Chaque mois, de nombreux investisseurs professionnels attendent avec impatience le rapport sur l’emploi aux États-Unis. Cependant, il est essentiel d’oser regarder au-delà et d’apporter des nuances. Tant les indicateurs actuels que les indicateurs avancés de l’emploi ne progressent plus, voire baissent.
Le revenu nominal est tombé à 4,8 %, le niveau le plus bas du cycle actuel, une évolution qui s’inscrit dans le cadre d’une inflation inférieure à la tendance. La croissance économique nominale continue également de régresser, pour s’établir à 4,3-4,5 %, un point bas. La Réserve Fédérale ne serait-elle pas en train de devenir progressivement trop restrictive ?
Regardons au-delà
Tout le monde parle d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine. Contrairement au début de l’année dernière, de nombreux stratèges estiment désormais que le risque de récession est (très) faible. Le nombre d’emplois créés en janvier s’est élevé à 353 000, bien au-delà des attentes, et la moyenne trimestrielle a même atteint 289 000. La croissance de l’emploi a ainsi enregistré une progression de 1,9 % sur base annuelle.
En revanche, le Coincident Employment Index, une mesure statistique de l’emploi beaucoup plus large, n’a pas augmenté en janvier et affiche une tendance plutôt stable depuis le début de l’année 2023. Cet indice intègre quatre paramètres : les emplois créés (hors agriculture), le taux de chômage, le nombre moyen d’heures travaillées dans le secteur manufacturier, et les salaires. Le taux de croissance semestriel annualisé n’est que de 0,4 %, soit clairement en dessous de la moyenne.
Cela est cohérent avec un marché du travail affaibli et une croissance des revenus en baisse. Cet indicateur, considéré comme très fiable, existe depuis les années 70. Jusqu’à présent, il n’a jamais donné de faux signal : chaque fois qu’il a pointé vers une baisse ou une contraction, une récession a effectivement eu lieu.
Le rapport mensuel sur l’emploi (NFP) traditionnel est ce que l’on appelle un « indicateur retardé », qui suit les événements avec un certain décalage. Le caractère beaucoup plus large et diversifié du Coincident Employment Index le rend plus immédiat et plus actuel.
Ce qui précède démontre que le rapport traditionnel sur l’emploi surestime la situation de l’emploi. Par conséquent, la Fed court le risque de maintenir une politique monétaire trop restrictive.
Regardons vers l’avenir
Un autre indice important, l’EPB Leading Employment Index, s’est également détérioré en janvier et maintient sa tendance à la baisse. Cet indicateur avancé se compose d’un panier de variables telles que les heures travaillées, les demandes d’allocations de chômage et le taux d’emploi à temps partiel.
Depuis fin 2022, nous observons une forte baisse, principalement due au fait que les entreprises industrielles réduisent les heures de travail à un rythme sans précédent dans l’histoire, tout en procédant à de nouvelles embauches. C’est un phénomène que l’on observe également de manière plus large dans le secteur privé.
À l’origine, cette baisse était interprétée comme une normalisation post-pandémie. Actuellement, nous constatons cependant que le nombre d’heures travaillées retombe drastiquement aux niveaux pré-pandémie, et ce, dans l’ensemble des secteurs industriels.
Nominal versus réel
Le concept d’emploi agrégé est une mesure large qui intègre le nombre total d’emplois créés, le nombre d’heures travaillées et les salaires horaires. Ce « revenu agrégé nominal », ainsi qu’il est appelé, est tombé à une moyenne semestrielle annualisée de 4,8 %, soit le taux de croissance le plus faible du cycle actuel.
La hausse des taux d’intérêt survenue ces deux dernières années aux États-Unis porte donc ses fruits pour ramener ce revenu nominal à son niveau pré-pandémie. Un niveau de revenu national de 4 à 5 % est historiquement associé à une inflation inférieure ou égale à la tendance.
(Trop) restrictive
Le marché du travail américain affiche clairement des signes d’affaiblissement, bien qu’à un rythme lent. Les embauches semblent se stabiliser, mais les licenciements massifs demeurent également limités.
La croissance économique réelle des États-Unis en janvier, basée sur divers indicateurs macroéconomiques actuels et estimés, est d’environ 1,6 %. En revanche, la croissance nominale continue de chuter fortement pour atteindre des niveaux de 4,3 à 4,5 %, un creux dans le cycle. Ce taux de croissance nominale, qui tient compte à la fois de la consommation et des revenus, est conforme à la moyenne du PIB et du RIB (revenu intérieur brut).
Il est probable que la baisse de cette croissance nominale se poursuive en raison de la politique monétaire assez (voire trop) restrictive de la banque centrale.