Ron Temple (Lazard Asset Management) souligne le changement de paradigme au niveau des marchés financiers, qui privilégie les actions de qualité et certains segments du marché obligataire.
« Nous sommes aujourd’hui proche d’un sommet pour l’inflation aux Etats-Unis », souligne Ron Temple (Managing Director chez Lazard Asset Management), « avec un certain nombre de facteurs qui devrait faire reculer les prix durant les prochains mois. Les résultats des distributeurs américains ont montré que les consommateurs commencent à devenir plus prudents, tandis que les problèmes au niveau des chaînes d’approvisionnement sont en train de se résoudre progressivement. D’ici la fin 2022, nous pensons que l’inflation de base pourrait retomber entre 4 et 5% ».
Contrôle des prix
L’inflation va toutefois rester sur des niveaux beaucoup plus élevés dans le futur, soit à plus de 3% pour la prochaine décennie par rapport à un niveau moyen de 1,9% durant la précédente. « Nous pensons en conséquence que les marchés ont été trop pessimistes dans leurs anticipations d’inflation, et nous n’anticipons pas que la Reserve Fédérale devra relever son taux jusque 4%. S’il est difficile pour une banque centrale de créer de l’inflation, il est par contre beaucoup plus facile de la contrôler ».
Il souligne que les risques d’inflation restent toutefois orientés à la hausse. « Sur le marché immobilier, les paiements mensuels pour les candidats acheteurs ont considérablement augmenté depuis le début 2022, de même que les loyers dans toutes les régions ». En conséquence, les salaires doivent aujourd’hui suivre le rythme pour maintenir le pouvoir d’achat. « Dans le même temps, il y a aujourd’hui 1,9 emploi disponible par travailleur en recherche d’un travail, et les employeurs sont donc clairement incités à ne pas perdre leur force de travail ».
Hausse des défauts
Pour l’Europe, Ron Temple souligne que la situation est différente, avec une BCE qui pourrait resserrer trop rapidement sa politique monétaire dans un contexte où le choc sur les prix provient des prix de l’énergie plutôt que d’un excès de demande. « Le risque d’assister à une inflation systémique en Europe n’est pas encore évident, d’autant que notre scénario central intègre un risque élevé de récession technique (deux ou trois trimestres de croissance légèrement négative) pour l’année prochaine ».
Le risque de récession est également estimé 30-40% aux Etats-Unis en 2023. Dans ce contexte, il estime qu’un contexte d’inflation et de baisse de la croissance risque d’entraîner des problèmes sur le marché du crédit. « Une hausse des défauts sur le crédit est relativement inévitable, et cela pourrait causer des problèmes sur certains segments du marché obligataire ».
Allocation d’actifs
« Nous sommes aujourd’hui face à un changement de paradigme au niveau des portefeuilles, causé par le changement d’orientation dans les politiques des banques centrales ». Il souligne que les marchés obligataires des pays développés restent particulièrement difficiles, avec des sorties de capitaux importantes et une performance annualisée proche de zéro durant les cinq dernières années.
« Même un taux américain à 10 ans à 3,5% n’est pas suffisant pour dégager une performance réelle positive si l’inflation se maintient autour de 3,5% durant la prochaine décennie ». Il préfère donc la dette d’entreprise ou la dette émergente, des segments sur lesquels il est possible de trouver des rendements plus attractifs. « Nous apprécions également la dette convertible, où les valorisations pour l’optionalité boursière est aujourd’hui très faible, avec un potentiel d’appréciation qui est important sur un horizon de trois ans ».
Qualité et croissance
Sur le versant boursier, la hausse du taux sans risque va naturellement diminuer les valorisations en réduisant la valeur des flux de trésorerie futurs, « ce qui constitue une mauvaise nouvelle pour les valeurs de sociétés technologiques non rentables ». Dans ce contexte, Ron Temple souligne préférée des valeurs de croissance et de qualité, positionnés sur des segments où elles disposent d’une capacité de fixation des prix capable de compenser l’inflation des prix.
« Dans une économie à faible croissance, les rendements du marché des actions au sens large ne seront probablement pas impressionnants. Cependant, nous pensons que les entreprises qui peuvent maintenir des rendements élevés du capital grâce à leurs avantages concurrentiels durables - tels que la valeur de la marque, les avantages du réseau et la production à faible coût - sont susceptibles de surperformer». Il souligne également que le contexte devrait désormais être plus favorable aux gestionnaires actifs, tandis qu’il sera plus difficile aux solutions purement indicielles de se démarquer.
Risques
« Nous sommes par contre plus prudent sur les actifs privés, avec la hausse des coûts de financement qui va mettre à mal la position des groupes qui ont utilisé l’endettement durant la dernière décennie. Les plus-values vont être plus difficile à réaliser durant les deux prochaines années, tant pour le prix auxquels vont se réaliser les prochaines introductions en bourse qu’au niveau des prix d’achat auxquels ces actifs privés vont pouvoir être vendus ». Il se montre également prudent sur le segment des leveraged loans, qui sont souvent conclus avec des taux d’intérêt flottants.
Enfin, Ron Temple doute quant à la capacité des matières premières de maintenir leur progression sur le long terme. « La hausse des prix entraîne traditionnellement une augmentation des investissements et de la production, qui fait pression sur les cours à moyen terme. Le cas du pétrole est peut être différent, car les groupes pétroliers ne réinvestissent par leurs bénéfices dans le développement de nouveaux champs pétroliers ».