Les deux prochains hivers s’annoncent difficiles pour le Vieux Continent, avec un approvisionnement en énergie qui va devenir de plus en plus compliqué.
Anton Brender (Chef économiste chez Candriam) estime que l’atterrissage en douceur de l’économie américaine reste son scénario de base pour les prochains trimestres, car tous les indicateurs semblent aujourd’hui pointer vers une inflation qui devrait se dégonfler vers 4% en 2023. « La demande intérieure a cessé de progresser suite au fort recul de l’investissement immobilier », avec une mensualité pour un prêt hypothécaire à 30 ans (pour une maison au prix médian) qui a grimpé de 1600 vers 2800 dollars par mois durant l’année écoulée.
Objectif d’inflation
« Dans le même temps, la Fed est également en train de gagner son combat contre la hausse des salaires, qui ont commencé à décélérer tant pour les bas salaires que pour les moyens salaires. De même, le taux de démissions volontaires dans le secteur privé a également eu tendance à s’infléchir, ce qui est un des indicateurs qui donne une bonne mesure de la température sur le marché du travail aux Etats-Unis ».
Enfin, Anton Brender souligne également que les loyers (qui pèsent 1/3 de l’indice des prix à la consommation) ont également commencé à s’infléchir sur base des nouveaux baux négociés, avec un grand volume d’immeubles à appartements qui devrait arriver sur le marché durant les prochains mois. « Cette composante devrait donc également s’atténuer ».
« Dans l’ensemble, j’estime donc que la Réserve Fédérale n’est plus très loin d’avoir atteint son objectif, avec une inflation sous-jacente qui devrait retomber vers 2% d’ici la fin 2024 ». Dans ce contexte, il table sur une croissance du PIB américain qui devrait s’établir vers 0,8% en 2023, et donc éviter une récession. « La banque centrale américaine va toutefois maintenir ses taux élevés, avec des taux à 10 ans qui vont rester sur les niveaux actuels pendant la majeure partie de 2023 ».
Incertitude énergétique
Du côté de l’Europe, Florence Pisani (Directeur de la recherche économique chez Candriam) souligne que la croissance à jusqu’ici mieux résisté que prévu, mais que les perspectives pour les prochains mois d’annoncent plutôt sombres. « Nous observons une dégradation des indices manufacturiers et dans les services, qui laissent penser que nous avons aujourd’hui une contraction de l’économie européenne, notamment en raison du coup d’arrêt subi en Allemagne par la hausse des coûts de l’énergie. Le resserrement des conditions de financement est également de nature à pénaliser la croissance durant les prochains mois ».
Mais la principale incertitude pour le Vieux Continent vient de l’approvisionnement en énergie. « Pour cet hiver, la bonne nouvelle est que l’Europe a réussi à stocker suffisamment de gaz naturel pour être en mesure de traverser la période hivernale sans trop de problèmes, notamment grâce à une consommation en recul de 10% par rapport à la normale. La mauvaise nouvelle est que cette situation pourrait s’avérer beaucoup plus difficile à atteindre durant les deux prochains hivers ».
Dans un scénario où le prix moyen du gaz naturel tournerait autour de 100 euros par MWh, l’Europe pourrait être en mesure de dégager une croissance de 0,5% en 2023, ce qui nécessiterait la combinaison d’une concurrence faible sur le marché international du gaz naturel liquéfié (GNL), du maintien de la baisse de la consommation de ces derniers mois, et de périodes hivernales pas trop rigoureuses en 2023 et 2024.
Contraction économique
« Si un de ces facteurs venaient à s’inverser durant les prochains mois, la situation va devenir de moins en moins favorable. Et si le prix du gaz passe vers 200 euros par KWh, la récession sera inévitable », soit une contraction de l’activité économique de -0,9% en 2023, avec les pays dépendant des industries consommatrice de gaz naturel (notamment la Belgique) qui seront les plus affectées. « Et tant pour l’augmentation des livraisons de GNL que pour le développement de nouvelles capacités nucléaires, il n’y aura pas de solutions à court terme ».
« Dans ce contexte, la Banque Centrale Européenne est aujourd’hui dans une situation très délicate », estime encore Florence Pisani, avec un taux de chômage très bas accompagné d’une pénurie de main d’œuvre, d’un taux de croissance potentiel faible et d’une baisse rapide de la population en âge de travailler. « La BCE a raison de normaliser sa politique monétaire, et nous pensons que le taux directeur va aller vers 3% durant les prochains mois avant de baisser vers 2.5% d’ici 2025 ». Dans ce contexte, le taux à 10 ans européen devrait remonter entre 2 et 2,5% dans le courant de 2023, avec un euro qui sera stable face au dollar.
Crise chinoise
Enfin, du côté de la Chine, Anton Brender (Chef économiste) estime que la situation est également compliquée pour les prochaines années, avec une crise immobilière dont le gouvernement a aujourd’hui difficile à se sortir. « L’économie fait face à des forces déflationnistes qui auront difficile à se dissiper, avec une confiance des ménages sur des niveaux qui n’ont jamais été vus et des ventes de détail fortement déprimées ». Il pointe également que le chômage des jeunes est en forte hausse, avec une qualité des emplois disponibles qui ne correspond pas au niveau surqualifié de la main d’œuvre.
« Les autorités chinoises ont atteint les limites de ce qui peut être fait pour atténuer la bulle immobilière, avec la chance d’un scénario à la japonaise qui a fortement augmenté. La Chine aura du mal à afficher une croissance annuelle de 5% pour son PIB, et donc à doubler son PIB/habitant d’ici 2035 comme vient de le promettre Xi Jinping ».