Selon Pablo Duarte, senior research analist au Flossbach von Storch Research Institute, les nuages noirs s’amoncellent au-dessus des marchés émergents (EM). La combinaison d’une dette élevée, d’un dollar fort et d’un ralentissement économique peut mettre de nombreux pays dans une situation difficile. En tant qu’investisseur, il s’agira d’examiner chaque pays individuellement.
Nuages noirs
Ces dernières semaines, il n’a pas été suffisamment souligné que de nombreuses économies émergentes (EM) sont touchées par la crise du coronavirus à un mauvais moment. « Dans les pays développés, l’attention s’est davantage portée sur les problèmes propres et on n’a guère prêté attention à la tempête qui se prépare au-dessus des marchés émergents », souligne le chercheur du gestionnaire de fonds allemand. « En effet, les pays émergents sont confrontés aux conséquences de la récession des marchés industriels, leurs principaux débouchés, et à l’effet du Covid-19 sur leurs soins de santé plutôt faibles », affirme Duarte. Et tout cela à un moment où 75 % des pays des marchés émergents sont confrontés à des déficits publics plus importants, une dette en devises étrangères plus élevée et un déficit des comptes courants quatre fois plus important qu’en 2007, à la veille de la crise financière.
Force du dollar
Sur les marchés financiers proprement dits, cela n’est cependant pas passé inaperçu, car beaucoup d’argent est sorti des marchés émergents ces dernières semaines, ce qui a occasionné un revers considérable pour de nombreuses devises, comme le peso mexicain (-22% par rapport au dollar), le rand sud-africain (-20%) et le real brésilien (-18%). La fuite vers le dollar, la monnaie de réserve mondiale, a encore renforcé cette tendance. « Le niveau élevé de la dette et la force du dollar jouent désormais pleinement en défaveur de nombreux pays émergents. Quoi qu’il arrive au dollar, chacun est affecté partout. De nombreux pays auront du mal à honorer leurs dettes libellées en dollars, car la plupart d’entre eux ne disposent pas d’une grande quantité de réserves de devises. En outre, les biens importés vont devenir plus chers et les pressions inflationnistes vont augmenter », souligne le chercheur.
Institutions internationales
Selon Duarte, plusieurs pays marchés émergents pourraient augmenter leurs taux d’intérêt pour arrêter l’hémorragie, mais cela serait contre-productif dans la situation économique actuelle, surtout maintenant que leur propre économie est en difficulté et que le gouvernement a du mal à garder le budget sous contrôle. Certains pays pourraient envisager des mesures expansionnistes, mais cela pourrait encore accroître la fuite des capitaux.
Pour Duarte, la pression exercée sur des institutions telles que le FMI et la Banque mondiale pour qu’elles fournissent des financements et des paquets de mesures augmentera de toute façon. « Le FMI a notamment déjà ouvert de nouvelles lignes de crédit à court terme. » Une autre option possible est le contrôle des capitaux afin de permettre de supprimer la pression sur la monnaie. « Mais de nombreux pays sont réticents à le faire, car cela pourrait peser sur leur réputation et réduire leur attractivité auprès des investisseurs étrangers », conclut le chercheur d’origine colombienne.
Investisseurs : et maintenant ?
Et que doivent maintenant faire les investisseurs ? « Il est difficile de donner des conseils univoques car les investisseurs ont manifestement des objectifs différents. Ce que je peux toutefois dire, c’est que les marchés émergents sont traditionnellement considérés comme un bloc unique. Cependant, il y a des lignes de faille de plus en plus importantes au sein du segment. En tant qu’investisseur, il sera important d’examiner chaque pays, chaque économie individuellement et de distinguer les différences. » Toutefois, Duarte n’exclut pas la possibilité d’une deuxième vague de sortie de capitaux et une nouvelle augmentation de la pression sur les monnaies des marchés émergents. « Il n’y a pratiquement pas de filet de sécurité et le confinement est donc plus difficile à mettre en pratique. Quand on a faim, on ne reste pas à la maison. Il y a de fortes probabilités que le nombre d’infections ne diminue pas. »