Jan Vergote
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Dans mon précédent article, j’avais énuméré dix points d’attention incitant à la prudence vis-à-vis des actions américaines. L’un de ces points concernait l’impact négatif de la hausse des taux d’intérêt. Pour autant, ces points ne suffiront pas à provoquer un effondrement structurel du marché boursier. Il n’y a pas encore de signes de surchauffe sur le marché des actions américaines et j’identifie plusieurs facteurs susceptibles d’entraîner une nouvelle hausse de la Bourse cette année. Je les détaille ci-dessous.

1. Marché du travail robuste

En mars, pas moins de 303 000 emplois ont été créés aux États-Unis, un chiffre nettement supérieur aux prévisions des économistes, qui tablaient sur 200 000 emplois. Bien que ces données puissent naturellement être revues à la baisse, il est bon de rappeler que les chiffres de janvier et de février ont été revus à la hausse, avec l’ajout de 22 000 emplois.

Le nombre de nouveaux emplois témoigne de la robustesse du marché du travail. Le taux de chômage est tombé à 3,8 % et aucun signe de ralentissement structurel de l’économie américaine ne se manifeste. Par conséquent, le consensus des économistes quant à la probabilité d’une récession cette année a diminué, passant de 70 % mi-2023 à 32 % actuellement.

2. Les économistes tablent sur une poursuite de la désinflation

Les analystes interrogés par Consensus Economics sont unanimes : pour les États-Unis, le scénario de base est une désinflation vers les 2 % d’ici à la fin de l’année. La désinflation désigne un ralentissement de l’inflation, ou une diminution du rythme de la hausse des prix. Le cabinet Oxford Economics prévoit également un retour à ce niveau d’inflation durable, avec une augmentation limitée du chômage. 

Les économistes attribuent la désinflation principalement à l’atténuation des chocs d’offre mondiaux, qui avaient notamment découlé de la pandémie de coronavirus et de la guerre en Ukraine. Cette analyse est corroborée par les études de Janet Yellen (secrétaire au Trésor américain, ancienne professeure et présidente de la Fed), qui montrent que la disparition des chocs d’offre explique 80 % de la désinflation. 

Oxford Economics souligne également que la théorie classique de la courbe de Phillips n’est plus d’application. Selon cette théorie, le taux de chômage et l’inflation devraient évoluer de manière opposée, ce qui signifierait qu’avec le faible taux de chômage actuel, nous devrions normalement observer une inflation élevée.

Il reste cependant essentiel de continuer à surveiller les coûts de la main-d’œuvre, qui ont augmenté d’environ 5 % l’année dernière. Si les prix du pétrole devaient poursuivre leur hausse, cela pourrait faire augmenter l’inflation anticipée par les consommateurs et, par conséquent, les revendications salariales. Mais selon le Bureau of Labor Statistics, l’euphorie sur le marché du travail est terminée : on observe une diminution des départs spontanés ainsi qu’une augmentation du nombre d’emplois à temps partiel et des emplois multiples.

3. Les Sept Magnifiques ne sont pas un remake de la bulle Internet  

Les Sept Magnifiques représentent actuellement environ 30 % de l’indice S&P500 (en termes de capitalisation boursière). Pour Torsten Slok, économiste en chef chez le gestionnaire d’actifs Apollo, cela constitue un signal d’alerte : sept entreprises sont plus importantes que les Bourses du Japon, du Canada et du Royaume-Uni réunies. Il faut donc remonter 60 ans en arrière pour observer une telle concentration.

Cependant, Paul Marsh, professeur à la London Business School, relativise cette concentration et considère Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon, Nvidia, Meta Platforms et Tesla comme des entreprises jouissant d’une sorte de monopole naturel. Selon lui, les régulateurs n’ont pas directement l’intention de les démanteler, comme ce fut par exemple le cas avec Standard Oil en 1911. 
Avec un ratio cours/bénéfice prévisionnel de 30, ces sept entreprises ne sont pas vraiment bon marché, mais pas excessivement chères non plus. Les analystes anticipent pour une croissance moyenne de leurs bénéfices de 12 % pour les deux prochaines années, Nvidia se démarquant avec une hausse attendue de 70 %. 

La hausse des cours des Sept Magnifiques ne constitue - pour l’instant – pas un remake de la bulle Internet. À l’époque des dotcoms, les ratios cours/bénéfices prévisionnels atteignaient 70 et plus. Durant cette période, beaucoup de liquidités avaient été injectées sur le marché, notamment en réponse à la crise asiatique de 1997-1998. En Europe, les banques centrales avaient réduit les taux d’intérêt en vue de l’introduction de l’euro. 

