Actuellement, les investisseurs délaissent les actions chinoises. Le sentiment est négatif et le mot d’ordre est ABC : Anywhere But China (Partout sauf en Chine). Il suffit de lire le débat entre les stratèges de l’investissement lors du Trends Investment Summit pour s’en convaincre. La Chine est mise de côté. La Chine, c’est la crise immobilière, la dénatalité et le régime autoritaire de Xi Jinping.
Pourtant, les investisseurs seraient bien avisés d’apprendre à (mieux) connaître la Chine. Après tout, c’est la deuxième économie mondiale, et l’empire du Milieu s’affirme de plus en plus sur l’échiquier géopolitique.
Confucius
L’enseignement de Confucius (551 av. J.-C.) était axé sur le dao, ou Voie des sages. Selon cette doctrine, si les individus agissaient avec intégrité morale, le monde connaîtrait la paix et la prospérité. Cette exigence de vertu s’adressait en premier lieu au souverain, investi d’une responsabilité spécifique de se comporter de manière vertueuse (en incarnant le modèle à suivre), car son comportement deviendrait un modèle pour le peuple.
L’engagement envers un apprentissage continu était perçu comme le seul moyen par lequel les individus pouvaient cultiver leur vertu. Cette tradition explique aujourd’hui encore l’importance de l’éducation continue pour les Chinois. Seules les personnes les plus talentueuses étaient investies de l’autorité, ce qui illustre la radicalité de la pensée confucéenne.
De ce fait, le président Xi Jinping s’entoure de collaborateurs qui se distinguent par leur excellence professionnelle. Il est important de comprendre que ce principe s’applique à tous les niveaux, tant au sein du gouvernement que dans le milieu entrepreneurial. La compétence prime, excluant ainsi les ascensions fulgurantes au profit d’une accumulation progressive d’expérience, conformément à la devise.
Le poids du passé
Confucius attribuait une importance capitale au passé (le « poids de l’histoire »), qu’il considérait comme ayant un rôle essentiel. Les faits et gestes de l’empereur étaient méticuleusement consignés par les historiens. Cette démarche poursuivait un double objectif : mettre en lumière les erreurs du prédécesseur et immortaliser les bonnes actions du souverain.
Les souverains étant jugés à l’aune de leur passé, une responsabilité envers l’avenir leur était implicitement conférée. Cette perspective visait à promouvoir une conduite disciplinée de la part de l’empereur, ce qui explique pourquoi la Chine utilisait il y a 2000 ans déjà une sorte de système interne de checks and balances.
Cela m’évoque une citation du journaliste et écrivain uruguayen Eduardo Galeano (dans le film Madres Paralelas du réalisateur espagnol Pedro Almodovar) : « Il n’y a pas d’histoire muette. On a beau la brûler, la briser, on a beau la tromper, la mémoire humaine refuse d’être bâillonnée. »
Mandat céleste
L’un des principes fondamentaux de la pensée politique chinoise est le « mandat céleste ». Il s’agit du concept qui conférait à l’empereur (« fils du ciel ») le droit de régner. Cependant, ce droit était conditionnel : il pouvait être retiré en cas de conduite immorale ou de gouvernance incompétente. Ce concept constituait la pierre angulaire de l’ordre universel embrassant le monde civilisé. Il conférait une souveraineté illimitée et définissait les relations de la Chine avec le reste du monde.
Une seule Chine
En 221 avant J.-C., la Chine devint pour la première fois un empire unifié. Cette unification fut peut-être l’événement le plus significatif de l’histoire chinoise. L’idée d’« une seule Chine » s’est imposée comme la norme, devenant l’objectif impératif de chaque souverain ultérieur. Le concept fondamental de pays unique justifiait l’aspiration à se prémunir contre toute invasion extérieure à la Chine.
La revendication de la Chine sur Taïwan en tant que « province renégate » s’inscrit résolument dans le cadre du concept d’une seule Chine. À mon avis, il est loin d’être certain que la situation dégénère en guerre.
Civilisation supérieure
Les Chinois croyaient à une distinction fondamentale entre eux et le reste du monde : un mur intellectuel isolait leur société du reste du monde. L’attitude à l’égard des pays étrangers oscillait constamment entre ouverture et xénophobie, la civilisation chinoise étant toujours considérée comme supérieure. La Chine prônait un système empreint de respect et n’avait pas pour ambition de convertir le monde, contrairement à l’Occident avec le christianisme.
Guerres humiliantes
L’histoire de la Chine est marquée par deux séries de conflits qui influencent aujourd’hui encore les décisions stratégiques de Xi Jinping, semant l’incertitude parmi les investisseurs : les guerres de l’opium (1839 et 1856) et les guerres sino-japonaises (1894 et 1937). Ces conflits illustrent les traumatismes indélébiles des dirigeants chinois.
Lors des guerres de l’opium, amères et immorales, la Chine fut contrainte par les Britanniques d’autoriser le commerce de l’opium, ce qui fut ressenti comme une profonde humiliation. Pour la nation chinoise, ce fut un véritable électrochoc.
Les guerres sino-japonaises furent doublement douloureuses pour la Chine. Alors que le Japon avait initialement évolué dans les sphères d’influence chinoises, adoptant de nombreux éléments de la culture chinoise, il est ensuite apparu comme un pays occidentalisé (précoce dans son industrialisation et impérialiste), reniant ainsi la culture chinoise.
La force de 1,4 milliard de personnes
Xi Jinping est le produit de son éducation et de sa formation. Ses paroles et ses actes doivent par conséquent être analysés à travers ce prisme. En tant qu’investisseur, il est essentiel de comprendre certains aspects fondamentaux de la Chine. L’histoire et la culture chinoises ont forgé des relations complexes avec les pays étrangers, d’où l’importance de comprendre Xi Jinping à la lumière du contexte historique.
C’est avec une certaine satisfaction que j’ai lu la semaine dernière dans le Financial Times l’article de Martin Wolf intitulé The future of communist capitalism. Il écrit : « Avec ses ressources humaines et son potentiel de croissance, la Chine peut s’attaquer à tous ses problèmes, même si la tâche est ardue. Mais la seule force d’1,4 milliard de personnes qui veulent une vie meilleure est extrêmement puissante. Sera-t-il possible de stopper cela ? La réponse, je pense, est non. »
En tant qu’investisseur, je ne peux que souscrire à cette analyse.
Pour cette chronique, j’ai lu les livres suivants, qui offrent des perspectives intéressantes sur la Chine :
De nieuwe keizer - Ties Dams
China’s World View. Demystifying China to Prevent Global Conflict - David Daokui Li
China: A New History - John King Fairbanks & Merle Goldman
Smoke and Ashes - Amitav Ghosh
Superpower interrupted. The Chinese History of The World - Michael Schuman
Een geschiedenis van China - Victor Wesseling