Inge Ampe est la nouvelle CEO de CKV Bank, la plus petite banque du pays. Elle raconte avec sincérité pourquoi elle avait juré de ne jamais devenir banquière, la plus grande déception de sa carrière professionnelle et sa lutte contre le cancer du sein.
Le stade Jan Breydel – le stade du FC Bruges – se trouve dans l’arrière-cour d’Inge Ampe. Le club de football joue un important rôle dans la vie de la CEO de CKV Bank. « Je suis enfant unique, et mon père m’a élevée à moitié comme un garçon. Lorsque j’étais petite, il m’emmenait déjà assister à des matchs de football, et nous y allons encore aujourd’hui. Je ne manque presque aucun match à domicile ; nous nous réunissons à la maison avec un groupe d’amis et ma famille pour nous rendre ensuite ensemble au stade. C’est mon exutoire. Plus encore que le football, c’est l’aspect social qui m’importe. Pendant la crise sanitaire, nous avons dû nous passer de ces moments, et cela a complètement changé l’expérience que nous en avons. »
« Jamais dans une banque »
La mère d’Inge Ampe était employée administrative dans une PME, et son père était directeur d’agence de l’ancienne BBL (devenue ING) à une époque où l’on attendait des directeurs d’agence qu’ils vivent au-dessus de leur agence. « J’ai donc passé ma jeunesse à sillonner la Flandre‑Occidentale, car nous devions déménager à chaque fois qu’il changeait d’agence. Je suis allée à l’école maternelle à Hooglede, à l’école primaire à Oostvleteren et à l’école secondaire à Roulers. À chaque fois que je me faisais de nouveaux amis, il fallait de nouveau déménager. Je me suis alors juré de ne jamais travailler dans une banque de ma vie. »
Amsterdam
Après ses études d’ingénierie commerciale, Inge a commencé à travailler pour la BBL – eh oui ! Elle y est restée près de 25 ans, et a donc vécu le rachat de BBL par ING. Cela lui a donné l’opportunité de faire une carrière internationale : emmenant dans ses valises mari, bébé et jeune enfant, elle a déménagé à Amsterdam. Son mari a alors pris un congé sabbatique. « Mon mari et moi avons ensuite discuté de l’idée de rester à Amsterdam pour que j’y poursuive ma carrière. Mais nous avons vite réalisé que nous voulions que nos enfants grandissent en Belgique. Les enfants ont besoin de repères. Je sais ce que c’est de devoir souvent déménager quand on est jeune, et je ne voulais pas reproduire ce schéma. Sans enfants, nous aurions peut‑être fait un autre choix, mais nous ne regrettons pas d’avoir fait ce choix. »
Du magasin de bonbons à la déception
Après 25 ans, elle a quitté ING pour Argenta. « Ce n’était pas prévu. Je venais d’intégrer une nouvelle fonction qui me plaisait beaucoup chez ING, de nouveau à Amsterdam. Mais j’ai été contactée par un chasseur de têtes et, même si je n’étais pas intéressée, j’ai tout de même accepté de discuter. J’ai rapidement senti qu’Argenta pourrait me convenir : c’est une banque très axée sur l’humain, on m’y offrait des responsabilités au sein du comité directeur et je pourrais y avoir un fort impact. » Elle a donc franchi le pas. « C’était comme être dans un magasin de bonbons, j’avais la responsabilité de tous les départements sympa : le volet commercial, le marketing stratégique, la numérisation… Tout ce que j’avais déjà fait auparavant y était réuni. »
Lorsque Marc Lauwers, CEO d’Argenta à l’époque, a annoncé son départ, Inge était en lice pour prendre sa succession. Finalement, elle n’a pas obtenu pas le poste ; il fut décroché par Peter Devlies, arrivé d’Axa Bank Belgique dont il était alors le CEO. « J’ai été terriblement déçue. Ne pas devenir CEO d’Argenta fut la plus grande déception de ma carrière professionnelle. Non pas parce que le poste avait échu à Peter, un banquier très intelligent qui avait fait ses preuves. J’étais surtout déçue parce que j’avais déjà fait plein de projets dans ma tête, et il me fallait désormais entièrement les revoir. J’ai mis un certain temps à m’en remettre. Dans ces cas-là, il faut digérer la déception et ne pas chercher à la refouler. Je me suis sentie blessée, mais j’ai également appris que j’étais capable d’une grande résilience. »
