
Investsud est sortie de l’ombre le mois dernier dans le cadre du méga-accord sur la société biotechnologique wallonne EsoBiotec, qui a été rachetée par le géant pharmaceutique AstraZeneca pour un montant de 425 millions de dollars. Le CEO de la société d’investissement, Philippe Degive, nous en dit plus sur la stratégie, qui se concentre exclusivement sur les PME wallonnes.
En Wallonie, les sociétés d’investissement sont principalement financées par des fonds publics ; c’est le cas de Noshaq, Sambreinvest ou Wallonie Entreprendre. La société Investsud, basée à Marche-en-Famenne, fait figure d’exception : 10 sociétés privées, ayant un droit de regard sur la politique d’investissement, détiennent 74 % du capital par l’intermédiaire de la Financière du Sud-Est. L’investisseur public Wallonie Entreprendre est toutefois le deuxième actionnaire, avec 26 %.
Investsud n’est pas un nom connu du grand public. Cependant, la société de capital-risque existe depuis une quarantaine d’années. Elle a été créée à l’initiative de quelques entrepreneurs wallons des provinces de Luxembourg et de Liège. Lors de ce lancement, le prédécesseur de la société fédérale de capital-investissement SFPIM a pris une participation de 50 %, qu’il a revendue aux familles fondatrices quelques décennies plus tard. C’est alors que Wallonie Entreprendre est intervenue.
Sous le radar
Les dix actionnaires privés comprennent de grandes entreprises assez connues telles que ING, L’Oréal, Lhoist, Fruytier Group et Magotteaux, ainsi que des entreprises patrimoniales moins connues telles que Peltzer & Fils, Prodex et Lys Conseil. La société d’investissement Nomainvest, basée à Eupen, et la société de gestion Cofinpar figurent également parmi les actionnaires.
« Rester sous le radar n’est pas une décision délibérée », déclare Philippe Degive. « Cependant, avec nos 74 participations et nos 120 millions d’euros d’actifs sous gestion, y compris les liquidités, nous faisons partie des petits. Wallonie Entreprendre, par exemple, possède un portefeuille de quelque 5 milliards d’euros et compte des centaines de participations. Noshaq et Sambrinvest sont également plus importants. »
« Notre objectif est d’investir dans des PME wallonnes employant jusqu’à 50 personnes et de répartir nos investissements de manière équilibrée dans la région. » Il explique qu’Investsud se concentre sur trois thèmes : innovation technologique, innovation durable et croissance et acquisitions.
« Aujourd’hui, la section innovation représente 73 % du portefeuille. Environ 50 % de ces entreprises sont issues du domaine des soins de santé, tels que les biotechnologies et les technologies médicales, dont une vingtaine de jeunes entreprises. La section Croissance et acquisitions inclut des entreprises plutôt matures que nous aidons à faire des acquisitions, un métier plutôt traditionnel. » Dans les années à venir, Investsud mettra un peu plus l’accent sur cette dernière partie, afin d’équilibrer davantage le portefeuille.
Sélection
Une part importante des actifs sous gestion est actuellement constituée de liquidités, véritable trésor de guerre pour les investissements futurs. « Nous prévoyons quelque 50 millions d’euros d’investissements supplémentaires, mais sans augmenter le nombre de participations. Sinon, nous ne pourrons pas assurer un suivi adéquat du portefeuille. Nous allons donc investir des sommes plus importantes dans nos entreprises. »
Les PME à la recherche de financement savent qu’elles peuvent faire appel à Investsud. En 2024, la société d’investissement avait 150 nouveaux dossiers en cours, mais seuls neuf ont débouché sur un investissement. « Nous adoptons une approche très sélective et ne voulons pas simplement augmenter notre volume d’investissement. Nous préférons soutenir moins de dossiers et faire notre travail de manière plus approfondie. »
M. Degive ajoute que le processus de sélection et d’analyse dure en moyenne six mois. « La relation doit grandir progressivement, car nous nous concentrons vraiment sur l’entrepreneur et la direction. Nous sommes en train de mettre au point une solution de financement sur mesure, par le biais d’une convention d’actionnaires, et cela prend du temps. »
« Une fois que nous avons investi, nous sommes partenaires et avons les mêmes intérêts. Nous fournissons des conseils fondés sur l’expérience acquise dans d’autres dossiers et sur notre réseau d’experts. Nous restons généralement investis dans une entreprise pendant cinq à dix ans. En 2024, nous avons réalisé 12 sorties. »
Méga-accord
Ces dernières semaines, Investsud a été sous les feux de la rampe après avoir enregistré une importante plus-value sur sa participation dans EsoBiotec, spécialiste du traitement du cancer racheté par AstraZeneca. Le montant de l’opération pourrait atteindre 1 milliard de dollars si certaines conditions sont remplies. EsoBiotec avait jusqu’à présent levé 22 millions d’euros auprès de toute une série d’investisseurs, dont Wallonie Entreprendre et Sambrinvest.
« Notre premier investissement dans EsoBiotec a eu lieu en août 2024. La vente de notre participation après une période si courte est une exception à notre approche. Nous sommes là pour prendre des risques. Il faut parfois oser croire en une idée, même si elle n’a pas encore fait ses preuves. C’est ce que nous avons fait dans le cas d’EsoBiotec. » Selon M. Degive, le fait qu’autant d’entreprises wallonnes différentes se retrouvent dans le même dossier n’a rien d’étonnant. « Ensemble, nous pouvons réduire les risques. »
Selon lui, le marché wallon est assez grand pour que tout le monde ait un flux d’affaires suffisant. Cela suscite l’intérêt de l’autre côté de la frontière linguistique. « Nous avons récemment discuté avec une quinzaine de sociétés d’investissement privées belges, principalement présentes en Flandre, qui ont indiqué vouloir pénétrer le marché wallon, mais ne l’ont fait que de manière limitée. En moyenne, les entreprises wallonnes sont plus petites, ce qui joue certainement un rôle. En outre, les entrepreneurs wallons sont moins enclins à ouvrir leur capital à des investisseurs privés. »
L’obligation intelligente, une formule créative
Investsud travaille parfois avec une « obligation intelligente ». « Nous avons lancé cette obligation il y a un an et demi, pour répondre au besoin de financement de l’une de nos participations », explique M. Degide. « Il s’agit d’un prêt subordonné assorti d’une rémunération variable, qui dépend de l’évolution du flux de trésorerie d’exploitation (Ebitda) de l’entreprise. Il est conçu pour les entreprises matures et familiales qui ne souhaitent pas ouvrir leur capital, mais qui veulent tout de même renforcer leurs fonds propres. En achetant ce titre, c’est comme si nous étions actionnaires. L’argent emprunté, entre 500 000 et 2,5 millions d’euros, doit être remboursé à l’échéance (cinq à dix ans). »