Le Parlement européen ferait mieux de se concentrer sur des rapports obligatoires concernant l’exposition aux carburants fossiles ou sur une taxe CO2. Selon Helena Viñes Fiestas, de telles mesures seraient bien plus efficaces qu’une taxonomie brune.
La semaine dernière, la Commission européenne et le Parlement européen se sont mis d’accord sur la définition des investissements verts. Bien que cet accord ne concerne pas encore le texte juridique, un consensus a bien été trouvé sur le fond. Selon Helena Viñes Fiestas, membre du Technical Expert Group Sustainable Finance (TEG) pour le compte de BNP Paribas Asset Management, il s’agit d’une étape importante.
Ces derniers mois ont donné lieu à de nombreux débats quant à ce qui relevait ou non de la définition – appelée ‹taxonomie›. Le groupe des Verts du Parlement a plaidé en faveur d’une taxonomie ‹brune› venant s’ajouter à la verte et portant sur les produits d’investissement ayant un impact négatif sur les émissions de CO2. Selon Viñes Fiestas, cependant, c’est une bonne chose que cet amendement n’ait pas abouti.
Mise au pilori
Elle estime que les débats autour de la taxonomie brune vont à l’encontre du principal objectif du TEG : « Nous voulons avant tout que l’Europe atteigne son objectif pour 2050 – un approvisionnement en énergie neutre en CO2. Une mise au pilori n’est d’aucune utilité pour réaliser cette ambition ; il est préférable de créer les bonnes mesures d’incitation pour cette transition nécessaire. »
Viñes FIestas se félicite également de l’abandon de la taxonomie brune pour une raison pratique. Elle estime en effet que cette mesure impliquerait beaucoup de travail supplémentaire pour l’implémentation, la comptabilité, etc. Et tout cela, principalement en vue de mieux comprendre l’exposition aux carburants fossiles. « Car 93 pour cent des émissions de CO2 sont dues aux carburants fossiles. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi les autorités ne contraignent pas tout simplement les entreprises à présenter des rapports à cet égard. »
Taxe CO2
Une mesure encore plus efficace, selon Viñes Fiestas, serait d’imposer une taxe CO2 aux entreprises. « Ma question au monde politique est : pourquoi devons-nous implémenter une taxonomie brune pour contraindre les entreprises à mieux réfléchir à l’utilisation de carburant fossile ? Une taxe sur cette consommation ne serait-elle pas bien plus efficace et rapide ? » Cette taxe est cependant sujette à controverse au sein de la classe politique néerlandaise. Pour l’instant, les chances qu’une taxe CO2 fasse partie de l’ensemble définitif de mesures climatiques qui sera publié fin avril sont faibles, comme l’a annoncé Het Financieele Dagblad mercredi dernier.
Viñes Fiestas n’avait pas prévu que cette taxonomie donnerait lieu à autant de débats. « Je comprends bien qu’il soit nécessaire de mettre au point la définition, mais le Parlement n’a, selon moi, pas suffisamment réfléchi aux conséquences sociales. On dit en effet explicitement de certaines activités qu’elles sont néfastes. La question qui se pose donc est : pourquoi ne fait on rien contre de telles activités ? Et pourquoi rejeter la responsabilité sur le secteur financier ? »
Droits de l’homme et conditions de travail
Ce n’est pas la seule considération du Parlement que Viñes Fiestas n’arrive pas totalement à comprendre.
« Je trouve extrêmement positif que nous ayons intégré la sécurité sociale à la définition. La seule chose que je n’ai jamais comprise, cependant, c’est pourquoi ce point a fait débat, pour commencer. Il a même été rejeté lors d’un précédent tour. En effet, en théorie, tous les pays européens ont adopté les directives de l’OCDE, qui incluent également des principes relatifs aux droits de l’homme et aux conditions de travail. Théoriquement, donc, toutes les entreprises des pays concernés sont soumises à ces règles. Qu’est-ce qui a donc pu empêcher de définir des critères à cet égard ? »
À présent que ces questions sont tranchées, il est temps d’aller de l’avant. Que va par exemple remarquer le consommateur du travail du TEG ? L’objectif est, en fin de compte, que les préférences ESG soient mieux intégrées et de façon plus explicite aux conseils en matière d’investissement, mais nous n’en sommes pas encore là. Selon Viñes Fiestas, il manque deux choses importantes : « Nous avons défini ce qui est vert, mais pas encore ce que nous entendons par intégration ESG. Par exemple, quels en sont les standards minimum ? C’est une question très pertinente si on souhaite créer un autre label en plus du label vert. »
Un label de commerce équitable
« Je prends souvent l’exemple du café issu du commerce équitable. Grâce à ce label, les consommateurs savent que les agriculteurs ont été traités correctement et reçu une rémunération honnête. Nous souhaitons quelque chose de similaire pour les investissements. Un label vert indiquant que cet investissement contribue à la préservation de l’environnement et à la réduction du changement climatique. Et un label ESG pour attester qu’une entreprise agit de façon responsable vis à vis de l’environnement et des questions sociales. »
En plus de l’informer, il est également important, selon Viñes Fiestas, de faire porter une part de responsabilité au consommateur. « Sans vouloir généraliser, nous constatons que beaucoup de gens ont tendance à imputer certaines responsabilités aux autorités, banques ou entreprises. »
Une étude récente le confirme d’ailleurs. 4 600 personnes ont été interrogées pour le Maatschappelijk Imago Monitor (le moniteur d’image des sociétés) du cabinet de conseil This Is Why. Il en ressort que les Néerlandais estiment déjà faire ce qu’ils peuvent, mais pensent que les entreprises fuient leurs responsabilités. Un autre résultat remarquable de l’étude indique que les Néerlandais se sentent, en règle générale, de moins en moins responsables pour ce qui concerne le développement durable. En 2011, 73 % d’entre eux se sentaient encore en grande partie responsables, contre 57 % aujourd’hui.
Possible prolongation du TEG
On ne sait pas encore de combien de temps le TEG bénéficiera encore pour travailler à ces questions. Le groupe est officiellement en fonction jusqu’à juillet 2019, avec une possibilité de prolongation jusqu’à la fin de l’année. « Compte tenu des élections et de la mise en place d’un nouveau Parlement, une prolongation paraît vraisemblable », admet Helena. « Je pense que la Commission en dira très bientôt plus à ce sujet. »
Et quel regard Viñes Fiestas porte-t-elle sur l’année écoulée ? « Lorsque j’ai commencé, en 2003, avec l’ambition de rendre plus durable le secteur financier, on se moquait de moi. Mon père m’a même avertie que je n’allais pas parvenir à gagner ma vie comme cela. 15 ans plus tard, non seulement nous disposons d’une feuille de route complète destinée à rendre plus durable le secteur financier européen, mais nous entendons même faire de l’Europe le moteur de la transition mondiale. »