‘Il faut être idiot pour encore investir dans les énergies fossiles dans dix ans.’ C’est avec ces mots forts que le chercheur néerlandais Jan Rotmans a défié le troisième fonds de pension le plus important au monde lors d’une conférence sur la durabilité.
‹ABP investit encore dans le charbon, le sable bitumeux et le gaz de schiste. Les composants les plus infects de l’énergie fossile !’ Jan Rotmans a lancé cette affirmation lors d’un événement sur les investissements dans les Objectifs de Développement Durables (SDG ou Sustainable Development Goals) pour faire clairement comprendre que les entreprises et les investisseurs sont plus que jamais jugés sur la durabilité. ‘Les investissements durables sont tout aussi rentables et commencent à prédominer tandis que la pression sociétale sur les investisseurs augmente’, cite le chercheur. Tous les fonds de pension ne vont pas en sortir indemnes, de l’avis de Jan Rotmans.
Chez ABP, l’homme de sciences avoue cependant avoir vu les choses évoluer ces cinq dernières années : le fonds s’appuie sur les Objectifs de Développement Durable (SDG) des Nations Unies et a développé sa propre taxonomie. Mais comme Jan Rotmans n’a pas vocation à s’épancher en compliments, il formule son lot d’observations critiques. À propos des placements d’ABP dans le sable bitumeux et le charbon, par exemple. Il faut immédiatement arrêter, estime-t-il. Et tant qu’on y est, il envisagerait bien la suppression des positions dans le pétrole et le gaz dans les cinq à dix années à venir tout en redéfinissant très clairement les priorités en matière de SDG : le climat et la durabilité doivent avoir la primauté.
Corien Wortmann-Kool, CEO d’ABP et Ronald Wuijster, CIO de la société de gestion du fonds APG se disent bien sûr prêts à investir plus massivement dans la durabilité mais ils précisent cependant que ce n’est pas toujours possible pour un fonds de pension. ‘Les investissements écologiques ne sont pas tous suffisamment rentables. Il ne faut pas oublier que nous versons des pensions’, explique Ronald Wuijster. Corien Wortmann-Kool poursuit : ‘APG ne peut pas investir dans des placements trop risqués pour nous.’
Le sable bitumeux
Est-ce les investisseurs qui continuent à investir dans dix ans dans les énergies fossiles sont des idiots pour autant ? Là, le CIO d’APG Ronald Wuijster est prêt à opiner. ‘Mais vous ne l’êtes pas encore aujourd’hui. Nous ne sommes pas fiers de nos placements dans le sable bitumeux, mais ces entreprises existent. En tant qu’investisseur, veillons à ce que les effets nuisibles de ces entreprises sur l’environnement diminuent, par exemple au travers de leur engagement.’
La CEO d’APG, Corien Wortmann-Kool, ajoute encore qu’adapter la stratégie d’investissement d’un fonds de pension exige du temps. ‘Nous développons actuellement une stratégie d’inclusion visant à investir dans les pionniers en la matière et dans ceux qui ont l’ambition de changer. Nous voulons apporter notre pierre à l’édifice, tout en préservant notre rendement. Le mouvement est en marche : nous investissons beaucoup moins dans le charbon et beaucoup plus dans les infrastructures, même si nous y sommes encore présents. Ce n’est pas très affriolant, non.’
Outre la mise en place d’une stratégie d’inclusion, le fonds de pension est en train de développer sa propre taxonomie, une mesure de la durabilité qu’il veut appliquer à l’ensemble de ses placements. Corien Wortmann-Kool explique : ‘C’est facile de dire qu’il suffit d’acheter des obligations vertes pour être dans le bon. Nous voulons montrer qu’une entreprise s’est vraiment fixé un objectif de durabilité. Comment vous le concrétisez en matière de pauvreté, par exemple ? C’est compliqué mais une taxonomie transparente peut aider.’
Investir à 100 % dans les objectifs de développement durable est mission impossible, conclut le CIO. ‘Le portefeuille doit être diversifié et en plus, le critère de durabilité d’aujourd’hui, sera dépassé demain’.