La fin de l’année 2020 marque également la fin de la première phase du système de crédit social chinois. Depuis la publication des plans de sa construction en 2014, le SCS (Système de Crédit Social) est devenu le signe de l’approche de plus en plus autocratique de Xi Jinping, voire des objectifs ‘orwelliens’ auxquels la technologie numérique peut être appliquée.
Mais la réalité est plus prosaïque, affirme Rogier Creemers, professeur-assistant en études chinoises modernes à l’université de Leyde, dans l’analyse ci-dessous.
Le gouvernement chinois entame maintenant la deuxième phase, celle de la consolidation du développement du SCS. Il est donc intéressant d’examiner comment les autorités évaluent les résultats de cette première période, où elles voient des succès et des lacunes, et l’orientation future que prendra le SCS.
Induit par la nouvelle économie de marché
L’idée du crédit social est apparue vers l’an 2000, en réponse à un certain nombre de risques. Tout d’abord, la nouvelle économie de marché était en proie à toutes sortes d’infractions, qu’un État relativement faible ne parvenait pas à empêcher, avec un profond manque de confiance entre les acteurs économiques à la clé. Le crédit social devait y remédier au moyen de l’intégration d’informations du secteur public et de l’introduction de sanctions plus sévères pour les comportements malhonnêtes et illégaux. En d’autres termes, le SCS devait renforcer l’application des lois et règlements existants.
Plus tard, les informations ont également été considérées comme utiles pour la mise en place de services financiers destinés aux citoyens. À cette époque, la population chinoise utilisait peu les services bancaires et se servait d’argent liquide pour la plupart des transactions. Sans informations financières préalables, la mise en place d’une industrie du crédit nécessitait d’autres données pour évaluer la solvabilité. Enfin, le Plan de 2014 a introduit des mécanismes de contrôle interne au sein du gouvernement basés sur le crédit.
Autorités locales à la barre
Cependant, il allait falloir plus d’une décennie au gouvernement central pour publier ce plan. Comme souvent dans la gouvernance chinoise, les autorités locales ont été les premières à agir. En conséquence, une grande variété de systèmes locaux de crédit social ont vu le jour. Certains utilisaient des méthodes de scoring quantitatives, d’autres non. La plupart d’entre eux utilisaient uniquement des informations du secteur public préexistantes, mais dans certains cas, les fonctionnaires locaux ont essayé d’utiliser le SCS afin de punir des comportements légaux mais indésirables.
Un bourgmestre a par exemple cherché à sanctionner le job-hopping. Au niveau central, après 2014, le SCS consistait principalement en listes noires. Les citoyens ou entreprises reconnus coupables de certaines infractions, avec circonstances aggravantes identifiées, faisaient alors l’objet de mesures de sanction supplémentaires.
Composante de réputation
La liste noire la plus connue sanctionne le non-respect des décisions de justice et comprend l’interdiction de voyager en avion et d’acheter des produits de luxe, ainsi que le refus d’accès à certains postes de direction dans les entreprises. Le SCS a également une composante de réputation. Une grande partie des informations contenues dans le système sont accessibles au public.
Cela permet d’évaluer préalablement s’il est judicieux de travailler avec tels employeurs ou employés, partenaires commerciaux ou emprunteurs potentiels. Dans certaines villes, les autorités collaboraient même avec les opérateurs télécom : si vous étiez appelé par une personne figurant sur une liste noire, vous en étiez averti.
Important pour l’industrie du crédit
Sur le plan financier, la Banque populaire de Chine a accordé une licence temporaire à huit entreprises privées pour expérimenter des scores de crédit afin de développer davantage l’industrie chinoise du crédit. La grande plateforme en ligne Alibaba a développé Sesame Credit, un mécanisme de scoring quantitatif intégrant des éléments d’un programme de fidélité avec le type de système de scoring des utilisateurs présents sur de nombreux sites web, tels qu’eBay et Marktplaats.
Grâce à l’utilisation du big data et d’algorithmes, Sesame Credit était de loin plus sophistiqué que les systèmes gouvernementaux relativement rudimentaires, qui n’utilisent pas les données du secteur privé ou l’intelligence artificielle. Cependant, Sesame Credit était souvent confondu par les journalistes avec le système gouvernemental, ce qui a porté à croire que le modèle d’Alibaba était un projet pilote destiné à servir des ambitions administratives.