Coach de carrière
Une période difficile a suivi. Inge a engagé un coach de carrière en vue de donner à la sienne une toute nouvelle direction. « J’avais l’ambition de décrocher un poste de responsable haut placé au sein d’une entité accessible qui devait, à mes yeux, être en dehors du secteur bancaire. Je pensais à une PME familiale, et je m’étais d’ores et déjà entretenue avec des entreprises du secteur technologique et du monde de l’assurance. J’étais tout à fait prête pour une vie professionnelle loin des banques. »
Un coup de fil de Rudi Deruytter, CEO de CKV Bank qui devait partir à la pension plus tard dans l’année et qui cherchait un successeur après le départ d’Eveline Vereecke, a changé la donne. « CKV Bank cochait toutes les cases de ma liste d’attentes vis-à-vis d’un nouvel emploi. Alors que c’était une banque. Que je le veuille ou non, je suis bel et bien une banquière. »
CKV Bank est, pour beaucoup de monde, un nom méconnu. La banque de Waregem est d’ailleurs invariablement décrite comme la plus petite banque du pays. Elle opère en outre au sein d’une niche. « Nous accordons des crédits hypothécaires à des particuliers et entreprises qui ne peuvent pas demander de crédit aux grandes banques. Nous nous spécialisons dans les dossiers épineux, par exemple ceux d’entrepreneurs disposant de biens immobiliers mais confrontés à un sérieux problème de liquidités, ou bien de particuliers contraints de réorganiser leurs dettes après un licenciement ou un divorce. En ce sens, nous jouons, en notre qualité de banque de niche, un rôle social et sociétal. »
Cancer du sein
Il y a deux ans, lors d’une visite de routine, un cancer du sein a été détecté chez Inge. « Chez le médecin, j’ai d’abord réagi avec une relative arrogance, en demandant combien de temps cela allait encore durer car j’avais trois réunions prévues ensuite. Jusqu’à ce qu’elle m’apprenne qu’elle avait trouvé quelque chose. Elle voulait que je reste pour une biopsie, et j’ai vu à son expression que c’était sérieux. Mon monde s’est arrêté. J’ai appelé mon mari et ma meilleure amie. Et la coach d’entreprise d’Argenta, car je savais qu’elle saurait me calmer. C’était un vendredi soir, et j’ai finalement dû attendre le mardi suivant pour connaître les résultats de la biopsie, qui ont révélé qu’il s’agissait d’une tumeur maligne. J’ai ensuite passé des examens pour rechercher la présence de métastases. Après une semaine, on m’a heureusement dit qu’il n’y en avait pas. J’ai vécu comme un zombie pendant cette semaine. J’aime faire des projets ; subitement, je n’y suis plus arrivée. Tout n’était qu’incertitude. »
Une grosse semaine plus tard, Inge subit une lourde opération pour retirer la tumeur. Elle a ensuite suivi une radiothérapie quotidienne, mais a évité la chimiothérapie. Ce fut une période difficile, physiquement comme psychologiquement. « Je me souviens que d’importantes négociations étaient en cours chez Argenta, et j’avais dit à Marc Lauwers, alors encore CEO, que je participerais à distance à ces réunions. Il m’en a toujours empêchée, et je suis contente qu’il l’ait fait. Je voulais me réfugier dans des dossiers opérationnels pour éviter d’avoir à me confronter à ma propre mortalité. Mais il faut prendre le temps d’assimiler ces choses. »
Cette épreuve a changé sa façon de voir la vie. « Je me suis adoucie. Je comprends à présent que tout le monde n’a pas la même résilience, et que ce n’est pas une chose que l’on peut cultiver. Contrairement à avant, je ne crois plus qu’il suffise parfois de serrer les dents. J’accorde plus de repos à moi-même comme aux personnes qui m’entourent. Si j’avais pris mes fonctions chez CKV Bank il y a dix ans de cela, j’aurais entamé 25 chantiers en même temps. Cela aurait été épuisant pour mes collaborateurs. Aujourd’hui, si j’ai toujours de grands projets, je suis aussi plus concentrée. Et j’ai moins de patience pour les petits problèmes sans importance. Ma famille et mes amis : voilà ce qui compte vraiment. »