Erdogan
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La Turquie s’apprête à vivre un week-end tendu. Le président en fonction, Recep Tayyip Erdogan, est notamment en lice avec Muharram Ince, du parti républicain populaire CHP. L’issue de la lutte, qui s’avère pour le moins serrée, pourrait être funeste pour les marchés financiers et la lire.

Les investisseurs sont soucieux. Depuis deux jours consécutifs, la valeur de la lire turque baisse après que le président Erdogan ait déclaré que s’il remportait les élections, il comptait réduire les taux et renforcer son influence sur la politique monétaire. Qui plus est, les élections anticipées ont entraîné des fluctuations du cours de la monnaie turque par rapport à celui du dollar. La semaine passée, la lire a vécu sa pire semaine en l’espace de dix ans, selon le Financial Times.

Jeudi matin, un dollar valait 4,77 lires. L’intérêt du bon d’État turc à 10 ans dépasse encore les 16 %.

Crucial 

Nora Neuteboom, d’ABN Amro, qualifie d’« élections cruciales », le double scrutin prévu le 24 juin en Turquie : les élections présidentielles et parlementaires. « Les résultats de ces élections auront des conséquences significatives pour la Turquie », affirmait ce matin l’économiste spécialisée en marchés émergents dans une perspective du marché. « Et quel que soit le scénario final, l’économie turque ne pourra pas éviter une spirale descendante. Il est pratiquement impossible de rétablir les déséquilibres internes et externes qui se sont formés au fil des ans. »

Elle pointe du doigt les signes de surchauffe de l’économie du pays, avec une croissance de son PIB de 7,4 % en 2017 et une détérioration de la qualité des crédits. Nora Neuteboom prévoit un ralentissement sensible de la hausse des crédits dans la période à venir. « Voilà qui annonce un ralentissement de la croissance de l’ensemble de l’économie, quelle que soit l’issue des scrutins. »

Des modifications de la constitution controversées

La restauration de l’État de droit est au cœur des élections. Le système présidentiel instauré en 2017 ne prévoyait qu’un contrôle limité sur le pouvoir exécutif. Si Erdogan gagne, il aura plus de pouvoir. Si c’est l’opposition qui remporte les élections, les modifications de la constitution pourraient être annulées.

Si auparavant Erdogan ne semblait avoir aucun souci à se faire quant à ce dernier scénario, le contexte régnant sur le marché – la récente crise monétaire, les signes d’une surchauffe de l’économie – a de nouveau changé la donne. L’opposition gagne en popularité. Plusieurs sondages indiquent un résultat imprévisible, annonce l’agence de presse Bloomberg, ce qui pourrait mener à un deuxième tour le 8 juillet.

La mainmise de l’État sur les médias

Bien que Nora Neuteboom estime que l’opposition représente cette fois une plus grande menace pour Erdogan que lors des précédentes élections, elle indique que la balance continue à pencher de son côté. « Pour commencer, en raison de la mainmise de l’État sur les médias, l’attention est très inéquitablement répartie. Deuxièmement, des cas d’intimidation dans les urnes ont été signalés lors des précédentes élections et l’on soupçonne une fraude électorale par recours à des bulletins de vote multiples. Troisièmement, les bureaux de vote sont très éloignés des territoires kurdes du Sud-Est du pays. »

Nora Neuteboom s’attend à ce qu’Erdogan soit réélu au deuxième tour, mais ne pense pas que l’AKP obtiendra la majorité au parlement. 

Si cette prévision se réalise, maintenant Erdogan au pouvoir, le cours de la politique turque de ces dernières années ne devrait probablement pas changer. L’État de droit resterait alors frêle, selon l’économiste, car la communauté turque demeurerait polarisée et les tensions à court terme ne se multiplieraient pas. « Les relations d’Ankara avec ses partenaires européens et américains devraient rester tendues, en particulier en cas de signes de fraudes électorales. »

Rentes

Erdogan a globalement mené une politique peu favorable au marché, en visant des intérêts bas, remarque Nora Neuteboom. Il semble tenir à cette approche, comme en témoignent ses déclarations de mardi – relevées par Bloomberg – selon lesquelles des taux d’intérêt bas seraient privilégiés en cas de victoire électorale.

Nora Neuteboom : « S’il continue à faire pression sur la banque centrale, à se retrancher derrière des chiffres de croissance élevés et à s’abstenir de remédier aux déséquilibres croissants, les investisseurs se montreront plus pessimistes envers la Turquie. »

Nouvelle crise monétaire

Elle prévoit par ailleurs une insécurité croissante en Turquie, si son scénario s’avérait exact. « Erdogan exercera son mandat présidentiel dans certains domaines, mais fera probablement l’impasse sur une autre législation au sein du parlement divisé. »

Les investisseurs pourraient alors retirer leur capital, ce qui empêcherait la Turquie de subvenir à ses besoins financiers externes. Si les investisseurs se mettent effectivement à considérer le pays comme plus risqué, la lire peut être mise sous pression. ABN Amro n’exclut pas une nouvelle crise monétaire, le cas échéant. 

 

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