préoccupe aujourd’hui les gestionnaires de fonds est de savoir si l’Europe se trouve à l’aube d’un véritable changement de paradigme, avec une hausse structurelle des dépenses de défense.
Après des décennies de désinvestissement, différents experts militaires européens appellent en tout cas à une opération de rattrapage majeure. Un exemple fréquemment cité : la Belgique, qui abrite pourtant le siège de l’OTAN, les institutions européennes et le port d’Anvers, d’une importance géostratégique cruciale, ne dispose pratiquement d’aucune capacité de défense aérienne.
Si les pays européens décident massivement d’augmenter leurs dépenses militaires de manière structurelle, les entreprises de défense auront la perspective d’un flux stable de commandes, peut-être sur plusieurs décennies – un changement pour l’ensemble du secteur de la défense, que les gestionnaires de fonds ne peuvent ignorer.