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Alors que les marchés des capitaux américains continuent de prospérer, l’Union européenne se situe à la croisée des chemins en ce qui concerne ses propres marchés des capitaux. Des opportunités existent pour créer de la croissance et des emplois, tout en aidant les petits investisseurs et les épargnants de retraite en vue à répondre à leurs besoins financiers. L’Europe peut-elle saisir ces opportunités ?

Josina Kamerling, Head of Regulatory Outreach au CFA Institute à Bruxelles, porte un regard critique sur le paysage actuel des marchés de capitaux européens, lesquels se révèlent inefficaces dans une perspective économique globale. Le cadre européen des marchés publics et des marchés des capitaux « ne sert pas vraiment l’économie », affirme Josina Kamerling lors d’un entretien avec Investment Officer – alors que l’importance de ces marchés pour les investisseurs institutionnels et les particuliers peut difficilement être surestimée. 

Les faits sont clairs. Dans une illustration frappante de la divergence entre les marchés actions européens et américains, l’équipe stratégie actions de JPMorgan a mis en évidence les performances contrastées du mois de février. À mesure que la saison de publication des résultats du quatrième trimestre avançait, 60 % des entreprises américaines avaient déjà publié leurs bénéfices. Ce niveau de transparence contraste fortement avec celui de l’Europe où, au 9 février, seulement 33 % des entreprises avaient annoncé leurs bénéfices pour le quatrième trimestre. Selon JPMorgan, le marché américain affiche une croissance des bénéfices d’environ 5 % en glissement annuel. L’Europe se situe à l’autre extrémité du spectre, avec une contraction de 8 % des bénéfices sur la même période.

Une étude réalisée par LXV Research indique également que les actions européennes ont nettement sous-performé par rapport aux actions américaines au cours des dix années qui ont suivi la crise financière mondiale. Du 29 octobre 2011 au 20 novembre 2018, l’indice MSCI Europe a enregistré un rendement total de 35,8 % en dollars américains, alors que le rendement du S&P 500 au cours de la même période s’est établi à pas moins de 102,8 %. Cette période a été caractérisée par un marché haussier prolongé pour les investisseurs américains, tandis que leurs homologues européens étaient frustrés de voir leurs investissements stagner en termes relatifs, conclut LXV.

Fragmentation et problèmes de gouvernance

Josina« Les bénéfices par action aux États-Unis ont quadruplé par rapport à il y a 10 à 15 ans. En Europe, nous sommes loin du compte », déclare Josina Kamerling. « Il est extrêmement difficile d’obtenir une cotation en Bourse. Le marché est fragmenté et les problèmes de gouvernance, nombreux. De grandes entreprises se retirent de la cote pour aller ailleurs. Les entreprises de croissance innovantes ne veulent pas entrer en Bourse en Europe parce que le processus est trop compliqué. Il y a beaucoup de travail préparatoire, les coûts sont élevés et les entreprises ne sont même pas assurées de pouvoir attirer les bons investisseurs ; pour les petits investisseurs, le marché est quasiment inaccessible. »

Certains marchés nationaux ont pris des initiatives, soutenues par l’UE. C’est notamment le cas aux Pays-Bas, avec les nouvelles lois sur les recours collectifs des actionnaires. Malgré la nouvelle directive européenne entrée en vigueur il y a peu, les investisseurs ne bénéficient toujours pas d’un terrain de jeu équitable.

« Aux Pays-Bas, les actionnaires sont très actifs, mais en Belgique, la situation est différente », affirme Josina Kamerling. « Prenons l’exemple de Wirecard. En Allemagne, il n’existe pas de recours collectif. Encore une fois, on observe un obstacle à l’investissement sur nos propres marchés, alors qu’il est très facile d’investir aux États-Unis. »

Prendre conscience des besoins divers

Un autre élément essentiel pour le bon fonctionnement du marché des capitaux en Europe est le développement d’un nouveau type de sensibilisation qui reconnaisse les besoins divers de tous les acteurs concernés, c’est-à-dire à la fois ceux des épargnants particuliers, des Bourses internationales et des entreprises en croissance. « On ne peut pas avoir un marché public qui fonctionne en vase clos, encadré de règles protectrices, et en même temps négliger les besoins des entreprises ou des investisseurs qui entrent sur ce marché. Je pense qu’il s’agit là de l’essence même de notre réflexion à ce sujet. »

En collaboration avec Better Finance, un groupe de défense des intérêts des investisseurs basé à Bruxelles, le CFA Institute a lancé un appel urgent aux gouvernements et aux décideurs politiques, afin qu’ils procèdent à une révision approfondie du cadre européen des marchés des capitaux. Cette fois, les discussions sur une union des marchés des capitaux devraient dépasser le cadre de la Commission européenne à Bruxelles, et en particulier de l’influente direction générale de la stabilité financière, des services financiers et de l’union des marchés des capitaux (DG FISMA). « En réalité, il s’agit davantage de créer un marché des capitaux qui retienne les investisseurs européens et les entreprises européennes en Europe. Pour ce faire, il faut connecter le marché unique et les économies réelles avec l’union des marchés de capitaux », déclare Josina Kamerling.

Elle reconnaît qu’il n’est pas facile d’établir ce lien, notamment en raison de la forte fragmentation entre les différentes composantes du processus de formulation des politiques. « Il s’agit véritablement d’un exercice compliqué. Nous avons affaire à des économies nationales et sommes confrontés à une fragmentation en raison de laquelle les développements se produisent au niveau national : les ministères des Finances travaillent avec la DG FISMA, le ministère de l’Économie collabore avec la DG des affaires économiques et financières (ECFIN) ou en partie avec d’autres DG, et les ministères de la justice coopèrent en matière de gouvernance d’entreprise. La fragmentation est donc omniprésente et empêche la mise en place d’une approche ciblée.

Trouver les sweet spots

C’est un enjeu que le CFA Institute et Better Finance espèrent aborder avec leur  document sur la révision des règles de cotation de l’UE, un sujet qui sera également soumis au vote du Parlement européen durant la semaine du 22 avril. « Il existe des sweet spots entre les investisseurs institutionnels, les investisseurs particuliers et les professionnels de la finance », explique Josina Kamerling.

Comme ce fut le cas avec l’union bancaire, lorsque le secteur bancaire a été contraint à l’intégration et à une supervision au niveau européen dans le sillage de la crise financière, les responsables politiques de l’UE et les décideurs à Bruxelles sont aujourd’hui sur le point de décider s’ils sont prêts à s’engager à nouveau en faveur d’une union des marchés des capitaux véritablement intégrée.



Les tentatives précédentes visant la mise en place de ce type d’union ont malheureusement échoué. Cependant, les ministres des Finances de l’Eurogroupe ont décidé le mois dernier de procéder à  une nouvelle tentative. Une étape clé de ce processus sera la présentation du rapport Letta le 17 avril. L’ancien premier ministre italien Enrico Letta a été mandaté pour rédiger un rapport sur l’avenir du marché unique de l’UE.



Josina Kamerling espère que les discussions européennes sur l’efficacité des marchés des capitaux évolueront vers la création d’une structure de marché plus inclusive, plus efficace et plus attrayante, capable de retenir les entrepreneurs et les investisseurs.

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