Pour Hugo Lasat, le CEO de Degroof Petercam Asset Management (DPAM), les fusions et acquisitions dans le secteur vont fort augmenter.
Il prédit que la gestion indicielle pure et simple finira par disparaître dans une partie importante du segment institutionnel. La gestion active qui crée réellement de la valeur ajoutée et la gestion d’actifs as a service sont par contre des business models en plein essor. Les fusions et acquisitions dans le secteur vont inévitablement augmenter, notamment parce que les acteurs sont trop nombreux. Et il est dommage que Bruxelles et la Belgique ne jouent pas mieux leurs atouts en tant que centre financier.
Voici quelques extraits d’un podcast avec Hugo Lasat (photo).
Hugo Lasat commence : « D’une manière générale, les actifs sous gestion dans le secteur de la gestion d’actifs devraient augmenter d’environ 5 % en 2020, toutes classes d’actifs confondues. Sur cette augmentation de 5 %, qui représente un montant très important car nous parlons de milliers de fonds, les fonds ouverts, sans compter les mandats, sont passés de 52 000 à environ 55 200 milliards d’euros. Sur ce total, environ quatre cinquièmes s’expliquent par l’effet de marché, et un cinquième est de l’argent frais. Il s’agit des chiffres de l’EFAMA.
De plus, nous pouvons également constater que durant la période de turbulences que nous avons connue en 2020 et qui se poursuit encore actuellement, les gestionnaires d’actifs ont encore mieux su accompagner leurs clients. Le secteur a fait d’énormes progrès en termes de communication, d’information et de diffusion. »
Lasat : « En 2020, nous avons constaté que les différents business models ont subi un stress test. Il existe de nombreux modèles différents, tout comme il existe différents chemins menant à Rome. Vous avez d’abord les gestionnaires passifs, puis les gestionnaires spécialisés et/ou actifs, puis ceux qui se concentrent sur des solutions haut de gamme et enfin, les ‘smart packagers’.
En ce qui concerne la clientèle, vous avez les particuliers et les institutionnels. Ces derniers peuvent être subdivisés en wholesale /distribution d’une part, et en clients finaux d’autre part. Aujourd’hui, certains modèles se retrouvent sous pression, comme les one-trick pony’s qui n’ont qu’une seule expertise. Les facteurs exogènes exercent une pression sur leur business model, sauf s’ils se trouvent par hasard dans le bon segment.
Deuxièmement, je m’attends à ce que la gestion indicielle pure et simple prenne fin. Il ne s’agit pas du débat entre actif et passif, qui faisait déjà rage il y a 30 ans et même avant. Mais quand on voit ce que le segment institutionnel de l’industrie de la gestion d’actifs exige, comme l’analyse factorielle, les rapports ESG, le ‘solvency reporting’, la divulgation spécifique, etc., on peut être pratiquement certain que cette gestion purement indicielle, sans services d’accompagnement, se retrouvera sous pression.
De même, la partie des gestionnaires d’actifs qui proposent en soi une gestion active, mais offrent de faibles écarts par rapport à l’indice de référence, une ‘active share’ ou ‘tracking error’ limitée, le tout avec des coûts relativement élevés, sera également mise sous pression.
À un moment donné, les simples ‘packagers’ de l’expertise d’autrui devront apporter une valeur ajoutée. D’autre part, en plus de ces quatre modèles, il existe également d’autres possibilités pour créer de la valeur, comme les plateformes de distribution, qui jettent un pont direct entre les gestionnaires d’actifs et le client final. D’autres acteurs qui fournissent des services ‘asset management as a service’ en plus de la gestion purement financière ont également un avenir intéressant.
On obtient ainsi un nouvel univers avec, d’une part, des business models classiques, qui sont de toute façon tous challengés, et d’autre part, des entreprises plus orientées vers la technique ou ayant une approche différente – numérique – du client.»
Revenu
McKinsey estime qu’un gestionnaire d’actifs gagne en moyenne 15 points de base sur les actifs sous gestion. Lasat : « Ainsi, 100 euros sous gestion génèrent 15 centimes de résultat d’exploitation brut. Il s’agit donc d’une activité à faible marge, qui va de pair avec le volume. Cette rentabilité d’exploitation se répartit entre environ 35 points de base de marge bénéficiaire et des coûts estimés à 20 points de base.
