
Dimanche, environ 60 millions d’Allemands se rendront aux urnes pour les élections législatives fédérales. Pendant des années, les élections allemandes ont été un modèle de prévisibilité et de stabilité, mais cette fois-ci, d’autres enjeux émergent.
Le résultat pourrait non seulement modifier l’équilibre politique en Allemagne, mais aussi avoir un impact majeur sur l’économie européenne. Les investisseurs européens suivent l’évolution de la situation avec espoir, mais aussi inquiétude.
En politique, peur et satire vont de pair
Lors d’une récente manifestation organisée à l’occasion du Carnaval à Cologne, les élections étaient mises en scène au travers de spectacles satiriques, avec une question récurrente : « Allons-nous revenir aux années 1930 ou aux années 1990 ? » Le public a ri jaune, mais le message sous-jacent était clair.
La référence aux années 1930 est révélatrice : une période d’effondrement économique et de montée de l’extrémisme. Aujourd’hui, alors que le parti d’extrême droite, l’AfD, atteint 21,1 % des voix dans les sondages, certains craignent que le passé ne se répète.
En revanche, les années 1990 ont été une période de stabilité et de croissance.
L’Allemagne a profité de la réunification et, sous la houlette des chrétiens-démocrates, le pays a joué un rôle clé dans la construction de l’Union européenne. Pour de nombreux électeurs, l’élection se résume à la question suivante : devons-nous opter pour la discipline économique et les réformes ou prenons-nous le risque de nous retrouver à nouveau dans des eaux politiquement et économiquement troubles ?
Les enjeux économiques : redressement ou stagnation ?
Les analystes financiers estiment que les élections anticipées offrent une opportunité de revitaliser l’économie allemande. « Les enjeux sont importants. Pas seulement pour l’Allemagne, mais pour l’ensemble de l’Europe », déclare Tof Goovaerts, économiste en chef à la Banque Nagelmackers. « Si l’Allemagne envoie un signal clair indiquant qu’elle souhaite aller de l’avant de manière responsable sur le plan budgétaire, cela pourrait rassurer les marchés. »
Avec près de 40 % du PIB de la zone euro, l’Allemagne reste le moteur économique de l’Europe. Mais depuis quelques années, ce moteur s’essouffle. La croissance est très faible et la production industrielle est sous pression. M. Goovaerts prévient que l’Allemagne doit veiller à ne pas tomber dans le même marasme que la France, où l’économie souffre de la paralysie politique et à des problèmes budgétaires.
Le pari raté de Macron, un avertissement
L’incapacité d’Emmanuel Macron à faire adopter un budget face à l’opposition du Rassemblement national de Marine Le Pen effraie l’Allemagne. « Une chose est claire : Macron a joué et il a perdu », déclare M. Goovaerts. « L’impasse politique en France a touché les marchés. Si la même chose arrive à l’Allemagne, cela ne sera pas bon pour les actions européennes. »
Bien que le CAC 40 ait progressé en 2024, l’indice a sous-performé les marchés mondiaux, principalement en raison de l’incertitude politique. « Si l’Allemagne se retrouve dans une situation similaire, je ne vois pas les actions européennes exceller cette année », affirme M. Goovaerts.
À moins d’une semaine de l’échéance, le DAX 30 de Francfort se négocie près de son plus haut niveau historique, mais les investisseurs se protègent contre un repli, comme en témoignent les options sur le DAX en circulation. Les 28 positions les plus importantes sont des options de vente, la première option d’achat se situant à la position 29. Le volume des options de vente est 2,6 fois supérieur à celui des options d’achat, bien au-dessus de la moyenne à long terme de 1,5, selon le Börsenzeitung. Ces chiffres témoignent d’une plus grande prise de conscience des risques sur le marché.
L’industrie exige des mesures
Ces dernières années, l’économie allemande s’est clairement trouvée en difficulté. La Fédération des industries allemandes (BDI) prévoit une légère contraction en 2025 et le FMI table sur une croissance modeste de 0,3 % cette année.
Selon Peter Leibinger, président de la BDI, le nouveau gouvernement doit se concentrer sur la croissance. Il prône des réductions d’impôts, moins de bureaucratie et des investissements massifs dans les infrastructures et l’innovation. « Sans une économie forte, tous les autres défis politiques deviennent encore plus difficiles à relever », affirme-t-il.
La discipline budgétaire, bénédiction ou malédiction ?
L’obsession de l’Allemagne pour la discipline budgétaire est l’un des principaux points de discorde de l’élection. La Schuldenbremse – une loi qui limite strictement les déficits budgétaires – a permis à l’Allemagne de garder la maîtrise de sa dette nationale. Mais les critiques affirment que cela a également réduit le potentiel de croissance du pays.
À Francfort, Martin Moryson, économiste en chef du gérant d’actifs DWS, estime que l’Allemagne est « victime de son succès ». Il évoque cinq années sans croissance économique et un taux d’endettement qui avoisine les 15 %. « Pour une économie mature, ce chiffre est beaucoup trop bas », prévient-il.
Un amendement de la Schuldenbremse requiert une majorité des deux tiers au Bundestag. Cela ne sera possible que si les élections aboutissent à une Große Koalition (« GroKo », ou large coalition), mais les sondages montrent que c’est loin d’être gagné d’avance.
Projection de la répartition des sièges au Bundestag selon les sondages, en %
À quoi ressemblera le nouveau Bundestag ?
Les électeurs allemands voteront deux fois dimanche. Le premier vote concerne un candidat local dans l’une des 299 circonscriptions. Le second détermine la répartition des sièges au Bundestag. Un changement important est intervenu cette année : un candidat ne peut remporter un siège que si son parti obtient également un nombre suffisant de deuxièmes votes. Cela signifie que même si un candidat remporte sa circonscription, il ne siégera pas forcément au Bundestag.Le nombre total de sièges est réduit à 630 et le système de sièges supplémentaires, utilisé auparavant pour équilibrer les proportions, a été supprimé. Cela signifie que les petits partis auront plus de difficultés et que les grands partis pourront consolider leur position dominante.
Un long chemin vers les réformes
Même avec un résultat électoral favorable, les réformes prendront du temps. « Nous ne prévoyons aucun mouvement avant le second semestre 2025 », déclare Katharine Neiss, chez PGIM Fixed Income. « Il faudra plutôt attendre 2026. »
Pourtant, un signal clair de l’Allemagne pourrait avoir un impact à court terme. « Il serait bon que l’Allemagne montre à l’Europe qu’elle veut aller de l’avant », estime M. Goovaerts. « Le temps presse, non seulement sur le plan géopolitique, mais aussi sur le plan économique. Si l’Allemagne fait le bon choix, cela pourrait donner l’élan que l’Europe attend. »