Aujourd’hui, nous sommes confrontés, aux États-Unis, à des taux d’intérêt à court terme extrêmement élevés ainsi qu’à une masse monétaire ayant diminué de près de 1,5 % par an au cours des trois dernières années. De plus, les sept entreprises technologiques disposent d’importantes réserves de liquidités (par exemple, Apple peut rembourser près de 70 % de sa dette avec ses liquidités), génèrent des flux de trésorerie disponibles et des dividendes élevés, rachètent leurs propres actions, affichent des bénéfices réels et possèdent un potentiel de croissance considérable.

La prime de risque basée sur les bénéfices attendus et les flux de trésorerie disponibles prévus semble également plus attrayante : en 1999, selon la méthode DDM (modèle d’actualisation des dividendes), elle s’élevait respectivement à 1,2 % et 2 %. À la fin de l’année 2023, elle s’établissait à 2 % et 4,6 %, respectivement (source : NYU Stern), soit une augmentation notable.

4. Les bénéfices des entreprises ne subissent pas de chute brutale

Au vu des solides chiffres de croissance de l’économie américaine, les investisseurs devraient normalement s’attendre à ce que les bénéfices des entreprises soient eux aussi au rendez-vous. Cependant, ce n’est pas vraiment le cas. Les analystes prévoient une croissance moyenne des bénéfices de 3 % en glissement annuel pour le premier trimestre. Si l’on exclut les 10 premières entreprises de l’indice S&P 500, les bénéfices chutent de 4 % (source : Goldman Sachs), et ce recul n’est pas uniquement imputable à la récession des bénéfices dans le secteur de l’énergie.

Cependant, il se pourrait que ces chiffres soient trop pessimistes. La Deutsche Bank, par exemple, anticipe une croissance des bénéfices de 4 % pour le premier trimestre et, pour l’ensemble de l’année, un taux de croissance des bénéfices conforme à la moyenne à long terme de 9 à 10 %, ce qui, compte tenu de la croissance économique actuelle, est tout à fait envisageable.

5. Le retour du « Fed Put »

Par « Fed Put », je fais référence à la capacité de la Réserve fédérale américaine d’intervenir immédiatement pour soutenir l’économie et les marchés financiers en cas de détérioration sérieuse de la situation économique, par exemple en réduisant les taux directeurs. Cela aurait d’importantes répercussions sur les actifs risqués, comme les actions. Pour l’investisseur moyen, ce qui importe n’est pas tant ce que feront concrètement les grands argentiers américains, mais plutôt ce qu’ils sont en mesure de faire. 
Attention toutefois : le scénario envisagé ici est celui où les choses tournent véritablement mal. Ne vous attendez pas à une intervention de la Fed uniquement pour lutter contre l’inflation. Elle est prête à accepter une baisse des cours de 10 à 20 %. Il ne faut pas oublier non plus que l’assouplissement quantitatif est devenu monnaie courante dans le plan d’action des banquiers centraux. Jouer avec les injections de liquidités (en augmentant la liquidité dans un secteur tout en la réduisant dans un autre de manière très flexible) fait également partie de leur arsenal. Le Fed Put est bel et bien de retour.

Hausse des taux

Les principaux risques qui pèsent actuellement sur les marchés boursiers américains concernent les développements géopolitiques (Moyen-Orient) et les taux d’intérêt. Malgré l’effet de freinage sur l’économie des taux d’intérêt à court terme, les conditions financières sur le marché restent très accommodantes, ce qui stimule la croissance économique. Avec un indice de -0,55 pour l’Adjusted National Financial Conditions Index (ANFCI, source : Federal Reserve of Chicago), nous nous situons à un niveau particulièrement accommodant, ce qui ne facilite pas la tâche de la banque centrale. 

Cet indice fournit une mise à jour hebdomadaire des conditions financières aux États-Unis, englobant les marchés monétaires, obligataires et boursiers ainsi que le système bancaire traditionnel et parallèle. Les valeurs positives indiquent une politique plus stricte que la moyenne, tandis que les valeurs négatives signalent une politique plus souple que la moyenne

 Faut-il dès lors s’étonner que l’économiste et professeur Larry Summers ait récemment laissé entendre que la prochaine décision de la Fed en matière de taux d’intérêt serait une hausse plutôt qu’une baisse ? Et qu’une baisse des taux d’intérêt en juin constituerait une erreur grave et sans précédent ?

Bien que l’idée d’une hausse puisse sembler excessive, la probabilité qu’il n’y ait aucune baisse des taux cette année ne cesse d’augmenter. Cela signifie également que les taux à 10 ans pourraient à nouveau atteindre les 5 %, attisant la volatilité sur les marchés boursiers, d’où la position tactiquement défensive préconisée dans mon précédent article.

Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.

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