La date du Brexit fixée au 29 mars 2019 approche à grands pas. Pour suivre ces moments captivants, notre correspondant à Londres, Mathijs Schiffers, tient pour Investment Officer un journal de bord où il décrit la réaction de la City d’ici le jour de vérité. Chapitre 1 : en route vers le sommet de Bruxelles.
Jeudi 4 octobre
Les journaux britanniques ouvrent leurs pages sur un étrange pas de danse que la Première Ministre Theresa May a esquissé en préambule à son discours lors du congrès annuel du Parti conservateur. Pendant un moment personne ne parle de la difficulté de Theresa May à conclure un accord sur le Brexit avec Bruxelles, ni des ambitions de Boris Johnson de l’évincer du trône.
Je me tiens moi-même avec quelques correspondants près d’une grande banque britannique qui nous parle en toile de fond du marché des fusions et des acquisitions. C’est intense, nous dit-on. Sur le marché britannique, l’activité était plutôt calme depuis 2015.
Mais le Brexit n’est jamais très loin. « Les entités émettrices pensent que la livre est basse et que le moment est donc venu d’acheter », explique un banquier. Mais si on ne parvient à aucun accord, la monnaie britannique risque d’encore diminuer. »
Lundi 8 octobre
Les inquiétudes sur les conséquences du Brexit sont à leur paroxysme depuis le référendum de 2016, comme l’indique la dernière enquête trimestrielle du bureau de consultance Deloitte menée auprès de 95 CFO d’entreprises britanniques, dont 18 issues de l’indice FTSE-100. « Les négociations difficiles et la spéculation à propos d’un départ de la Grande-Bretagne sans accord acèrent ce sentiment », stipule le rapport.
Un banquier attire mon attention sur les problèmes des obligations des banques européennes libellées en livres et qui peuvent être converties en actions. Selon les règles de l’UE, l’argent qui en découle peut être additionné aux capitaux propres. Mais sans accord de Brexit, et donc sans accord à propos de ces obligations, cela ne sera bientôt plus possible.
Les banques néerlandaises n’ont pas ces obligations, m’explique le banquier, mais bien les banques portugaises bien par exemple. « Elles peuvent baisser par leur ratio de fonds propres. »
Mardi 9 octobre
« Contrairement à d’autres chaînons de l’entreprise, je pense que le Brexit n’est pas si préoccupant pour nous. » C’est sur ces mots que le CEO Chris Willcox a entamé une réunion de presse de la division gestion des fonds de JPMorgan.
La stratège en chef Karen Ward a laissé sous-entendre dans ses propos qu’un « Brexit relativement doux » s’annonce. Elle a également confiance dans l’avenir de la City : « C’est un écosystème qui tire profit de sa grandeur d’échelle. En cas de morcellement, le coût du capital augmente pour les entreprises européennes. »
Les alertes de Brexit concernent principalement les institutions financières dans la City. Mais la Bank of England inverse aujourd’hui la donne : l’UE doit rapidement entrer en action, autrement elle n’aura plus accès aux activités de compensation britanniques, ce qui peut mener à un cataclysme pour des contrats d’une valeur de 69 000 milliards de livres.
Mercredi 10 octobre
Le parlementaire Nicky Morgan souhaite une enquête sur le rôle qu’ont joué les fonds spéculatifs et les sondeurs d’opinion pendant le référendum du Brexit du 23 juin 2016. Les fonds spéculatifs avaient alors commandé leurs propres sondages à la sortie des urnes pour prendre des positions en conséquence. Des inquiétudes de manipulation planent.
Ce sentiment est alimenté par une remarque du politicien eurosceptique Nigel Farage. Tout juste après la fermeture des bureaux de vote, Nigel Farage a dit après quelques coups de fil passés auprès d’amis dans la City que le Brexit avait perdu de peu, alors que plus tard, il s’est avéré évident que le vote en faveur du Brexit l’avait emporté. À l’époque, la livre a grimpé à la suite des propos de Nigel Farage, pour fortement chuter lorsque le véritable résultat est tombé. Est-ce que les fonds spéculatifs, avec le coup de pouce de Nigel Farage, ont fait grimper la livre pour doublement bénéficier de la dégringolade qui a suivi par le biais de positions short ?
Lundi 15 octobre
Jordan Rochester, stratège en devises chez Nomura à Londres, aborde dans une analyse de marché la gestation laborieuse en vue du sommet du Brexit à Bruxelles qui est prévu mercredi et jeudi.
Dimanche s’est tenue une concertation de dernière minute à Bruxelles, mais les discussions ont à nouveau échoué sur la façon d’éviter les contrôles frontaliers entre la province britannique d’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Jordan Rochester parle d’un « pas en arrière, pas d’un coup fatal ». Selon lui, le gouvernement britannique s’affaire encore à trouver un équilibre entre ce qui est possible à Bruxelles et la façon de le faire accepter au niveau national.
La livre a légèrement chuté aux nouvelles, mais Jordan Rochester s’attendait à une baisse plus importante. Il attribue cet écart au fait « que le marché est globalement déjà short ».
Mardi 16 octobre
Le ministre britannique des Finances Philip Hammond s’exprime à l’occasion d’un dîner de l’Investment Association, l’organisme professionnel qui représente les directeurs de fonds britanniques. Philip Hammond, qui minimise le Brexit, exprime vouloir se battre pour l’industrie, qui compte au Royaume-Uni 100 000 collaborateurs et rapporte 5 milliards de livres au trésor public.
Tout comme Karen Ward de JPMorgan et la Bank of England qui prévient à propos des compensations, Philip Hammond pense que les États de l’UE ont compris qu’il est dans leur intérêt d’emmener la City dans un accord de Brexit. « Près de 35 % du capital investi dans l’UE est géré depuis le Royaume-Uni, soit deux fois plus que dans n’importe quel autre état-membre. »
Vendredi 19 octobre
Ce que tout le monde voyait venir, est arrivé : le sommet de Bruxelles n’a pas permis de se rapprocher davantage d’un accord sur le Brexit. Il a été question d’une prolongation de la période de transition qui doit entrer en vigueur après le jour du Brexit. La Première Ministre Theresa May ne s’y oppose pas, mais les partisans du Brexit dans son pays ne veulent pas entendre parler d’un report ultérieur.
Dans l’intervalle, la Bourse de Londres montre que la confiance règne dans la City. L’entreprise renforce pour 438 millions d’euros son intérêt dans la London Clearing House pour atteindre 80 %.
C’est une transaction remarquable, quand on sait que les analystes d’UBS indiquaient il n’y a pas si longtemps encore que la London Clearing House pourrait perdre un quart de ses activités étant donné que l’UE souhaite le retrait des opérations de compensation londoniennes en euros après le Brexit.