Eléonore Bunel (Lazard Frères Gestion) constate que l’inflation américaine est encore loin d’être sous contrôle. Le niveau des différentiels de taux permet toutefois une approche plus constructive sur le marché du crédit, notamment au niveau de la dette bancaire.
Eléonore Bunel (Head of Fixed Income chez Lazard Frères Gestion) supervise des actifs sous gestion d’environ 10 milliards d’euros. Elle gère également la destinée du fonds Lazard Credit Opportunities, un produit qui a dégagé une hausse annualisée supérieure à 4% durant les cinq dernières années (part RC dite « retail »), et qui affiche une notation cinq étoiles chez Morningstar. Après avoir réussi l’exploit de dégager une performance nettement positive en 2022 (4,7% pour la part retail), son fonds affiche déjà une progression de près de 4% depuis le début de la nouvelle année. Nous avons eu l’occasion de l’interviewer lors de son récent passage à Bruxelles.
Comment avez-vous été en mesure de dégager une performance positive en 2022 ?
Eléonore Bunel : « Fin 2021, nous estimions déjà que l’inflation ne serait pas temporaire et que les banques centrales allaient devoir relever fortement leurs taux directeurs. Nous avions donc déjà adopté une sensibilité négative afin de pouvoir profiter de la remontée des taux, ce qui a constitué un moteur de performance important. Les flux que je recevais étaient systématiquement placés sur du crédit à court terme (3 à 9 mois) pour augmenter le caractère défensif du portefeuille, et nous avions également acheté des protections sur le portefeuille, une couverture qui a fluctué entre 30 et 60% des encours durant l’année écoulée ».
Votre approche a changé en ce début de nouvelle année ?
E.B. : « Les taux ont remonté et les différentiels de crédit se sont écartés, tandis que les fondamentaux restent bons sur le marché. Le rendement de la classe obligataire crédit est aujourd’hui repassé au-dessus du rendement de l’indice Euro STOXX 50, ce qui n’était pas arrivé depuis 2010. Le support technique est donc aujourd’hui assez fort sur le crédit, avec des flux qui sont en train de revenir ».
Quel est votre scénario économique pour l’année en cours ?
E.B. : « Nos scénarios intègrent une récession aux Etats-Unis, soit une récession modérée au milieu 2023 si les hausses de taux déjà annoncées s’avèrent suffisantes pour ralentir l’inflation, soit une récession fin 2023 - début 2024 si la Réserve Fédérale est amenée à augmenter encore davantage son taux directeur dans l’hypothèse où elle ne parviendra pas à garder l’inflation sous contrôle. Nous estimons que ces deux scénarios ont actuellement des probabilités équivalentes, même si les données récentes laissent penser que le deuxième cas de figure est en train de se renforcer car il est difficile d’envisager un retour de l’inflation vers 2% aux Etats-Unis avec un marché du travail proche du plein emploi. Il est donc de plus en plus probable que la Fed va être contrainte de continuer à relever ses taux pour casser la dynamique de l’inflation et les marchés financiers ne sont aujourd’hui pas du tout préparés à une telle éventualité, notamment sur le marché du crédit où les différentiels de taux se sont fortement réduits depuis le mois d’octobre ».
Sur quel positionnement avez-vous commencé la nouvelle année ?
E.B. : « Nos avons débouclé nos protections fin 2022 car janvier est traditionnellement un mois très fort sur le crédit, d’autant que les flux entrants étaient importants. Il ne faut pas aller contre le mouvement du marché, d’autant que le portage est aujourd’hui suffisamment élevé pour permettre d’encaisser une volatilité plus élevée. En janvier, nous avons commencé à repositionner notre portefeuille sur du crédit de qualité investment grade, notamment sur les nouvelles émissions de dette bancaire senior qui ont été relativement nombreuses ».
Les différentiels de taux se sont fortement réduits depuis quelques mois…
E.B. : « Suite au rallye, nous avons récemment commencé à prendre nos bénéfices tout en relevant nos protections pour nous préparer à des moments plus difficiles. L’idée est de garder du portage tout au long de l’année, et profiter des mouvements de volatilité pour repositionner le portefeuille et profiter des opportunités qui peuvent se présenter. Et si notre scénario plus négatif devait se confirmer, nous serions encore en mesure d’alléger les positions durant la seconde partie de l’année ».
Que représente la dette financière dans le portefeuille de Lazard Credit Opportunities ?
E.B. : « Nous restons constructifs sur la dette bancaire, en privilégiant les notations BBB. Elle pèse aujourd’hui 60% des encours, avec une proportion importante sur les institutions de la périphérie européenne (Grèce, Italie, Espagne). Depuis la grande crise financière, les institutions bancaires ont fortement renforcé leur structure de capital, avec des revenus qui ont tendance à s’améliorer fortement avec la hausse des taux. Il y a beaucoup de valeur dans ce segment du marché ».
Quelles sont les autres thématiques ou secteurs mis en avant dans le portefeuille ?
E.B. : « Nous continuons d’apprécier la thématique des loisirs et du transport dans un contexte de réouverture des économies, et nous conservons cette exposition car la demande devrait rester forte pour les vacances de l’été prochain. Si la croissance venait à ralentir fortement, ce serait toutefois un secteur que nous serions amenés à réduire durant les prochains mois ».
Fondsinfo
ISIN | Perf 2023 | Perf 2022 | Perf 3 jaar | Perf 10 jaar | |
Lazard Credit Opportunities | FR0010230490 | 3,94% | 4,70% | 7,55% | 3,82% |