Il s’agit donc d’une marge relativement étroite. Cependant, les actifs sous gestion ont fortement augmenté, avec une croissance annuelle moyenne de 7 % depuis 2014.
La rentabilité du secteur n’a pas suivi, car celui-ci a dû réinvestir une très grande partie de cette croissance. Les coûts ont donc augmenté, tandis que les revenus, surtout du côté institutionnel, ont diminué, du moins en pourcentage.
Le mix-produit et la croissance peuvent bien entendu compenser partiellement cette tendance, voire significativement pour certains acteurs. Les deux tiers des coûts sont des coûts de personnel, et sont en augmentation. En Europe continentale, nous sommes en train de rattraper les acteurs anglo-saxons.
On note une augmentation des coûts pour le cadre réglementaire. De même, le reporting et le service à la clientèle sont également des facteurs de coût qui ont augmenté de manière significative. De plus, il n’est un secret pour personne que les investissements dans l’informatique, la sécurité et les données ont considérablement augmenté.»
Capital-investissement
«La quantité d’argent investie dans le capital-investissement est assez inquiétante. Les investissements sous-jacents de ces fonds ne sont pas évidents, car il faut trouver des objets d’investissement intéressants. Il est vrai que les actifs privés et la dette privée attirent énormément d’argent.
La dette privée est un marché en développement parce que les institutions financières n’accordent par exemple plus d’investissements ou de prêts à long terme en raison des exigences en matière de fonds propres. « Les fonds de dette privée ou de prêts à effet de levier prennent maintenant cette place.
Tout comme les fonds d’infrastructure, car on constate que le gouvernement n’est plus en mesure de financer seul les infrastructures nécessaires.
D’une manière plus générale, les grands investisseurs investissent davantage dans les actifs réels, comme les terres agricoles ou forestières, par exemple. En raison des exigences réglementaires, les assureurs sont de facto évincés des actions et se diversifient dans les titres à revenu fixe, tels que prêts à effet de levier, dette privée, prêts hypothécaires néerlandais, infrastructures, etc. Bref, les actifs privés gagnent clairement en importance. De même, le nombre d’acteurs pouvant y créer une valeur ajoutée est également en augmentation. »
Conclusions
« Dans le secteur de la gestion d’actifs, les fusions vont augmenter considérablement dans les années à venir. Il existe une très grande diversité d’acteurs, qui sont tout simplement trop nombreux par rapport au volume de l’épargne privée et institutionnelle disponible. Nous assisterons à des fusions ou acquisitions non seulement en raison des synergies possibles du côté des coûts, mais aussi du côté des revenus.
Nous constatons également l’émergence d’un écosystème dans lequel certains gestionnaires d’actifs ayant une culture, une approche et un style similaires sur certaines questions, et qui ne sont pas nécessairement en concurrence à cet égard, se réunissent pour entreprendre des projets communs. Il s’agit d’une tendance, qui peut concerner par exemple l’analyse, la gestion, la technologie ou la distribution d’expertises.
Enfin, nous disposons en Belgique d’un certain nombre d’atouts et de talents, comme les connaissances linguistiques, le niveau de nos universités, l’engineering, le bon emplacement et, surtout, l’intelligence culturelle et émotionnelle, pour n’en citer que quelques-uns. C’est pourquoi j’estime que Bruxelles devrait s’inscrire davantage sur la carte. En Belgique, il y a très peu d’acteurs vraiment productifs en matière de gestion d’actifs, mais on constate que toutes les sociétés étrangères y sont présentes avec des équipes commerciales.
Il y a un contraste entre l’excellente position de départ, par exemple avec notre marché national de l’épargne, et le fait que nous ne parvenons tout simplement pas à en tirer parti au niveau européen et international. De plus, il faut également noter que le secteur de la gestion d’actifs est une activité dans laquelle les exigences en matière de fonds propres sont attrayantes, et qui a bien résisté à plusieurs crises. Je trouve cela dommage. La gestion d’actifs est un superbe produit d’exportation.
Je veux vraiment apporter ma pierre à l’édifice pour faire de Bruxelles un centre financier, mais il faut que toutes les parties prenantes apportent un véritable soutien. Cela implique également d’être à même d’instaurer une politique de rémunération appropriée et, d’une manière générale, de créer un cadre positif et entrepreneurial. »