Nombre de listes noires limité
Un document politique de décembre 2020 réfute cette affirmation. Ce document énumère les enseignements que Pékin a tirés de la première phase du SCS et expose la manière dont le système sera consolidé. Premièrement, le nombre de listes noires sera limité. Suite aux critiques affirmant que le SCS était hors de contrôle, le gouvernement central travaille maintenant à des règles claires pour l’établissement de nouvelles listes noires, et a ordonné que les listes existantes soient revues. Les listes noires ne peuvent plus être basées que sur des lois et réglementations centrales, et toutes les autres seront supprimées.
Deuxièmement, une plus grande attention est désormais consacrée à une information correcte des personnes qui se retrouvent sur une liste noire, aux possibilités de recours et au rétablissement du crédit. Dans quelques premiers cas importants, les citoyens ou entreprises n’étaient pas suffisamment informés de leur inscription sur une liste noire, ou bien la manière d’en sortir n’était généralement pas claire. Il y aura maintenant un remède à cela, avec une nouvelle politique encourageant la restauration du crédit.
Troisièmement, les informations utilisées dans le système sont désormais mieux protégées, avec un catalogue central au niveau national. Les autorités locales peuvent toujours établir des catalogues supplémentaires, mais ceux-ci sont soumis à des règles plus strictes. De plus, le gouvernement central exige une protection plus efficace des données des entreprises et des citoyens, avec des limites plus strictes quant aux données pouvant être rendues publiques.
Scores de crédit non autorisés par les financiers
Dans le secteur financier, aucune des huit entreprises mentionnées ci-dessus n’a finalement obtenu de licence permanente pour attribuer des scores de crédit. Au lieu de cela, la Banque populaire a fondé une nouvelle société de score de crédit, Baihang Credit, dont les huit sociétés sont déjà actionnaires, ce qui permet d’éviter les conflits d’intérêts ainsi que les lacunes perçues dans les huit systèmes.
Il n’en reste pas moins que de grandes entreprises telles que Tencent et Alibaba n’ont pas été disposées à transmettre leurs données à cette société. Les développements récents, suite auxquels ces entreprises ont été visées par des réglementations plus strictes en matière de concurrence, peuvent être considérés en partie comme une tentative de briser leur monopole sur les données dans le secteur financier.
Le SCS n’a jamais été un système totalement intégré et centralisé. Il est préférable de le considérer comme un écosystème composé de centaines d’éléments distincts partageant l’idée centrale que le comportement des citoyens et des entreprises doit être récompensé ou sanctionné sur la base de l’honnêteté et de la fiabilité, et que les informations peuvent y contribuer. Dans un avenir proche, la consolidation du système signifiera une plus grande centralisation, avec des restrictions plus strictes sur ce que les différentes instances gouvernementales et autorités locales peuvent faire.
Une loi spécifique pour le SCS, qui fixera ces tendances, est également en cours d’élaboration. Le SCS pourrait avoir un rôle potentiellement utile à jouer dans la création d’une plus grande transparence concernant le comportement des entreprises en Chine, que le gouvernement continue à encourager.
Dans quelle mesure le SCS est-il orwellien ?
Dans quelle mesure le SCS est-il vraiment orwellien ? D’une part, il est clair que le SCS s’inscrit dans le programme des dirigeants actuels cherchant à établir un contrôle central plus important et plus strict des activités des citoyens et des entreprises. D’autre part, l’évolution de ces dernières années suggère que les dirigeants sont devenus plus conscients des préoccupations de la population quant au fonctionnement du système. Il existe également une loi incontournable pour les systèmes d’information publique : plus on attend d’un système qu’il remplisse une tâche particulière, plus il est mauvais.
Le SCS pourrait donc se limiter à renforcer les lois et réglementations, et ne pas avoir de pouvoir décisionnel propre. On peut s’inquiéter fortement de la façon dont la Chine utilise la technologie et les données dans la gestion sociale et économique, et en particulier dans la surveillance, mais le SCS n’est pas le plus important à cet égard.
GaveKal est l’un des partenaires de recherche de Fondsnieuws et publie un article le premier jeudi de chaque mois. Celui-ci sera principalement axé sur l’essor de la Chine.
Cet article concernant le système de crédit social en Chine a été rédigée par Rogier Creemers, professeur assistant en études chinoises modernes à l’université de Leyde, à l’invitation de GaveKal.
GaveKal est une société de services financiers basée à Hong Kong et fondée en 2001. La société se concentre sur la recherche financière pour les investisseurs institutionnels, la gestion d’actifs et les services de logiciels pour les professionnels de l’investissement.