
Bruno Verstraete (52 ans) a quitté la Belgique il y a un quart de siècle. Aujourd’hui, depuis le Liechtenstein, il dirige son multi-family office Nautilus Wealth Management. Il vit près de Zurich. Le mode de vie sobre et discret dans les montagnes affine sa vision de la gestion d’actifs belge : « En Belgique, on se regarde les uns les autres, ici on regarde le client. »
Bruno Verstraete est né et a grandi dans la ville d’Oostrozebeke, en Flandre occidentale. Il a étudié l’économie à Anvers. C’est là qu’il a fait ses premiers pas dans la banque privée, chez BBL. Un an plus tard, il s’est installé au Luxembourg pour travailler chez Merrill Lynch.
« Mais je voulais autre chose. En 2000, avec un collègue, j’ai décidé de partir pour la Suisse. Nous y avons créé le gestionnaire d’actifs indépendant Nautilus Invest. Le concept d’honoraires fixes que nous avons choisi à l’époque est aujourd’hui monnaie courante, mais il y a 25 ans, c’était totalement inconnu. Nous travaillions uniquement pour les clients, sans tenir compte des banques. »
Un panneau au bord du lac
C’est plutôt une coïncidence qu’il se soit retrouvé à Zurich, ville germanophone. « La plupart des Belges choisissent Genève pour la langue. Je suis arrivé ici par l’intermédiaire du cousin de mon associé. Au début, la situation était un peu oppressante. Je me souviens qu’il y avait un panneau au bord du lac avec toutes sortes d’interdictions et, en dessous, la mention « Bienvenue au lac ». Mais cette mentalité rigide a aussi son charme. Les règles sont vraiment respectées. Cela apporte du calme. »
« Rétrospectivement, je suis très heureux d’être à Zurich et non à Genève. Zurich est une ville très dynamique, comme Anvers, avec beaucoup de vie et de travail. Les gens y pensent différemment et sont pragmatiques. Genève est comme Bruxelles, avec de nombreuses institutions internationales. Le week-end, la ville semble un peu plus vide. »
La Suisse a apporté à M. Verstraete un nouveau style de vie ainsi qu’une perspective différente sur le rôle du gouvernement et des citoyens. « En Belgique, vous avez parfois l’impression d’être suspecté par le gouvernement. Ici, vous êtes un client. Les fonctionnaires vous aident vraiment à aller de l’avant. Le fardeau réglementaire en Europe est souvent étouffant. En Suisse, on accède plus rapidement à l’essentiel. Pas de formulaires inutiles ni de procédures fastidieuses. »
Cap sur Vaduz
Mais sa vie ne s’est pas arrêtée à Zurich. « Au début, je ne pouvais habiter que dans le code postal 8001, c’est-à-dire dans le centre de Zurich, car c’est là que je travaillais. Après quelques années, j’ai été autorisé à déménager. En 2006, j’ai acheté une propriété à Hochfelden, à une vingtaine de kilomètres de la ville. »
Cette année-là, il a également fondé Nautilus Capital au Liechtenstein, aujourd’hui devenu Nautilus Wealth Management. « Sur le plan professionnel, je travaille aujourd’hui entièrement depuis Vaduz. Nous opérons à partir du Liechtenstein, car le pays fait partie de l’Espace économique européen. Cela nous permet d’offrir des services aux clients belges depuis Vaduz, sur des comptes belges. Parallèlement, nous sommes réglementés au niveau européen – sous la supervision directe de la FMA locale, qui travaille en étroite collaboration avec les régulateurs d’autres pays. »
Différence avec la Belgique
M. Verstraete sait parfaitement expliquer aux gestionnaires de patrimoine la différence entre la Belgique, la Suisse et le Liechtenstein. « En Suisse et au Liechtenstein, vous savez à quoi vous en tenir. La loi est la loi. En Belgique, trop de choses restent dans la zone grise. La gestion de patrimoine indépendante n’existe pratiquement pas à l’état pur. De nombreux acteurs sont indépendants sur le papier mais gagnent de l’argent par des moyens détournés – rétrocessions, assurances, immobilier. »
