Voici un exercice intéressant pour les gestionnaires de fonds d’actions qui investissent (également) dans les actions chinoises : quelles entreprises européennes disposent d’une assise stratégique suffisamment solide pour tenir tête au gouvernement chinois ? Et quelles sont celles qui, à l’inverse, n’en disposent pas et se verront contraintes de subir passivement la politique parfois capricieuse et pas toujours responsable sur le plan de la durabilité des dirigeants chinois ?
Volkswagen est-il suffisamment fort, ou pas ? Le groupe automobile allemand se trouve dans une situation délicate en matière de durabilité en raison d’une usine en Chine. Dès 1984, VW a engagé une collaboration avec le constructeur automobile chinois SAIC Motor afin de produire des voitures dans ce pays émergent. Ce partenariat comprend notamment une usine dans la région du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, où vivent également les Ouïghours, une minorité musulmane opprimée par les dirigeants de Pékin.
En 2022, le journal économique allemand Handelsblatt rapportait que l’usine du Xinjiang était impliquée dans le travail forcé des Ouïghours. Sous la pression intense des investisseurs, VW a fait appel au consultant Löning, spécialiste des droits humains, pour enquêter sur la question. Löning n’a relevé aucune violation des droits humains. Cependant, de manière surprenante, les collaborateurs qui avaient mené l’enquête se sont distanciés de cette conclusion. Selon eux, le travail forcé était bel et bien pratiqué sur le campus de VW dans le Xinjiang.
Le fournisseur d’indices MSCI n’a pas été convaincu lui non plus par l’audit de Löning. Il a certes retiré le drapeau rouge signalant l’implication dans de graves controverses ESG, mais l’a remplacé par un drapeau orange. Ce dernier indique que la controverse a été soit partiellement résolue, soit indirectement attribuée aux actions, produits ou opérations de l’entreprise.
Comme si cela ne constituait pas déjà un problème suffisant pour VW, des centaines de ses véhicules ont été interceptés par les douanes américaines à la fin de l’année dernière. Les États-Unis interdisent en effet l’importation de produits issus du travail forcé. Un composant chinois présent dans les voitures était en cause. Pour l’instant, on ne sait pas exactement si cette pièce a été fabriquée au Xinjiang en recourant au travail forcé, car l’enquête est toujours en cours. Il est évident que cette affaire est très embarrassante pour VW, car elle braque à nouveau les projecteurs sur le potentiel problème de travail forcé dans son usine chinoise.
Il n’est pas surprenant que les investisseurs se montrent critiques envers VW. En décembre dernier, le gestionnaire d’actifs allemand Flossbach von Storch a accusé le constructeur automobile de mauvaise gouvernance et souligne la sous-performance de l’action. La problématique chinoise est également évoquée. La prise de décisions professionnelles concernant les investissements en Chine et les nombreux audits de l’entreprise sont considérés comme très complexes et fastidieux.
Battre en retraite
La Chine est trop importante pour VW pour que le constructeur envisage de battre en retraite. En effet, la moitié de ses bénéfices proviennent de la Chine. Cependant, le groupe automobile est-il en mesure d’interpeller le gouvernement chinois concernant sa position à l’égard des Ouïghours et d’exclure totalement le travail forcé ?
Peut-être y a-t-il une lueur d’espoir maintenant que de nombreuses multinationales quittent la Chine ou cessent d’y investir. Les investissements étrangers en Chine ont atteint leur plus bas niveau depuis 30 ans et le gouvernement chinois met tout en œuvre pour attirer les entreprises étrangères.
À mon avis, pour VW, l’espoir est vain. En effet, les rôles se sont inversés. Il y a quelques décennies, la Chine dépendait encore de VW pour fabriquer des voitures, mais aujourd’hui, l’industrie automobile chinoise est mature et les constructeurs chinois produisent beaucoup plus de voitures électriques, et à moindre coût, que VW. Plus encore, avec ces véhicules bon marché, ils se positionnent aujourd’hui en concurrents directs de VW sur le marché européen. La Chine pourrait bien ne plus avoir besoin de VW dans un avenir proche.
BASF dispose d’atouts plus solides à cet égard et peut afficher une plus grande fermeté en Chine. La Chine est en quête d’investissements étrangers apportant une valeur ajoutée au pays. Le groupe chimique allemand prévoit d’investir pas moins de 10 milliards d’euros dans la production de plastiques de haute performance en Chine au cours des prochaines années.
Tête
Non seulement les entreprises, mais aussi la Commission Européenne doit définir sa position face à une Chine de plus en plus affirmée. Imposer précipitamment des tarifs douaniers élevés sur les panneaux solaires, éoliennes ou véhicules électriques chinois bon marché pourrait se retourner contre nous comme un boomerang. Nous nous trouvons dans une situation précaire. Comment allons-nous concilier notre approche libérale du travail et du commerce avec les pratiques de la Chine ? Il est impératif de choisir quel modèle de marché et quelle ligne politique nous voulons adopter.
Xi Jinping renforce ses piliers stratégiques pour la Chine en serrant la vis pour sa population et ses entreprises. L’Europe doit définir plus clairement jusqu’où elle est prête à suivre la Chine, à poursuivre les échanges commerciaux et à maintenir sa coopération avec ce pays.
Pour ce faire, nous devons nous mettre dans la tête des décideurs politiques chinois, et en particulier celle de Xi Jinping. C’est ce que je tenterai de faire dans mon prochain article, dans lequel j’analyserai dans quelle mesure les ‘barbares occidentaux’ (1500) ou la guerre de l’opium (1840) influencent les décisions stratégiques du président.
Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.