Il constate également une différence fondamentale de mentalité. « En Belgique, je constate beaucoup d’index hugging et peu d’orientation client. Tout le monde se regarde, personne ne regarde le client. Tout est numérisé, mais le contact avec le client disparaît. Cela se fait souvent dans l’intérêt du gestionnaire et non de l’investisseur. En Suisse, les choses sont différentes. Il existe 250 gestionnaires d’actifs indépendants dans ce pays, et les banques les considèrent comme des partenaires. Même UBS a 12 % de ses actifs gérés par des indépendants. »
Ce n’est pas Monaco
Et puis il y a le Liechtenstein. « Vaduz est en fait un mini-Luxembourg. Pas de glamour à la Monaco, mais de l’ordre et de l’efficacité. Si vous connaissez quelqu’un, vous pouvez agir rapidement. Les autorités coopèrent dans le cadre légal. En tant qu’entrepreneur ou manager, vous sentez que les gens apprécient vos efforts et ne sont pas soupçonneux. »
Cette transparence et cette structure créent un climat de confiance, explique M. Verstraete. « Nous sommes membres de l’Association des gestionnaires indépendants. Cette dernière s’adresse au régulateur qui, à son tour, s’adresse au législateur. Il y a une connaissance du terrain. En Belgique, il existe une dichotomie : soit vous êtes une banque, soit vous n’existez pas. Il manque le niveau intermédiaire. »
Il constate également des différences en termes de gestion de portefeuille. « De nombreux gestionnaires d’actifs belges revendiquent la diversification, mais la corrélation entre cinq portefeuilles de gestion est parfois de 92 %. Tout le monde achète les mêmes actions. Nous recherchons justement les actifs inexplorés : matières premières, actions de défense, stratégies de rendement absolu. Nous ne voulons pas répliquer les indices de référence, mais plutôt décorréler activement. En fait, les ETF sont utilisés ici depuis bien plus longtemps qu’en Belgique. »
Calme jusqu’à l’ennui
Un autre point qui retient l’attention de M. Verstraete est la discrétion. « En Suisse, la discrétion est une vertu. En Belgique, les banquiers privés parlent ouvertement de leurs clients, parfois même en les nommant. Vous ne pouvez pas faire cela ici. Les clients savent que nous respectons leur confiance. »
Pourtant, il n’ignore pas les inconvénients de son pays d’adoption. « C’est parfois un peu ennuyeux. Le train arrive toujours à l’heure, les règles sont strictement respectées. Le sentiment d’oppression du passé s’est transformé en appréciation, mais c’est toujours une culture différente. Ma fille a ramassé un jour en Belgique un morceau de papier que quelqu’un avait laissé tomber. En Suisse, les gens le font automatiquement. L’esprit civique est ici bien vivant. »
Est-ce qu’il retournera un jour en Belgique ? « Chaque mois, je reviens pour une semaine. Cela suffit pour comprendre pourquoi je suis heureux de revenir ici. Les embouteillages, la complexité, le sentiment d’impuissance… En Belgique, on s’attend toujours à l’inattendu. En Suisse, c’est tout le contraire : vous savez à quoi vous en tenir. »
Ses deux enfants adolescents y sont nés et parlent le suisse et le néerlandais. « J’avais l’habitude de dire : pour l’instant, je reste en Suisse pour toujours. Maintenant, c’est devenu temporaire pour toujours. Qu’est-ce qui me manque ? Un certain art de vivre. La nourriture, les amis, la famille. En Suisse, c’est parfois presque un péché. Mais la tranquillité d’esprit que j’éprouve ici n’a pas de prix. »
Cet entretien fait partie de la série estivale qui met en lumière des personnalités belges du secteur financier parties vivre à l’étranger.